2011, Année Jules Maciet...
La Bibliothèque du MAD lui rend hommage à travers 4 expositions :
• Jules Maciet, Le vertige des images I, du 11 janvier au 11 mars
• Bernard Ollier, Extension du domaine Maciet, du 14 mars au 14 mai
• Jules Maciet, Le vertige des images II, du 23 mai au 29 juillet
• Matthew Bakkom, Face to face, du 12 septembre au 4 novembre

L’année 2011 marque le centième anniversaire de la mort de Jules Maciet. Initiateur de Wikipedia avant l’heure pour certains, apparenté à Aby Warburg pour d’autres, Jules Maciet est avant tout celui qui a fondé l’identité de la Bibliothèque du MAD. Sa passion de l’image alliée à celle de la transmission lui a permis de nous léguer une collection unique, à la fois support de recherche pour les historiens, source d’inspiration pour les créateurs et tremplin pour les artistes contemporains. Les manifestations qui jalonneront cette année alterneront regards d’historiens et regards d’artistes avec l’ambition de montrer les diverses facettes de cette œuvre.

Deux expositions prendront appui sur la publication de Jérôme Coignard « Le Vertige des images » et nous donneront l’occasion de dévoiler une infirme partie de la collection iconographique qui porte son nom. Deux autres seront des cartes blanches à deux artistes contemporains, Bernard Ollier et Matthew Bakkom, dont le travail sur la collection, la compilation et l’archive comme œuvre, font écho au projet utopique d’encyclopédie par l’image de Jules Maciet.

Le collectionneur pélican

J.F. de Neufforge, Petites portes d’appartements

Le nom de Jules Maciet est inconnu du grand public. L’homme, discret, l’a voulu ainsi. Il est pourtant l’un des grands donateurs des musées de France. Mais plutôt que d’amasser sa vie durant, pour donner en bloc à sa mort les œuvres patiemment collectées, pour, qui sait ?, la gloire d’avoir une salle portant son nom, il n’a cessé de distribuer au cours de son existence. Mieux, il a collectionné en fonction des lacunes de nos musées. En 1912, peu après sa mort, le Musée des Arts Décoratifs consacrait une exposition à ces dons disséminés à travers la France que l’éminent critique d’art Arsène Alexandre commenta ainsi : « C’est à la fois attendrissant, gai, mélancolique, invraisemblable, rationnel, délicieux. C’est l’exposition d’un homme autant que celle d’un ensemble d’objets. Mais d’un homme qui eut la passion de se couper en petits morceaux, pour nourrir les musées ». Alexandre forge l’expression « pélicanisme artistique » pour caractériser Maciet, en référence au pélican mythique qui nourrit ses petits de ses propres entrailles. Le musée du Louvre, le musée et la Bibliothèque du MAD mais aussi de nombreux musées de province, de Péronne à Dijon, de Lille à Aubusson, se sont enrichis d’œuvres significatives grâce à ce collectionneur pélican, chez qui meubles, tableaux et objets d’art ne faisaient que transiter.

Jules Maciet. Portrait au crayon de G. Baugniès, 1885

Né à Paris en 1846, mort il y a cent ans, en 1911, Jules Maciet avait hérité de ses parents une solide fortune bourgeoise, un appartement rue Cambon et une confortable maison de campagne à Château-Thierry, ainsi qu’une bibliothèque de quelque 30 000 volumes. Mais l’origine de sa vocation artistique reste un mystère. Son cousin François Aman-Jean, fils du peintre symboliste, décrivait ainsi le cadre familial : « L’appartement est affreux, sombre et clos. Les murs sont tendus de faux cuirs de Cordoue, les fenêtres obstruées d’énormes rideaux de reps puce et caca d’oie. […] C’est une famille qui n’aime que la charité, les livres et les chiens, et qui vit béate et innocente dans un lieu laid. L’art est une porte close. » A douze ans, Jules manifesta le désir de visiter les monuments de Paris qu’il voyait en se rendant au lycée Louis-le-Grand. A quatorze, il connaissait le Louvre par cœur, grâce aux notes méthodiquement prises dans les différents départements du musée. Il poursuivit ses investigations dans les autres musées parisiens, à la Bibliothèque nationale. A dix-huit ans, il commença une petite collection, fréquenta l’hôtel Drouot, les antiquaires. Ses « dépenses artistiques » étaient soigneusement notées dans un carnet. Il en fut ainsi jusqu’en 1910. Il travailla quelques mois chez un commissaire priseur, puis chez Durand-Ruel, le futur marchand des impressionnistes. Mais cet homme n’était pas fait pour le commerce. Après la guerre de 1870 et le siège de Paris, qu’il vécut « de l’intérieur » en tant qu’engagé volontaire, il consacra l’essentiel de ses rentes à l’acquisition d’œuvres d’art pour les collections publiques. Sa « charité » à lui, ce fut cette philanthropie par l’art, dont la divulgation au plus grand nombre lui importait tant. Sa fortune n’étant pas illimitée, il identifiait en connaisseur ce qui risquait de ne pas déchaîner le feu des enchères, les trésors qui n’étaient pas encore à la mode ou commençaient à peine à l’être, comme l’art du XVIIIe siècle encore abordable. Son érudition, son exceptionnelle mémoire lui permettait en outre de compléter des séries, de combler les lacunes. Il était passé maître dans l’art de repérer le « chaînon manquant ». Ainsi, son œil infaillible identifia un panneau du maître de Moulins provenant d’un triptyque démantelé, dont le Louvre possédait le pendant. Il l’acheta pour 100 F en 1885 et en fit aussitôt don. Sa parfaite connaissance du marché de l’art européen lui permettait de débusquer aussitôt l’objet utile ou important pour telle institution. Au musée de Saint-Quentin, il enrichit tout naturellement la collection des œuvres de Quentin La Tour ; à Dijon, celle des Primitifs français et italiens ; au Louvre, il donna des sculptures allemandes, des Primitifs, des petits bronzes médiévaux ; à Carnavalet, des dessins du XVIIIe siècle concernant l’histoire de Paris ; à Château-Thierry tout ce qui se rapportait au plus illustre de ses enfants, Jean de La Fontaine ; au Musée des Arts Décoratifs, dont il accompagna le développement, il nourrit les collections d’art islamique et de tapis d’orient, puis de tapisseries médiévales. En trente ans, de 1880 à 1910, ses dons au Musée des Arts Décoratifs s’élevaient à plus de 2300, les dons aux autres musées à 1500…L’Union centrale des Arts décoratifs était devenue sa véritable famille d’adoption. Il finit par en assurer la vice-présidence. Membre du Conseil des musées et de diverses commissions, membre de la Société des Amis du Louvre dès sa création, il fut élu président de cette dernière en 1910 et favorisa l’acquisition pour le musée du Bain turc, chef d’œuvre d’Ingres. Dédaigneux des honneurs, Maciet ne reçut pas même une médaille pour son œuvre. Mais ne disait-il pas : « Je donnerais tous les rubans du monde pour un beau Corot » ?

Le bon génie de la Bibliothèque

Invitation. Alphonse Isaac

C’est vers 1887 que Jules Maciet se rapprocha de la Bibliothèque de l’Union centrale des Arts décoratifs et conçut l’idée d’une collection iconographique pour compléter le fonds existant. Lui dont l’érudition n’était pas livresque, et dont l’œil s’était formé au contact direct des œuvres, croyait avant tout au pouvoir de l’image. Cette collection devait englober tous les domaines de l’art et de l’art décoratif, et plus largement tout ce qui pouvait servir à l’artiste ou à l’artisan d’art en quête d’un motif ou d’une source d’inspiration. D’ « Anatomie » à « Vitraux », des coquillages aux chemins de fer, cette masse documentaire était classée thématiquement. Car ce trésor d’images, outre son rôle éducatif, répondait d’abord et avant tout à un besoin pratique : rendre aisément accessible des représentations qui étaient jusque là renfermées dans des livres où seuls des chercheurs érudits pouvaient les débusquer. Bien avant Google, Maciet créait son propre moteur de recherche. Un tableau général de la collection, toujours affiché dans la salle de lecture, répertorie les grands thèmes renseignés dans les volumes et leurs subdivisions. Dans sa nomenclature, Maciet avait eu soin d’éviter les mots savants, ce qu’il fit également dans le catalogue général de la bibliothèque dont il rédigea le projet : « J’ai adopté le mot Chasse parce qu’on ne parle plus de vénerie qu’en langue historique, parce qu’on dit un chasseur, un permis de chasse, un garde-chasse, etc., mais il est très bon d’avoir une table où au mot Vénerie on renverra à Chasse. » De même il préfère Médailles à Numismatique, Sceaux à Sigillographie. Une de ses plus constantes préoccupations fut de rendre accessible à tous, y-compris ceux dont l’instruction se bornait à savoir à peu près lire et à peine écrire, toutes les richesses de la création.

Les deux cousines, Antoine Watteau

Au cœur de cet admirable dispositif, les grands volumes reliés en toile sont accessibles sur les rayonnages qui tapissent la salle de lecture. C’est l’image qui règne ici, quel que soit son support matériel. Ainsi se trouvent mêlées, sans aucune hiérarchie, reproductions photographiques, gravures et lithographies, illustrations découpées dans des journaux, des catalogues, des livres, cartes postales, prospectus, étiquettes ou emballages, bref tout ce qui porte une image susceptible d’être utilisée. Pour constituer cet ensemble, Maciet avait « cassé » par milliers des ouvrages reliés pour en redistribuer les images. On le lui reprocha, mais son grand œuvre valait bien ce sacrifice. D’ailleurs, souvent il rachetait un deuxième exemplaire pour l’offrir, entier cette fois… On lui reprocha aussi de ne pas mentionner la source des documents qu’il collait dans les albums. Mais pour l’ornemaniste ou le bronzier venus copier une entrée de serrure ou une pendule, il importait seulement de connaître la date approximative et le pays d’origine... Les reliures mobiles permettaient de compléter au fur et à mesure les volumes, ou de remplacer un document par un autre de meilleure qualité. Dans un article publié en 1913 par L’Humanité , le quotidien socialiste dirigé par Jean Jaurès, Paul Cornu, bibliothécaire de l’Union centrale des Arts décoratifs, rendait hommage au solide sens pratique du collectionneur donateur : « Jules Maciet a vécu volontairement privé d’honneurs et de distinctions, ignoré des journaux, insoupçonné même de la plupart des travailleurs qu’il lui arrivait fréquemment de guider en personne dans leurs recherches ; mais dans l’exercice admirable de cette générosité, quelque chose doit nous frapper davantage que sa modestie : c’est le sens pratique avec lequel Jules Maciet a su éviter aux travailleurs toute perte de temps en modelant exactement sur leurs besoins le classement des 780 000 documents environ qu’il a rassemblés. » Par ailleurs, les conditions de consultation de la collection étaient et sont toujours particulièrement simples : formalités d’inscription réduites à l’essentiel, un seul bulletin à remplir par séance, volumes en libre service, possibilité de calquer les images. Œuvre d’une vie, d’une passion, les volumes de la collection Maciet se chiffraient à plus de 3500 en 1911. Ils sont plus de 5000 aujourd’hui. Célibataire endurci, qui cachait sous une épaisse barbe un visage ravagé par la variole, Jules Maciet avait eu la consolation de voir arriver parmi « ses » lecteurs de charmantes lectrices, couturières et modistes venues chercher dans les images d’autrefois « les idées qui feront fureur demain » (Arsène Alexandre) Si le public de la bibliothèque a aujourd’hui évolué, les créateurs continuent de puiser à la source vive de cette singulière collection, qui livre sans cesse de nouvelles découvertes.

Jérôme Coignard

Suivez-nous

Abonnez-vous à notre newsletter

fond=article-normal}{id_article}{env}