Goudemalion. Jean-Paul Goude une rétrospective

du 11 novembre 2011 au 18 mars 2012

Les Arts Décoratifs présentent la première exposition rétrospective de Jean-Paul Goude à Paris. L’un des plus brillants « faiseurs d’images » de la création contemporaine propose une vision à la fois rétrospective et créative de son œuvre à travers tous les champs d’intervention : de la mode à la photo, de la publicité au spectacle vivant. Artiste-précurseur, manipulateur d’images, tour à tour illustrateur, directeur artistique, photographe, réalisateur, Jean-Paul Goude travaille aussi bien pour la presse, la musique que la publicité. Il est avant tout un créateur qui a su inventer un style, un univers, et peut être même comme l’évoque avec humour le titre de l’exposition, une mythologie personnelle.

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Présentation

Les Arts Décoratifs présentent la première exposition rétrospective de Jean-Paul Goude à Paris. L’un des plus brillants « faiseurs d’images » de la création contemporaine propose une vision à la fois rétrospective et créative de son œuvre à travers tous les champs d’intervention : de la mode à la photo, de la publicité au spectacle vivant. Artiste-précurseur, manipulateur d’images, tour à tour illustrateur, directeur artistique, photographe, réalisateur, Jean-Paul Goude travaille aussi bien pour la presse, la musique que la publicité. Il est avant tout un créateur qui a su inventer un style, un univers, et peut être même comme l’évoque avec humour le titre de l’exposition, une mythologie personnelle.

Jean-Paul Goude a conçu cette invitation comme une grande installation : c’est tout son parcours depuis plus de 40 ans que retrace l’exposition, mêlant dessins, objets, images photographiées ou filmées, présentés dans un parcours rythmé d’espaces intimes et de séquences plus théâtrales à l’image de ce qu’a pu être le défilé du Bicentenaire de la Révolution Française. Évocation symbolique du Bicentenaire, la locomotive qui ouvrait le défilé de 1989, occupera le centre de la Nef, encadrée d’une galerie de portraits photographiques des différents groupes ethniques qui le composaient.

Avant cela, les visiteurs seront accueillis dans le vestibule par l’une des valseuses qui firent sensation lors du Bicentenaire. Dans la galerie des Tuileries, une évocation « introspective » de l’œuvre de Goude guidera le public depuis ses débuts à Saint-Mandé, jusqu’à ses travaux les plus récents. Évoquant ses rencontres, les influences qui l’ont marqué et ses souvenirs, ce parcours chronologique sera rythmé par des créations originales de l’artiste. Il révélera ce qu’est l’univers de Jean-Paul Goude, mélange d’influences multiculturelles, de souvenirs d’enfance, de rencontres, le tout saupoudré d’une dose d’humour et d’ironie.

« Ses images sont toujours au service d’un propos, d’un point de vue, et ne se préoccupent pas du politically correct, mais sont des prises de position. Les plus fondamentales sont celles d’un respect de la différence et de la quête permanente d’un fait que peu savent nommer aujourd’hui : la beauté » Christian Caujolle, fondateur de l’agence et de la galerie Vu.

Dans les pièces alcôves de la rue de Rivoli, seront montrées six installations destinées à réactiver les séquences les plus fortes de sa vie et de son œuvre : Toukie, Les Galeries Lafayette, Grace Jones, les ektas découpés, le mobilier-néon et Chanel.

« Depuis plus de trente ans, s’exprimant à travers le dessin, l’affiche, la photo, le cinéma, la vidéo ou l’événement, Jean-Paul Goude a impressionné notre imaginaire. Des « minets » des années 1960 au mythique Esquire de la décennie suivante, du New York de Warhol et des cultures métissées à Grace Jones, dont il fut le « pygmalion », de l’éclatant défilé du bicentenaire à la célébration du « Style Beur » de Farida, des publicités Kodak ou Chanel aux variations sur Laetitia Casta, il a su chaque fois devancer l’air du temps et en donner une expression définitive. Ce que l’on sait peut-être moins c’est que ce travail par nature de « commande » n’est chez Goude que l’autre face d’une aventure profondément individuelle, d’un parcours (marqué en particulier par la rencontre, et l’exaltation, de quelques figures féminines) transmué en une sorte de mythologie personnelle. La vie et l’œuvre sont pour Goude profondément indissociables, ce qui donne obliquement à son travail un cachet très particulier, et l’élève au-dessus de la simple imagerie. (P. Mauries)

Si, souvent, le terme de pygmalion a été utilisé en parlant de Jean-Paul Goude et de sa relation avec ses modèles et ses muses, Edgar Morin a préféré inventer le terme de Goudemalion, pour expliquer le plus justement possible la démarche de Jean-Paul Goude : « Le Pygmalion légendaire était un roi de Chypre qui sculpta une statue à laquelle Aphrodite donna vie, puis épousa cette créature. Goudemalion, lui, sculpte une statue à partir de la femme qu’il épouse. Mais il n’en fait pas une statue de pierre, il en fait plus qu’une statue de chair douée d’âme, il en fait un être mythique où se transfigure la substance vivante, sans cesser d’être vivante, en créature de rêve et de légende. Ainsi Goude transforme et transfigure ses fantasmes, qui tournent autour du même trou noir de la Beauté féminine : il les transfigure en mythe »

Dans l’univers de Jean-Paul Goude il y a d’abord son enfance, un père qui lui inculquera le goût de l’élégance, une mère américaine danseuse, une passion pour les films musicaux américains des années 1950 et une fascination pour les cultures ethniques. Il y a ensuite ce goût du dessin puis de l’image sublimée qu’elle soit repeinte ou découpée. Il débute sa carrière comme illustrateur pour Marie-Claire, Dim ou encore le Printemps qui en 1964 l’engage pour décorer le magasin Brummel, pour lequel il réalise la frise des « Minets », une immense fresque qui faisait le tour du magasin. En 1969, Harold Hayes, directeur du magazine Esquire, auquel il avait fait parvenir ses dessins, lui commande un numéro spécial, puis le fait venir à NY pour lui confier la direction artistique du magazine. S’il continue à produire des illustrations mémorables comme celle présentant le président Mao se baignant dans le Yang Tsé en compagnie d’un Donald duck en plastique, il commence à travailler la photographie.

En 1976, pour son premier livre Jungle Fever, il photographie les communautés afro-américaines et hispaniques. Suit un numéro d’Esquire intitulé America dances pour lequel Goude réalise un article qui met en image Quatre groupes ethniques : blancs, noirs, hispaniques et gays.

« C’est dans les gays bars de New York que le disco a vraiment commencé. C’étaient les premiers clubs intégrés où les noirs et les blancs faisaient la fête ensemble. Apparemment être blanc ou noir était beaucoup moins important que d’être homosexuel. Et les premiers à assimiler le feeling black, furent les homos blancs. » (Jungle Fever, 1982)

C’est l’époque aussi, où il commence à appliquer les principes de la French Correction à la photographie. La French Correction ou « petit guide pour se mettre en valeur », relève de sa volonté ironique de magnifier le corps à l’aide de toutes sortes de prothèses. Il redessine, photographie le corps de ses compagnes, le transforme. « Mon travail tourne autour de la beauté. L’attirance que j’éprouve pour les mandarins mystérieux et les princesses africaines remonte à un désir inassouvi à la fois enfantin et refoulé de voyages dans des contrées lointaines. »

Il commence par « corriger » sa compagne Radiah, qu’il juche sur des chaussures à plateforme, la surélevant ainsi de son 1m72 initial à pratiquement 2 mètres et l‘« africanise » grâce à des scarifications autocollantes de sa fabrication, posées sur son visage. Il poursuit avec Toukie, à laquelle l’exposition consacre une salle dans laquelle sont présentés les moulages miniaturisés et transcendés de son corps. Il lui allonge les jambes et le cou, écarte les épaules, redessine ses seins et ses fesses.

Tel un chirurgien-artiste, Goude utilise ses ciseaux comme un scalpel, découpant directement les ektachromes pour retoucher l’image en la magnifiant. Qu’il s’agisse de l’ex-culturiste Kellie Everts, de Toukie, de Grace Jones, ou encore Farida, il allonge, gomme, étire, démultiplie…

Grace Jones, sera sa muse idéale qu’il photographiera, découpera, repeindra, tordra en d’étranges arabesques tout en la mettant en scène dans différents spectacles musicaux d’une sophistication unique, surtout dans le contexte de l’époque. Par ailleurs il lui concevra toutes sortes de costumes tous plus spectaculaires les uns que les autres, dont une incroyable robe de maternité « constructiviste ». Cette période achevée, il retourne en France. La publicité vient à lui et il signe alors certains des plus beaux films publicitaires du moment. D’Egoïste de Chanel en 1990 à Guerlain en 2008 en passant par Lee Cooper 1982, Citroën 1985, la saga des Kodak de 1986 à 1992, Dim 1988, Perrier 1990, etc…

Dans sa chronique du Monde, Pierre Georges qualifiera le film Coco de Chanel de « vrai chef-d’œuvre de publicité, un merveilleux petit conte poétique. Ce n’est pas vouloir faire de la pub à cette pub que de le dire. »

En 1989, Jack Lang, alors ministre de la Culture de François Mitterrand, l’invite à réaliser le défilé du Bicentenaire de la Révolution française. Avec sa maîtrise de la démesure, son humour et sa poésie, Jean-Paul Goude saura transformer l’austère défilé militaire en un conte de fée joyeux et multi-ethnique. « J’avais envie de faire défiler ceux qui ne défilent jamais, de jouer avec les codes, les clichés tout en les subvertissant. Le thème central était les droits de l’homme, la multiplicité des ethnies, la mixité sociale ; nous étions au plus fort de l’utopie multiraciale. C’était un défilé très idéaliste, à la gloire de la famille humaine, qui devait se dérouler devant de nombreux chefs d’Etat, et célébrer l’idée de la Révolution en la sublimant »

Enfin c’est depuis plus de 10 ans que Jean-Paul Goude et ses affiches incarnées par Laetitia Casta pour les Galeries Lafayette, font le bonheur des usagers du métro parisien et sont devenues un rendez-vous incontournable pour la France entière.

Interview « Introspective » de Jean-Paul Goude par Jérôme Sans

Extraits tirés du livre Goudemalion. Jean-Paul Goude une rétrospective, éd. de la Martinière.

JS : Jérôme Sans
JPG : Jean-Paul Goude

Entretien réalisé le 5 juillet 2011.

JS : Est-ce que cette exposition au Musée des Arts Décoratifs est une mise au point sur le Goude ? Plutôt qu’une « rétrospective », ne serait-elle pas une introspective ou une Goudespective ?

JPG : Une rétrospective introspective…..en tout cas, ça sonne bien !

JS : Qu’est ce qui vous a conduit vers la danse, le dessin et la mode ?

JPG : Ma mère, indéniablement. Elle enseignait le ballet classique aux jeunes filles de bonne famille du quartier de Saint Mandé, où nous habitions. Tous les ans elle me demandait de danser à l’occasion de son spectacle de fin d’année. Et chaque année je refusais car la danse n’était pour moi qu’une discipline réservée aux filles. Ce n’est que plus tard, pendant mes études à l’École des Arts Décoratifs de Paris où j’ai commencé à m’intéresser de près au cinéma musical américain, que j’ai voulu apprendre la danse. Une façon pour moi de me rapprocher de mon sujet de prédilection, d’en savoir plus. Par contre, j’ai toujours dessiné. Bien sûr, comme tous les petits garçons de ma génération, j’ai commencé par dessiner des soldats, la guerre, des Indiens, des cow-boys, etc…
Tout à basculé quand j’ai vu Les Mines du Roi Salomon, un film d’aventure tout ce qu’il y a de plus « made in Hollywood » mais qui contenait une longue séquence musicale filmée en Afrique avec d’authentiques guerriers Tutsis interprétant une danse cérémonielle extraordinaire. À partir de ce moment, je n’ai dessiné que des personnages en mouvement. […]

JS : En 1970, le rédacteur en chef de la célèbre revue Esquire prend contact avec vous. Comment s’est passée la transition de Lui et Salut les copains à Esquire ?

JPG : Le fruit de la chance. Harold Hayes, l’éminent rédacteur en chef d’Esquire de l’époque préparait un numéro spécial sur la convention américaine de Chicago. Il était venu à Paris pour rencontrer et inviter Jean Genet à participer à ce projet. Mon ami Matton qui signait ses illustrations Pascalini m’avait encouragé à envoyer à Harold Hayes un portfolio de mon travail. Intéressé par mon approche, il a cherché à me contacter durant son séjour parisien. Quand je lui ai dit que je connaissais Prévert, il m’a demandé de le lui présenter, ce que j’ai fait juste avant qu’il rentre à New York et puis, plus de nouvelles. Quelques mois plus tard, il m’appelle pour me dire qu’il cherche un nouveau directeur artistique et me demande si je connais quelqu’un. Sautant sur l’occasion, je lui propose mes services. Trois jours plus tard il me rappelle en me demandant de venir au plus vite et d’emmener avec moi tout ce que je possède. Décontenancé par le caractère précipité de sa proposition - et imaginant à l’avance l’enfer que pourrait être ma vie au milieu de journalistes américains hyper professionnels qui découvriraient mes failles -, j’ai décidé d’amener du renfort et lui ai proposé de partager ma nouvelle fonction avec Jean Lagarrigue, mon meilleur ami, illustrateur comme moi. […]

JS : Comment définiriez-vous votre approche artistique de l’époque ?

JPG : A l’opposé de la tendance à l’anecdote de l’époque, mes images étaient avant tout des métaphores visuelles destinées à donner une forme aux histoires que nous proposions à nos lecteurs. Malgré le titre ronflant de ma fonction, je me considérais en apprentissage et prenais le temps d’expérimenter. L’image dessinée semblait de moins en moins intéresser le public. De mon côté, j’avais constaté à quel point les tentatives des illustrateurs pour imiter le réalisme photographique à la mode à l’époque étaient non seulement vaines mais nécessitaient en plus un effort disproportionné. Il fallait prendre un nombre incalculable de photos de référence qu’on décalquait patiemment pour finalement reporter le calque sur le papier afin de composer l’image. C’était pathétiquement laborieux. Quitte à être photographiquement réaliste, pourquoi ne pas peindre directement sur des photos ? C’est ce que j’ai fait au début des années 1970 en créant des images peintes donnant l’illusion de photographies. Un travail titanesque qui me prenait parfois plus d’une semaine par image. Ce n’est qu’à partir des an-nées 1990, au début de l’ère numérique, que j’ai enfin pu produire mes images de façon plus régulière.

JS : Ce travail de modification n’est-il pas au centre de votre écriture ?

JPG : Une écriture que j’ai choisi d’intituler « La French Correction », qui non seulement est au centre de mes préoccupations depuis toujours, mais qui fédère mes multiples moyens d’expression. Que ce soit par l’image ou directement sur le corps à l’aide de différentes prothèses, la modification, la stylisation morphologique m’intéressent avant tout. […]

JS : On a souvent dit que vos publicités étaient de l’ordre d’un jeu vidéo ou d’un très court métrage.

JPG : De l’ordre du « bref métrage », pour reprendre une formule de Pierre Georges du Monde. Trois ans avec Grace sans gagner un sou m’avaient presque mis sur la paille. Et quand la pub s’est intéressée à moi, j’ai saisi l’occasion, non sans méfiance. Philippe Michel m’avait convoqué à Paris pour me parler de la campagne Lee Cooper. Ne connaissant rien au blue-jeans et ne voulant pas vanter les vertus du denim, je lui ai proposé un mini-opéra qui - je lui promettais - ne passerait pas inaperçu. Avec Grace, j’avais cédé à la tentation des feux de la rampe. J’avais maintenant la ferme intention de faire durer le plaisir. Je voyais cette nouvelle aventure comme le second volet, le second acte, de ce que j’avais initié avec elle. Pendant que mes nouveaux personnages faisaient leur entrée côté jardin, Grace sortait côté cour. Juste avant que Farida, cachée dans les coulisses, n’entre à son tour dans mon petit théâtre.

JS : Avez-vous jamais eu envie de réaliser un inventaire, une mise à plat de l’ensemble des différents personnages de la famille Goude ?

JPG : C’est exactement ce que j’ai essayé de faire pour cette exposition. Un peu à la manière de ce que je voulais faire dans mon projet de long métrage qui n’a jamais vu le jour. […]

« Jean-Paul Goude, Dix années (1980-1990) pour redessiner le monde », par Eric Troncy

Extraits tirés du livre Goudemalion. Jean-Paul Goude une rétrospective, éd. de la Martinière.

[…] La difficulté à cerner précisément l’activité de Jean-Paul Goude, à la nommer clairement, la résumer, pourquoi pas, en un nom de métier, c’est qu’au travers de tous les métiers qu’il exerça et de tous ceux qu’il exerce encore, c’est une fonction finalement inédite qui se fait jour, et qui ne saurait avoir qu’un seul nom. Il trouva lui-même la parade à cet embarrassant état de fait : il se décrivit un jour comme « auteur d’images ».

[…] Il est peu habituel pour quelqu’un occupé à la production d’images « frivoles » – des images commerciales – de s’affirmer comme « auteur », tant la légèreté supposée qui s’attache à ces images semble a priori antinomique à la gravité qui s’attache à la notion d’auteur. Or en indiquant qu’il est « auteur d’image », Jean-Paul Goude prévient du même coup que ses images sont des images d’auteur – comme il existe des films d’auteur. […] Le paradoxe des images commerciales est qu’elles doivent avant tout dire l’identité du produit qu’elles vantent, celle de leur « auteur » n’étant qu’accessoire. Du moins était-ce le cas avant que, dans les 1980, Jean-Paul Goude (et quelques autres antérieurement ou simultanément : Guy Bourdin, David Hamilton, Sarah Moon) ne parvienne à imposer son propre style, son iconographie singulière, et dans le même mouvement son imaginaire intime, ravissant systématiquement le premier rôle au produit […]. Les images dont Jean- Paul Goude est l’auteur s’imposent avant tout comme « ses » images. C’est que ces images, justement, […] affirmaient un monde nouveau et différent sur tous les plans : visuel, stylistique, sociologique, politique. Ce faisant, à la fois elles accompagnaient la transformation de la société et la précédaient. […] Après avoir étudié au MAD et exercé son premier métier en tant qu’illustrateur pour les magasins du Printemps à Paris après 1964, il fut, en 1970 et jusqu’en 1976, nommé directeur artistique du magazine américain Esquire – un métier pour lequel il n’avait aucune expérience. Il vécut donc aux États-Unis, travailla ensuite pour le New York Magazine, il y photographia Grace Jones qu’il rencontra en 1978 et dont il devint le « Svengali ». C’est pourtant en France, dans la première moitié des années 1980, que Jean-Paul Goude affirma un style singulier, porteur d’une vision nouvelle de la société qui devait rencontrer les aspirations de la société elle-même. […] Cette vision nouvelle s’exprime dans les premiers films publicitaires qu’il réalise en 1983 pour Lee Cooper, en 1984 pour Kodak et Orangina et en 1985 pour Citroën (film dans lequel il met en scène Grace Jones) : les Blancs deviennent noirs, les Noirs deviennent blancs, les gamins gesticulent, la musique tressaute, les levers de rideau ne manquent pas. Il n’est pas impossible que, dans son ambitieuse extravagance, Goude ait alors eu le projet de redessiner l’espace social pour l’accorder à la vision fantasmatique qu’il en avait – et que cela ait réussi.

On peut comprendre en effet le travail de Jean-Paul Goude en l’indexant, comme il le fait lui-même, sur sa passion pour la culture Africaine, et le souvenir d’enfance, maintes fois évoqué, du zoo de Vincennes, proche de la maison familiale dans les années 1950 […]. On peut aussi le relier à sa passion immodérée pour la beauté des femmes noires – beaucoup, à des moments divers, partagèrent sa vie. Mais on peut aussi et surtout entendre ce travail comme une vaste entreprise destinée à « redessiner » le monde, une entreprise de chirurgie correctrice appliquée à la société toute entière. « Je n’aurai finalement eu qu’une seule passion : celle de corriger, de prendre ce qui est là, et de le révéler en l’exagérant, le variant, le sublimant, quitte à toucher aux limites d’un certain comique, mais en prenant bien garde d’éviter la moquerie. »

Cette entreprise (à laquelle il attribua le nom générique de « French correction ») commença donc par lui-même […] [et] se prolongea naturellement par les femmes dont il partagea la vie. Avec Sylvia, tout d’abord, la première femme noire avec qui Goude vécut « véritablement une vie de couple » à la fin des années 1960, mais aussi la première femme qu’il « redessine » : il la « débarrasse de sa choucroute » en lui coupant les cheveux très courts, dessine pour elle un costume de Wonder Woman, lui fait poser des jaquettes sur les dents et propose de modifier son nez grâce à la chirurgie esthétique. […] Avec le « personnage public » de Grace Jones, ensuite, dont il dit « pour être tout à fait honnête, [il] ne me paraissait pas à la hauteur de l’image que je m’en faisais. Trop convenu, trop peu travaillé. » Image sociale ou image publique : rien de parfait en ce monde, qui ne vaille quelques corrections pour s’accorder à celui qu’il envisage. L’affaire prend des proportions spectaculaires – il en parle à Warhol que l’idée enchante forcément : « J’ouvrirais une véritable clinique dans laquelle on entrerait “en l’état”, et dont on sortirait transformé. Au sous-sol le bloc opératoire, au premier étage les prothèses, dentistes, etc., plus haut le tailleur... Un véritable programme de correction ou de transformation... »

À défaut de bistouri, Goude se sert du ciseau pour étirer les corps, les affubler de proportions nouvelles, les allonger déraisonnablement, et surtout amplifier leur trajectoire, leur tracé, leur mouvement […]. Très tôt, le vocabulaire artistique mis en place par Goude semble tirer aussi sa richesse d’un dialogue avec le « grand art » : les arts visuels comme le cinéma, notamment dans le film publicitaire réalisé pour le parfum Égoïste de Chanel (en 1990) qui débute comme un vieux film dramatique, en noir et blanc, et évolue très distinctement, grâce aussi à un passage en couleur, vers la publicité. […]

Dès les premières heures des années 1980, le travail de Jean-Paul Goude était devenu naturellement populaire, grâce à l’inventivité de son vocabulaire plastique, la singularité de son univers iconographique, et la diffusion de son travail à la télévision qui, avant Internet et la multiplication des chaînes, exerçait une position dominante dans l’univers médiatique. Sa vison du monde « redessiné », s’accordant justement aux aspirations de la société française, devait pour-tant gagner encore en visibilité lorsque le ministre de la Culture, Jack Lang, au nom du gouvernement français, lui confia la conception d’une parade monumentale sur les Champs Élysées à Paris, pour commémorer le bicentenaire de la Révolution française, en 1989. […] C’est aussi, assurément, à une révolution iconographique que Jean-Paul Goude convia le peuple fran-çais, soudain placé face à un torrent ininterrompu d’images « d’auteur » : tout l’imaginaire de l’« auteur d’images » fut généreusement convoqué. Rétrospectivement, et pour aussi audacieux qu’ait été à l’époque ce choix, on serait bien en peine d’énoncer aujourd’hui un seul nom, qui soit pareillement capable d’exprimer l’esprit d’une époque dans des circonstances similaires. À l’occasion, Goude apporta qu’il n’était pas qu’un homme de clips et d’images de magazines, mais que cet imaginaire pouvait bien prendre toutes les formes possibles, y compris dans le temps et l’espace. C’est ce même imaginaire qui, aujourd’hui encore, est « au service » des campagnes publicitaires qu’il conçoit (depuis 2001) pour les Galeries Lafayette – dans lesquelles se retrouvent son goût pour un monde multiethnique tout autant que sa fascination pour le mouvement des corps et des principes simples d’exploitation graphique. Il n’y a pas, à l’évidence, dans l’histoire du travail de Jean-Paul Goude, de période bleue ou de période rose parce qu’au fond son iconographie comme son style ont été énoncés clairement dès les origines. La particularité de ce travail, dans le contexte de commandes qui le fait apparaître, est de rester iconographiquement et stylistiquement invarié, quel que soit le produit ou l’événement à promouvoir. Il s’agit, en sus d’un contrat de travail, d’un contrat symbolique passé avec un univers onirique très précis. Goude en redessina un peu les contours au début des années 1990, lui donnant une dimension cinématographique, notamment au moyen de scénarios rocambolesques et ciselés. La plupart tiennent en une phrase : des femmes ouvrant simultanément les fenêtres d’un hôtel en criant « Égoïste » (pour Chanel en 1990), Vanessa Paradis transformée en oiseau se balançant dans une cage en sifflant (pour Chanel, en 1992)... Tout dans ces petits films publicitaires télévisés les distinguait radicalement de ceux qui, dans les séquences dévolues à la publicité à la télévision, les précédaient ou les suivaient : leur poésie comme leur fantaisie, leur qualité, finalement, « d’image d’auteur ».

Il est particulièrement singulier d’embrasser aujourd’hui l’extrême cohérence de la production de Jean-Paul Goude. […] On serait, alors, très disposé à qualifier autrement cette « production », pour reconnaître qu’à l’évidence, elle constitue une « œuvre ». C’est bien, à tout le moins, l’ambition que se fixe naturellement un « auteur ».

« Lolita sur l’escarpolette », par Pierre Georges

Article paru dans l’édition du Monde du 15 octobre 1991.

La cage est dorée. Une femme-enfant, une femme-oiseau se balance en sifflotant et en versant du parfum. Un gros chat, jaune lui aussi, rêve de croquer Lolita Paradis. Et le fantôme de Coco Chanel pose la main sur un flacon.

Trente secondes, trente petites secondes, pour un vrai chef-d’œuvre de publicité, un merveilleux petit conte poétique. Ce n’est pas vouloir faire de la pub à cette pub que de le dire. Mais simplement le constater : le bonheur, on parle de celui du téléspectateur, peut se nicher dans une cage dorée, dans une petite histoire sans presque de paroles et pourtant tellement bien dite qu’on doit envier le talent du créateur.

La publicité à la télévision est partout, vieille ennemie familière, marée sans cesse montante qui s’impose, s’insinue, corrompt parfois, corrode souvent. La publicité est en terrain conquis, chez elle, nerf de la guerre et pompe à finances, patronne tyrannique des chaînes et de l’Audimat. Elle dicte les programmes ou les choix, volant toujours au secours du succès d’audience, quel qu’en soit le prix, même celui de la médiocrité. Elle est la fille indigne du cinéma, qu’elle entend saucissonner et vampiriser.

Mais la publicité est aussi, et plus souvent qu’on ne dit, une amie familière et plaisante, cursive et furtive, qui fait sourire ou rêver, s’évader ou vendre. Elle est l’art récent et devenu irremplaçable du bref-métrage. Au point qu’une publicité nouvelle se remarque à l’écran tout autant qu’une émission nouvelle. Et que certaines méritent d’entrer dans le patrimoine culturel du temps.

C’est le cas pour cette publicité Chanel, due, le mot n’est pas trop fort, au génie créateur de Jean-Paul Goude. Il fallait oser, pour un produit de luxe, réécrire et poétiser les aventures de Titi et Grosminet. Il fallait oser, pour promouvoir un parfum, mettre la beauté en cage, façon escarpolette, et prendre le risque de rompre avec la tradition des femmes raffinées et parfumées de naissance.

Vanessa Paradis, Titi ou Lolita, comme l’on voudra, est venue chez Elkabbach. Comme elle fera demain, ou fait déjà, la une de nombreux journaux féminins. Elle avait cette mine un rien boudeuse, ce charme un peu trouble des femmes-enfants qui, dans certaines attitudes, rappelait irrésistiblement Brigitte Bardot à l’ère du tissu Vichy. Elle avait, excusez du peu, dix-neuf ans déjà, une carrière derrière elle, et bien des soucis d’adulte. Même que Grosminet Elkabbach en fut tout paternel.

Scénographie de l’exposition

Photographies de la scénographie © MAD, Paris / photo : Luc Boegly

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