Bois de cerisier verni et peint en rouge, ivoire peint et doré, verre et miroir
Pierre Garnier (1726-1806), Paris, vers 1761
Estampillé trois fois : « P. GARNIER » (sur le tiroir central)
H. : 104 cm ; L. : 71 cm ; Pr. : 30 cm
Inv. 2009.1.1
Acquis grâce au mécénat de Michel et Hélène David-Weill

Ce cabinet repose sur quatre pieds cambrés surmontés de volutes et se terminant en pointe de flèche, avec tablette d’entretoise. Il ouvre par un tiroir central en ceinture, garni de velours vert. Le dessus de la partie supérieure est vitré et entouré d’une galerie de bois ajouré formant une frise de grecques et de cercles entrelacés. Le cabinet est ouvert en son milieu laissant apparaître le fond et l’arrière garnis de miroirs. La façade et les côtés sont ornés de plaques d’ivoire ajourées, peintes et dorées figurant différents motifs : fleurs et oiseaux, paysages chinois, motifs géométriques, animaux du bestiaire chinois, sages chinois… montées dans des bordures en bois de cerisier, alternant avec des parties de bois travaillées à jour selon des motifs de cercles entrelacés, plates-bandes et rosaces.

Alors que le goût pour les chinoiseries dans le mobilier parisien s’était surtout traduit par l’utilisation de panneaux de laques orientaux ou d’imitations de ce matériau, adaptés aux bâtis occidentaux des meubles, ce meuble constitue un exemple unique d’utilisation de plaques en ivoire sculptées à jour, de manufacture chinoise, dans un meuble dont la silhouette se veut elle aussi évocatrice du mobilier oriental.

Conçu par son auteur vers 1760, il témoigne également des recherches formelles qui virent le jour au début de la seconde moitié du XVIIIe siècle et dont Pierre Garnier fut un des promoteurs enthousiastes.

Son originalité lui valut un commentaire détaillé paru le 30 novembre 1761 dans le journal de l’Avant-Coureur : « L’ébénisterie est un de ces arts où le goût et la recherche ont le plus d’occasion de se montrer ; l’artiste y a toujours du moins le mérite de la difficulté vaincue. Notre siècle plus minutieux qu’aucun autres, est très curieux de ces petits meubles de rapport où la précision de l’ouvrier se fait admirer, et nous en avons vu de ce genre qui nous a paru mériter l’attention des connaisseurs. C’est une espèce de petit cabinet dont le revêtissement est formé de pièces d’ivoires découpées, sculptées, dorées et peintes en Chine. Les espèces de tableaux que forment ces pièces, sont adroitement distribués sur le fond qui est de bois de cerisier travaillé à jour en guillochis, découpé en grillage. Le tout forme une table posée sur un soubassement, à la moitié des pieds de laquelle se trouve, comme un vide-poche ; une tablette bordée de bandes à jour, faisant la corbeille. Sur cette table se trouve le cabinet doublé de glace et orné de pilastres qui coupent les tableaux Chinois. Une galerie en guillochis découpé, couronne l’ouvrage. On a ménagé un grand tiroir dans le soubassement des côtés. Toute cette jolie machine fait honneur au sieur Garnier, ébéniste, qui a tiré parti des pièces et travaillé le morceau d’ébénisterie qui leur sert de fond. Les curieux pourront voir cette pièce chez lui, rue Neuve-des Petits-Champs, vis-à-vis Monsieur de Montmartel. »

L’historien du mobilier ne bénéficie pas toujours de témoignage aussi précis, ce qui augmente l’intérêt de ce meuble. Son auteur semble surtout avoir été séduit par la précision du travail, l’originalité de l’agencement des différents éléments décoratifs et par le découpage du bois. Cette découpe à jour fait écho à celle des plaques d’ivoire et constitue bien évidemment la grande nouveauté tant du point de vue technique (aucun meuble français connu à ce jour ne présente une telle mise en œuvre) que du vocabulaire ornemental qui se déploiera bien plus tard sur les meubles néoclassiques.

Garnier offre ici un premier exemple de l’influence britannique qui s’exerça davantage dans les années 1780. La publication par Thomas Chippendale en 1754 de son recueil de modèles intitulé Gentleman and Cabinet Maker’s Director n’y est certainement pas étrangère et joua un rôle évident dans cet engouement pour les formes venues d’Outre-Manche.

Une question reste cependant sans réponse : auprès de qui Garnier se procura-t-il ces ivoires ? Si le meuble avait été un meuble commandé, il eut été possible que le client lui-même ait possédé ces plaques et en ait demandé l’agencement. La publicité faite à ce meuble laisse plutôt supposer que nous sommes en présence d’une création pure de Garnier, d’un amusement ? Sans doute acheta-t-il ces plaques auprès d’un marchand-mercier. Il s’agirait de plaques réalisées à Guangdong, production extrêmement rare sur le marché occidental car non destinée à l’exportation et en général produite pour l’empereur.

Outre son caractère exceptionnel que nous avons souligné à plus d’un titre, ce meuble pourrait figurer avec raison dans la salle du Musée des Arts Décoratifs consacrée à la chinoiserie et plus particulièrement sur le podium qui se veut un intérieur de marchand-mercier offrant au regard du visiteur la diversité des objets inspirés ou composés d’après des éléments orientaux.

Aux côtés des deux meubles de facture anglaise, la table de toilette-secrétaire en vernis jaune (inv. 23469) et du fauteuil de type Chippendale (inv. 20153), ce cabinet français, illustrerait les prémices de l’influence anglaise via la Chine. L’utilisation des plaques d’ivoire dans son ornementation permettrait d’évoquer ce matériau non représenté parmi ceux qui furent appréciés des amateurs.

Pierre Garnier est peu représenté dans les collections nationales et internationales. Son œuvre, bien connue maintenant grâce aux travaux de Christophe Huchet de Quénetin, montre qu’il fut un des plus ardents défenseurs du néoclassicisme naissant, souvent audacieux dans ses formes, ce que ce meuble ne dément pas. Au sein de sa production, ce cabinet séduit par son élégance et par l’originalité de ses pieds terminés en pointes de flèche semblant défier les lois de la stabilité !

Le Musée des Arts Décoratifs conserve un seul meuble de Pierre Garnier, un médailler qui aurait appartenu au duc d’Orléans s’inscrivant pleinement dans le groupe des meubles dits « à la grecque » (inv. 32633, don David-Weill).

L’acquisition de ce cabinet rendt le Musée des Arts Décoratifs possesseur d’un meuble illustrant à la fois le génie de Pierre Garnier et l’inventivité des ébénistes parisiens alliée à un savoir faire inégalable.

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