Des luttes pacifiques. Les expositions de la seconde moitié du XIXe siècle

Les origines de l’Union centrale et ses premières années d’existence sont intimement liées aux expositions contemporaines : celles de 1851 à Londres et de 1855 à Paris, mais également celles organisées par la Société du progrès de l’art industriel en 1861 et 1863, puis celles qui en sont les héritières. Qu’elles soient universelles, internationales ou françaises, les expositions constituent dans la seconde moitié du XIXe siècle autant de moments fondateurs pour l’identité et les collections de l’institution. Ces luttes pacifiques, selon l’oxymore fréquemment employé par les commentateurs et les écrivains de l’époque, confrontent non seulement les nations entre elles, mais aussi les arts à l’industrie.

Les Expositions universelles

L’industrialisation croissante et la théâtralisation de la société sont à l’origine des Expositions universelles1. La puissance économique et politique des pays organisateurs et invités y sont exhibée et les différentes productions y sont comparées, dans le contexte émergent de la mondialisation. « Elles renforçaient, en présentant les progrès, les inventions, les nouveautés de constructions industrielles, techniques et sociales, scientifiques, la croyance dans le perfectionnement de l’homme et son but final : une civilisation mondiale unitaire. Tous les hommes devenaient frères2 ». Même si elles sont empreintes de nationalisme, par leur nature, les Expositions universelles constituent aussi un terrain d’épanouissement d’une conception unitaire du monde qui tend à se développer depuis le comte de Saint-Simon3 et qui se manifeste autant dans les discours de Napoléon III4 que dans les écrits de Victor Hugo5. Poursuivant d’autres objectifs, la mission de l’Union centrale consiste à rapprocher arts et industrie – artiste, artisan, industriel et ouvrier doivent s’unir – mais s’inscrit néanmoins dans ce même courant de pensée qui cherche à créer un ordre nouveau.

Les Expositions universelles se caractérisent par leur faste, grâce à de spectaculaires mises en scène. La conception des espaces, que les toiles peintes par Prosper Lafaye ou les nombreuses vues photographiques permettent d’appréhender, peut être confiée à un artiste, comme en 1851 quand Jules Diéterle, peintre, chef des travaux d’art à la manufacture de Sèvres et futur membre de la commission consultative des beaux-arts appliqués au sein de l’Union centrale, organise la présentation des produits des manufactures nationales françaises6. Grâce aux écrits de Saint-Simon7, puis à ceux de Léon de Laborde8, les artistes sont envisagés comme les acteurs de l’union entre arts et industrie. Les collaborateurs des manufactures et des fabriques, impliqués dans la création de l’Union centrale, occupent au sein des Expositions universelles une place prépondérante parmi les exposants et les médaillés. L’Union centrale acquit ainsi au cours de son histoire des œuvres importantes présentées à Paris en 1855 – comme le papier peint Les Prodigues de Jules Desfossé, d’après un dessin de Thomas Couture, et le Surtout des Cent Couverts de la maison Christofle - et en 1867 - tel l’ensemble de dessins pour châle d’Anthony Berrus. L’Exposition universelle de 1878 est l’occasion d’enrichir les collections avec des pièces britanniques produites par les manufactures de Minton et de Doulton. En 1889, la céramique et l’orfèvrerie forment les acquisitions les plus importantes : le coffret de Henri Vever, la coupe de Germain Bapst et Lucien Falize ou le vase d’Auguste Delaherche en sont des exemples remarquables.

En tant que vitrines de pays en représentation, les Expositions universelles sont aussi des moments de profonds remaniements urbanistiques et architecturaux, que certains peintres se plaisent à illustrer, comme Georges Clairin avec Les Fontaines lumineuses à l’Exposition de 1889. Lors de cette exposition, l’Union décide d’ériger un pavillon9. Il s’agit, quelque temps avant l’ouverture officielle du musée au pavillon de Marsan, de marquer les esprits par une démonstration de style et de présenter les dernières acquisitions, en somme de proclamer le rôle essentiel tenu par l’Union sur la scène artistique française. Le décor du pavillon doit rejoindre une salle du musée prévue à cet effet. Le pavillon et son intérieur, composé de quatre salles, sont réalisés par l’architecte décorateur Georges Hoentschel. Après l’entrée, le visiteur pénètre dans le salon du bois orné de tentures d’Adrien Karbowsky et de boiseries de Hoentschel, et y admire des pièces de céramique, de verre et de métal réalisées par de grands artistes contemporains. L’Île heureuse et le hanap Les Métiers d’art, commandés par l’Union centrale respectivement au peintre Albert Besnard et à l’orfèvre Lucien Falize, complètent l’ensemble. La salle de la céramique, qui jouxte cette pièce, contient les grès de Hoentschel et le petit salon présente les créations du Comité des dames (voir L’empreinte féminine).

1Voir Werner Plum, Les Expositions universelles au XIXe siècle, spectacles du changement socio-culturel, Bonn, Cologne, Friedrich-Ebert-Stiftung, 1977, [trad. de l’allemand par Pierre Gallissaires] ; Linda Aimone, Carlo Olmo, Les Expositions universelles, 1851-1900, Paris, Belin, 1993, [trad. de l’italien par Philippe Olivier] ; Brigitte Schroeder-Gudehus, Anne Rasmussen, Les Fastes du progrès, le guide des Expositions universelles 1851-1992, Paris, Flammarion, 1992 ; Myriam Bacha (dir.), Les Expositions universelles à Paris de 1855 à 1937, Paris, Action artistique de la Ville de Paris, 2005.

2Plum, 1977, p. 58.

3Les principaux acteurs français de ces expositions étaient saint-simoniens, tels Frédéric Le Play ou Michel Chevallier

4« Les âpres rivalités, les haines internationales naissent souvent de l’isolement ; il suffit souvent de rapprocher les peuples pour éteindre ces haines. Sous ce rapport, l’Exposition universelle a produit un immense résultat ; de tous les coins du globe, les visiteurs ont afflué à Paris. Le spectacle des progrès réels accomplis dans la voie du bien-être moral et matériel a développé parmi tous, étrangers et Français, des sentiments de considération réciproque. C’est ainsi que se propage la fraternité des peuples », discours de Napoléon III en 1855 cité dans V. Meunier, « Expositions des produits industriels », Encyclopédie du XIXe siècle, répertoire universel des sciences, des lettres et des arts, Paris, Bureau de l’Encyclopédie du XIXe siècle, 1870, 3e éd., t. XXV, p. 505.

5Voir notamment le chapitre « L’Avenir », dans Paris, introduction à un ouvrage destiné aux visiteurs de l’Exposition universelle de 1867 : Paris Guide, par les principaux écrivains et artistes de la France, Paris, Librairie internationale, 1867.

6Sèvres, Cité de la céramique, archives, U9 L4 D3.

7Claude-Henri de Rouvroy, comte de Saint-Simon, « L’artiste, le savant et l’industriel, dialogue », dans Saint-Simon, Léon Halévy, Jean-Baptiste Duvergier, Olinde Rodrigues, Opinions littéraires, philosophiques et industrielles, Paris, Bossange père, 1825.

8De l’union des arts et de l’industrie, Paris, Imprimerie impériale, 1856.

9Évelyne Possémé, « Le salon du bois au pavillon de l’Union centrale à l’Exposition universelle de 1900 », Revue de l’art, 1997, n° 117, p. 64-70.

Les expositions de l’Union centrale

Dès l’exposition des arts industriels de 1861, les organisateurs, membres de la Société du progrès de l’art industriel, présentent des dessins décoratifs et industriels, des objets fabriqués et manufacturés ayant rapport avec l’art, des dessins scientifiques, des photographies et des reproductions1. Pour la deuxième exposition, en 1863, ils optent pour une division tripartite comprenant une exposition libre d’œuvres et de pièces modernes, une présentation des travaux des écoles de dessins des départements et de Paris, et une section rétrospective. Le but consiste à encourager la création par l’émulation et la concurrence entre exposants, à enrichir la créativité grâce aux exemples du passé, et à stimuler les jeunes générations en exposant et en confrontant leurs réalisations. La thématique de la section rétrospective varie à chaque exposition. D’abord généraliste en 1863 et 1865, elle est consacrée aux arts orientaux en 1869 (voir À la découverte de l’Orient). En 1874, un « musée historique du costume » est organisé grâce aux prêts de collectionneurs particuliers et d’institutions publiques comme le Mobilier national, les Archives nationales et la direction des Beaux-Arts. Deux ans plus tard, la tapisserie a les honneurs de cette section, pour laquelle le South Kensington Museum envoie même des pièces.

Après l’Exposition universelle de 1878, dans un souci d’approfondissement pédagogique et de renouvellement, les autorités de l’Union centrale décident d’organiser des « expositions technologiques ». Celles-ci présentent les matières premières, les outils de travail et un ensemble d’œuvres remarquables du point de vue de l’art et de la technique. Un panorama historique de la technique les complète. Ce programme technologique découle certes de l’organisation des Expositions universelles, mais il reflète également les mutations de l’institution. En 1880, en effet, le parcours du Musée des Arts Décoratifs, qui occupe temporairement quelques salles du palais de l’Industrie, fait se succéder les techniques et les matières2.

Cette année-là, la première « exposition technologique » est consacrée au métal avec l’orfèvrerie, la joaillerie, la bijouterie, les bronzes d’art et d’ameublement, ainsi que la fonte. Une intense et inhabituelle activité règne au palais de l’Industrie : « Sur son grand palier s’ouvre l’exposition de M. Barbedienne. Les parties basses seront occupées par des ateliers en action. En face de celui-ci, se dressent les somptueuses installations de MM. Denière, Christofle et Dasson, et sur les flancs s’organisent les expositions des matières premières et des ateliers de travail mis en communication avec les moteurs à vapeur qui fonctionnent dans les galeries et au-delà du pourtour3. » Suite à cette exposition, Paul Christofle, président de la commission administrative et financière de l’Union, donne un service à café Louis XVI, dont le premier exemplaire, appartenant à l’époux de la marquise de Païva, avait déjà figuré à l’Exposition universelle de 18674. Les productions de Christofle étaient souvent distinguées et acquises par l’Union, comme le vase-torchère exposé en 1874. La deuxième exposition technologique, en 1882, est consacrée au bois, au tissu, au papier. La troisième, enfin, en 1884, s’attache à la pierre, au bois, à la terre et au verre. Théodore Deck, « le rénovateur de la céramique française5 », François Eugène Rousseau, qui a « contribué au mariage si nécessaire et si pressant de l’art avec l’industrie6 », et Émile Gallé « un savant, un artiste, un poète7 » sont salués par la critiques. À l’issue de la manifestation, l’Union centrale leur achète des œuvres, confortant la place que l’histoire de l’art semble leur promettre.

1Société du progrès de l’art industriel, Exposition des arts industriels au palais de l’Industrie, Paris, imprimerie Vallée et Cie, 1861, article 6, p. 2.

2Tissus, métaux, mobilier, peintures, en plus des salles consacrées à l’Orient, aux moulages, à la collection de Jules Audéoud et aux œuvres de Pierre-Victor Galland.

3Anonyme, « Bulletin de l’Union centrale des beaux-arts appliqués, l’exposition », Revue des arts décoratifs, 1880-1881, t. I, p. 74.

4Anonyme, « Le service à café donné au musée par la maison Christofle », Revue des arts décoratifs, 1880-1881, t. I, p. 79-80.

5Louis de Fourcaud, « Rapport général », Revue des arts décoratifs, 1884-1885, t. V, p. 259.

6Paul Arène, « La céramique. 3e groupe », Revue des arts décoratifs, 1884-1885, t. V, p. 172.

7Edmond Bazire, « Verrerie, émaux, mosaïque. 4e groupe », Revue des arts décoratifs, 1884-1885, t. V, p. 194.

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