Jules Chéret et la critique d’art de Roger Marx à Gustave Kahn

Extraits du catalogue, par Noriko Yoshida

Roger Marx et l’affiche en tant qu’art social

Roger Marx remarque, en 1889, dans l’œuvre de Jules Chéret, la figure féminine surnommée la « chérette » qui apparaît dans une atmosphère « chatoyante d’éclat, de lumières, radieuse de jeunesse et d’humour ». Cette atmosphère provient bien sûr du sujet de cette publicité : le monde du spectacle, mais aussi du style très soigné de Jules Chéret. Celui-ci sait parfaitement, selon le critique, rendre de façon vivante, en couleurs éclatantes, dans tout leur charme, les portraits des « danseuses coquettes » ou des « bouffons ridicules ». Roger Marx compare ensuite Jules Chéret, « un maître de goût, de tempérament, de style tout français », aux peintres du XVIIIe siècle. Pourtant, son admiration pour cet affichiste est liée à une conception résolument moderne de l’art. L’effet décoratif des affiches de Jules Chéret apporte, selon lui, non seulement « le pittoresque moderne » à l’uniformité architecturale du Paris haussmannien, mais il incarne également toute la modernité associée aux nouveaux moyens de communication, aux nouvelles industries d’art et à la vulgarisation artistique. Roger Marx affirme, en 1898, que « comprise par tous les âges, aimée du peuple, l’affiche s’adresse à l’âme universelle : elle est venue satisfaire des aspirations nouvelles et cet amour de la beauté que l’éducation du goût répand et développe sans arrêt ». L’affiche, dont le meilleur créateur est pour lui Jules Chéret, assume donc une mission radicalement progressiste de l’art : auparavant réservée à une seule élite, à présent adressée à tous, la diffusion de l’art doit s’adapter à la souplesse et à la variété de la vie quotidienne que rencontre le grand public. C’est dans ce contexte que le critique expose le programme ambitieux d’un musée de l’affiche dans L’Estampe et l’Affiche, en décembre 1898. Proclamant avec fermeté « faites-en un département du futur Musée des Arts Décoratifs, [ou] une annexe de la Bibliothèque nationale », il demande la création d’un musée républicain idéal, d’un lieu d’éducation artistique distinct de l’école, destiné à mettre plus directement la foule en contact avec l’art.

Gustave Kahn et l’affiche au service de l’esthétique de la rue

Pour Gustave Kahn, Jules Chéret est l’inventeur incontesté d’une nouvelle forme d’art : l’affiche illustrée polychrome. Toutefois, au cours de la première décennie du XXe siècle, il fait une place nuancée à l’art de l’affiche chez Jules Chéret par comparaison avec ses récents dessins pour tapisseries. Jules Chéret puise, selon lui, les éléments dont sont constituées ses œuvres décoratives actuelles dans ses premiers travaux. L’affiche se positionne donc comme une étape préparatoire grâce à laquelle la carrière de Jules Chéret a pu se développer vers la grande décoration. L’affiche se trouve au cœur du questionnement sur la hiérarchie interne des arts décoratifs, et sur la revalorisation débattue de l’« art industriel » ou de l’« art appliqué ». Une fois perdus dans le mouvement du renouveau des « arts décoratifs » à la fin du XIXe siècle, ces deux termes reprennent en fait leur sens, en ce début du XXe siècle, dans le courant moderne en faveur de la production industrielle et de la diffusion commerciale. Jules Chéret a été – et est encore aujourd’hui – un sujet inépuisable de recherches tant pour son style que pour la réception de sa production.

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