Lithographe, imprimeur, « inventeur de l’affiche moderne », dessinateur, peintre, décorateur, ami de Huysmans, Rodin ou Bourdelle, collectionné par Seurat, admiré par Signac et Manet, Jules Chéret (1836-1932) est une figure marquante des milieux artistiques et littéraires de la fin du XIXe siècle et du début du XXe siècle. Surnommé le « Tiepolo des Boulevards » et le « Watteau des Carrefours » par ses contemporains, il a contribué à transformer, par son immense production d’affiches en couleur, le paysage urbain en faisant descendre l’art dans la rue. Dans son sillage on trouvera, Mucha, Lautrec, Cappiello…

La carrière de Jules Chéret s’inscrit dans le contexte économique de la seconde révolution industrielle. La fin du XIXe siècle ouvre l’ère de l’image avec la diffusion massive d’illustrations, rendue possible par le développement des techniques d’imprimerie, en particulier la lithographie. L’illustration est omniprésente dans la vie quotidienne : journaux, livres, affiches, menus, éventails, étiquettes, etc. La libéralisation de la presse, l’émergence du chemin de fer et des grands magasins contribuent à l’intensification des échanges et à l’élargissement des marchés, qui créent une demande toujours plus grande pour l’affiche et l’illustration. La passion pour les spectacles qui gagne l’ensemble de la société française est à l’origine de milliers d’affiches. Considéré par ses contemporains comme le « père de l’affiche en couleur » et « l’inventeur de l’affiche moderne », Jules Chéret est au cœur de cet essor. Il aborde tous les secteurs de l’activité économique de la fin du XIXe siècle, du cirque et du café-concert aux expositions, en passant par le prêt-à-porter et les produits cosmétiques, sans oublier la pharmacie ou encore la presse. Apprenti lithographe à Paris, il dessine des en-têtes de lettres et des images pieuses mais il pressent déjà que cette technique d’impression offre des possibilités d’applications inexploitées en France. Il part pour Londres et s’y installe en 1859. Il forme son regard au contact des œuvres de Gainsborough ou Turner. Il découvre surtout la lithographie en couleurs et son utilisation industrielle, en particulier dans le domaine naissant de l’affiche. Sa rencontre avec le parfumeur Eugène Rimmel, dont il illustre Le Livre des parfums et les nombreuses étiquettes et vignettes destinées à l’emballage de produits cosmétiques, marque les débuts d’une fructueuse collaboration. En 1866, Jules Chéret revient à Paris et installe son imprimerie lithographique grâce aux fonds prêtés par Rimmel. Sa première affiche, La Biche au bois, rencontre un grand succès et marque les débuts d’une intense période créative. L’affiche artistique commerciale est née.

En 1881, Chéret cède son imprimerie, mais il en conserve la direction artistique. Il continue à illustrer livres, journaux, menus et participe à la vie culturelle par ses expositions. La critique a très vite perçu Chéret comme un novateur, non seulement parce qu’il invente une nouvelle forme d’art, mais surtout parce qu’il apporte un souffle d’air frais à la peinture engluée dans le conformisme stérile « des choses tristes » selon la formule de Huysmans au Salon de 1879. Il représente un art vivant, offert à tous. Le dessin vif, les compositions dynamiques, rythmées, ascendantes, les cadrages, les couleurs claires renouvellent les regards, questionnent, inspirent Georges Seurat ou Toulouse-Lautrec par exemple. Il invente une typologie de personnages, comme celui de la femme gaie, parisienne mutine, cousine de Colombine, délicate et légère : « La Chérette ». Le clown, à la face colorée et toujours rieuse surmontée d’une houppe, est une autre figure récurrente de son œuvre. Chéret fait évoluer son corps en toutes sortes de contorsions, dans un jeu de courbes et contrecourbes.

Sous l’influence de la critique et des amateurs d’estampes, l’affiche devient un objet de collection et une nouvelle mode apparaît : l’affichomanie, la collection d’affiches. Chéret se trouve au centre de ce phénomène et ses réalisations sont très recherchées. Des expositions et des revues spécialisées lui sont consacrées. Il figure dans toutes les expositions et appartient à tous les cercles artistiques, des montmartrois aux impressionnistes dont ses affiches ornent les murs. Il est en relation avec un impressionnant réseau d’artistes, de critiques, d’écrivains, de collectionneurs. L’impact de ses affiches dépasse la sphère commerciale et pénètre la sphère culturelle.

C’est à la demande du directeur du musée Grévin que Chéret aborde la décoration intérieure. En 1894, il peint deux petits tableaux destinés à orner les dessus-de-porte de la propriété du directeur puis en 1900, le rideau de scène du petit théâtre du musée. Dès lors, il ne cesse de caresser le rêve de participer au décor complet d’une demeure. Ses désirs seront réalisés, en 1896, aux côtés de Rodin, Charpentier et Bracquemond, pour la villa La Sapinière du baron Vitta à Evian. Suivront les salons de l’Hôtel de Ville de Paris, ou encore la préfecture de Nice. On retrouve dans ses fresques les couleurs, les compositions et les personnages emblématiques de ses affiches, lancés dans des mouvements ascensionnels. Des panneaux décoratifs, Chéret passe à la tapisserie grâce à l’obstination de Maurice Fenaille, qui lui commande des projets pour sa villa de Neuilly, « contre la résistance des artistes officiels à laisser s’ouvrir les Gobelins devant un artisan parvenu à la maîtrise de l’art de peindre, tel Chéret ». En abordant le décor, Chéret ne change pas de style, il élargit sa vision en donnant enfin libre cours à son rêve.

1 COMMENTAIRE
  • Bravo !
    24 juin 2010 00:11, par Topsy

    Très jolie exposition, qui explore toutes les facettes du personnage. A découvrir ou re-découvrir sans attendre. http://urbanites.canalblog.com/

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