Que sont devenus le décor de table et le cérémonial de la réception aujourd’hui ? Telle est la question à laquelle veut répondre cette exposition, en faisant le constat de voies nouvelles proposées par une génération de créateurs s’intéressant à nos rapports renouvelés à la nourriture et à l’art de vivre à table. L’idée centrale de l’exposition est de faire participer le visiteur à un véritable festin céramique au cours duquel tous les sens – y compris le sens critique – sont mis en alerte.

La vogue des décors de table grandioses a culminé aux XVIIe et XVIIIe siècles, liée au service « à la française », à son abondance de nourriture, de vaisselle et de serviteurs. Le centre de table –à la fois décoratif et utile car il réunissait souvent les salières, huiliers-vinaigriers et boites à épices, et comportait quelquefois des bras de lumière- devint à cette époque et pour ces raisons l’élément majeur de ces « plans de table » très architecturés. Pièces de centre, surtouts, « chemin de table » ne pouvaient que tomber progressivement en désuétude dès la deuxième moitié du XIXe siècle, quand le service devint « à la russe », avec un menu imposé et un nombre réduit de plats circulant désormais un par un, qui correspond au service en vigueur aujourd’hui.

Au cours du XXe siècle, les centres de table sont jugés encombrants, trop protocolaires, bref désuets. Depuis quelques années, de jeunes créateurs souhaitant lier à nouveau la gastronomie au plaisir de l’œil proposent une relecture contemporaine de cette tradition oubliée du centre de table. Qu’ils soient artistes réalisant des pièces uniques ou designers répondant à la demande de célèbres manufactures, leur goût de l’effet spectaculaire flirte avec un soupçon de décadence et les décors qu’ils créent surprennent, par leur distance assumée vis-à-vis de ce qu’on appelait autrefois les convenances ou les bonnes manières...

En nous confrontant à des sensations visuelles extrêmes, les « petits bouleversements » provoqués par ces jeunes artistes n’ont qu’une ambition, celle de redonner le goût de l’émerveillement, l’envie de « mettre les petits plats dans les grands ».

L’exposition Petits bouleversements au centre de la table a été présentée à la Fondation d’entreprise Bernardaud (Limoges) du 24 juin au 30 octobre 2008. Cette exposition a été conçue et produite par la Fondation d’entreprise Bernardaud.

Barnaby Barford

Né en 1977, vit à Londres (Grande-Bretagne). Diplômé du Royal Collège of Art en 2002, Barnaby Barford a été élu « Créateur de l’année » en 2004 par le magazine « Wallpaper » pour ses créations sculpturales réalisées à partir de petites figurines de porcelaine achetées dans des « Charity Shops » londoniens ou sur Ebay. Utilisant des techniques de restaurateurs en céramique, il retravaille ces bibelots sentimentaux vulgarisés, qui deviennent grâce à lui de nouveaux personnages à l’innocence perdue mais « reliftés » avec humour, racontant des histoires de sexualité, d’hybridation et de consommation, comme autant de reflets de nos illusions contemporaines. Plats, assiettes, coupes et socles-colonnes se transforment en petits théâtres de la cruauté et de la métamorphose.

Cor Unum

Depuis 1953, la manufacture de céramique Cor Unum à Hertogenbosch (Pays-Bas), petite structure de production employant une majorité d’employés avec handicap, collabore avec des designers internationaux qui conçoivent des objets originaux pour la maison, souvent en édition limitée. Une collection intitulée Centerpieces a été initiée en 2006 avec le concours de jeunes designers hollandais parmi les plus reconnus du moment : parmi eux, Ineke Hans a conçu une montagne-présentoir à petits gâteaux intitulée Sugar Candy Mountain ; le groupe Demakersvan propose quant à lui Lucky Charm, une version de table d’un « charming bracelet » à porte-bonheurs, avec sa chaîne en porcelaine réunissant divers pièces de vaisselle que l’on peut utiliser si l’on en brise les maillons.

Valérie Delarue

Née en 1965, vit à Paris (France). Le thème de prédilection de l’artiste est la « Vanité », l’expression des sentiments humains par le biais des éléments naturels, organiques, anthropomorphes ou zoomorphes. Ses trois grands plats décoratifs en faïence émaillée sont flamboyants : l’un intitulé Mon âme, ma chair, mon sang accumule des champignons dans une évocation étouffante de sous-bois sanglants ; l’autre est un Massacre de cochonnaille - tête, pieds, ongles et queue - présenté sur un décombre de plats brisés renforçant l’effet dramatique ; sa troisième création est une Pièce montée nappée d’un émail blanc d’alumine, telle une mystérieuse et fondante concrétion marine toute constellée de litchis.

Maria Loura Estevão

Née en 1960 au Portugal, vit à Paris (France). Par la photo, la vidéo, la performance, Maria Loura Estevão travaille sur la sphère privée et la culture féminine. Elle reconstitue la mémoire perdue de son adolescence passée au Portugal puis en France. Dans Dis-moi ce que tu manges et je te dirai qui je suis, cinq portugais immigrés, recrutés par annonce, tentent de répondre aux questions de l’artiste et témoignent de la façon dont la cuisine a construit leur identité. Maria Loura a réalisé au Portugal, dans la célèbre manufacture de Caldas da Rainha, les cinq recettes typiques évoquées par ses interlocuteurs, qui deviennent cinq objets d’art somptueux en faïence recouverte d’or fin. La vidéo intitulée La table de ma mère fonctionne comme un enchaînement de diapositives faisant référence à la tradition picturale de la nature morte : sur la table de la salle à manger de ses parents au Portugal, Maria dispose artistiquement des victuailles à profusion (poissons, viandes, gâteaux), fleurs, chandelier, napperons, petits plats…

Magdalena Gerber

Née en 1966, vit à Genève (Suisse). Capturées au vol par une caméra, les furtives scènes de vie urbaine que Magdalena Gerber transpose sur des assiettes en porcelaine excitent notre côté voyeur et notre inclination naturelle au mystère. Dans chacune de ses Tellerstories (Histoires d’assiette), tout en cherchant à susciter une énigme, l’artiste prend soin que l’angle choisi, la mise au point et le traitement final de la photo préservent toujours l’anonymat des personnages filmés. Le jeu des devinettes peut alors commencer entre les convives : « Qui sont-ils ? », « Que font-ils ? », « Où vont-ils ? », « Fiction ou réalité ? »… Aucun risque que votre voisin s’extasie sur le même décor que le vôtre, car chaque assiette est unique.

Studio Job

Pour Tichelaar Makkum (Pays-Bas). La collection de centres de table en biscuit de porcelaine à reliefs dessinée en 2007 par Studio Job (Job Smeets et Ninke Tynagel) a été réalisée par la plus ancienne manufacture hollandaise, Royal Tichelaar Makkum, célèbre pour sa production de type Delft depuis 1572. Les pièces créées donnent une bonne vision de l’humour insolent de ces designers belgo-hollandais : leur inspiration mixe des formes allégoriques avec des messages libertaires, dans un détonant mélange d’ingénuité et de violence. Pour une atmosphère de goûters d’enfants pas sages, amateurs de contes de fée effrayants et d’histoires de pirates macabres…

Daniel Kruger

Né en 1951, vit à Halle (Allemagne). Créateur de bijoux parmi les plus influents de sa génération, Daniel Kruger s’intéresse depuis le milieu des années 80 au domaine céramique et à l’histoire des formes d’usage interprétées par les grandes manufactures européennes. A cette tradition classique, il apporte une transgression avec ses décors décrivant des situations actuelles, ou avec des arrangements d’éléments naturels - branches, pierres, ossements comme dans cette série de plats et de vases en porcelaine, (2004) pour lesquels il cultive une volonté d’élégance et de « grandeur » baroque.

Marie-Louise Meyer

Née en 1970, vit à Halle (Allemagne). Jeune céramiste très remarquée sur la scène allemande depuis son diplôme en 1999 à l’Ecole des Arts appliqués de Halle, Marie-Luise Meyer inscrit son œuvre au croisement des univers du médical, de la science-fiction et du naturalisme. Curieux mélanges d’excentricité et de rigueur, jouant sur l’attirance et la répulsion, ses nourritures hybrides composent des buffets froids, à première vue appétissants et colorés mais qui intriguent vite par l’ampleur de leurs anomalies ou transmutations. Ce type de banquet a constitué l’une des surprises de l’exposition Imitations, irritations, illusions en 2004 au Hetjens Museum de Düsseldorf, qui a acquis une partie de son installation. L’artiste en présente ici une nouvelle version en quatorze plats, intitulée Arrière goût

Vika Mitrichenka

Née en 1972 en Biélorussie, vit à Amsterdam (Pays-Bas). A travers l’installation Les prédilections de Grand-Père, la jeune artiste replonge dans les souvenirs familiaux : sa grand-mère recollait la vaisselle brisée pour constituer de nouvelles pièces, sans s’apercevoir de son attitude créative « postmoderne ». Sa petite fille Vika lui rend hommage en moulant différents fragments de porcelaines anciennes pour façonner un service fantasque très « Grand Siècle ». Avec ses hauts présentoirs à sucreries, elle cite la passion cachée de son grand-père pour le chocolat, dont il était privé dans les temps difficiles, mais qui l’amènera à quitter sa première femme pour une véritable « amatrice de chocolat », qui n’est autre que la grand-mère « au service de porcelaine brisé »...

Heather Park

Née en 1943, vit à Londres (Grande-Bretagne). Ayant suivi une formation de peintre, Heather Park s’est tournée assez récemment vers la création céramique. Les ornementations très riches des reliquaires en orfèvrerie du Moyen Âge lui ont inspiré ses premières pièces en faïence, proches du surnaturel par leur exubérance décorative. La croissance du végétal, sa mort puis sa régénérescence sont des thèmes de prédilection. Avec la minutie et la concentration d’un bijoutier-graveur, l’artiste retranscrit la texture d’un corail patiemment modelé et piqueté de petits trous, pour réaliser des pichets, coupes et vases rutilants comme des trésors baroques, ou pour composer des bouquets « carnivores » ressemblant à d’infernales cornes d’abondance.

Simone Van Bakel et Monique Broekman

Céramiste née en 1966 et peintre née en 1967, vivent à Hertogenbosch (Pays-Bas). Le service Tafelgesprekken (conversation de table) s’amuse de la tendance aux régimes « basses calories », en proposant des contenants dont les courbes de surfaces ne peuvent être que peu remplies. Les nourritures deviennent spirituelles grâce à un décor peint, à lire comme un tableau fragmenté que la disposition sur table invite à recomposer. Conçue comme un dialogue, cette œuvre fait partie d’un cycle intitulé Les Dames de Broba, dans lequel les deux amies font leurs portraits et racontent l’histoire de leur complicité créative.

Pauline Wiertz

Née en 1956, vit à Amsterdam (Pays-Bas). Les centres de table en grès émaillé ou porcelaine conçus par Pauline Wiertz constituent une sorte de « cabinet de curiosités exotiques » : à partir de porcelaines anciennes chinées, de moulages sur nature de pattes de poulets, poissons, fruits et légumes, la céramiste réalise des sculptures extravagantes qu’elle décore de façon éclectique, à la manière baroque des anciennes manufactures de Delft ou de Meissen, souvent à l’aide de transferts sérigraphiques. Ces objets ornementaux insolites réinterprètent la tradition naturaliste des suiveurs de Bernard Palissy, célèbre potier français de la Renaissance dont le style à la fois réaliste et fantastique fascine encore aujourd’hui de nombreux artistes.

Silke Wolter

Née en 1969 en Allemagne, vit à Amsterdam (Pays-Bas). Pour son installation The Value of Gold (La Valeur de l’Or), la céramiste a moulé en grès de la vaisselle en plastique gris bon marché provenant des cantines allemandes de son enfance. Ce premier et laborieux changement de matière est doublé d’un autre ennoblissement procuré par un émaillage à l’or fin, qui change définitivement notre regard sur ces formes à priori banales. Comme par magie, les transformations successives rendent cette vaisselle désirable, assez somptueuse maintenant pour figurer sur la table d’un roi ou être utilisée lors d’un rituel religieux.

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