Les Utopies des années 60 à travers le fonds Jean-Paul Jungmann de la Bibliothèque du MAD

A travers le fonds de Jean-Paul Jungmann récemment acquis1, la Bibliothèque présente les mouvements utopistes des années soixante et soixante-dix en France, en écho à l’exposition Mobi Boom, l’explosion du design en France, 1945 – 1975.
Architecte, membre fondateur de la revue Utopie et du groupe Aérolande avec lequel il réalise du mobilier en plastique gonflable, il conçoit également des projets d’architecture utopiques pour Paris, la place de la Concorde, la colline de Chaillot, les Halles, et la gare de l’Est, réunis dans une série d’ouvrages, L’ivre de pierres.

La Bibliothèque expose les projets, réalisations, et écrits radicaux de ces deux groupes, ainsi que des ouvrages illustrés de science-fiction et un ensemble de bandes dessinées représentatif des mouvements contestataires américain et français de ces deux décennies.
L’accrochage est complété par un ensemble de couvertures de disques de Columbia Records réalisées par des artistes de renommée internationale qui furent données en 1967 à la Bibliothèque par John Berg, directeur artistique de la firme.

Jean-Paul Jungmann fait partie de cette jeune génération qui, en réaction contre le dogmatisme moderniste, rêve d’architecture mobile, mise sur des pratiques alternatives de recyclage de matériaux récupérés et voue une fascination pour les structures légères, qu’elles soient tendues ou gonflables.

Les Halles de Paris. Jean Aubert & Hubert Tonka. L’Ivre de Pierres n°3, éd. Aérolande, 1980
© S. Nagy

Dans la continuité de l’art constructif des avant-gardes qui ont marqué le début du XXe siècle comme le Futurisme italien, le Constructivisme et le Suprématisme russes, la fascination pour les innovations de la technologie moderne se poursuit. Dans la même veine que leurs aînés, constructeurs de grandes structures, serres, gares, hangars de dirigeables, plate-formes off-shores, ou s’inspirant des dômes géodésiques de Buckminster Fuller, des groupes tels que Superstudio et Archizoom en Italie, les Métabolistes au Japon ou Archigram au Royaume-Uni misent sur de nouveaux concept d’habitat éphémère, mobile, inspirés par la conquête spatiale et les menaces écologiques qui pèsent désormais sur la planète.

Ces « architectures de papiers » sont les villes-capsules d’Akira Shibuya, de Youji Watanabe ou de Kisho Kurokawa (1966-1970), les villes-continent suspendues au-dessus du sol de Yona Friedman (1959), les villes-entonnoirs de Walter Jonas (1960), les Plug-in Cities, villes organiques de Peter Cook (1964).

Ils représentent une architecture purement théorique mais leurs idées, forgées dans l’actualité, s’inscrivent dans une réaction à l’ère de la consommation, et s’approprient, tout comme le Pop-Art, la culture populaire, les mass-media, l’univers électronique et s’inspirent de la science fiction.

Vers la Gare de l’Est. Jean-Paul Jungmann. L’ivre de pierres n°3, é. Aérolande, 1980
© S. Nagy

Tous ces éléments se retrouvent dans les projets futuristes du groupe radical Aérolande, constitué de jeunes architectes en fin d’études, Jean Aubert, Antoine Stinco et Jean-Paul Jungmann. Tous trois sont issus de l’atelier d’Edouard Albert à l’Ecole nationale supérieure des Beaux-Arts, figure de proue de l’introduction de la technologie en architecture par l’utilisation des matières plastiques, du béton précontraint et des structures tubulaires. Ils se regroupent en focalisant leurs recherches sur l’architecture de la mobilité. Les structures gonflables faisaient partie de l’air du temps. Une série d’évènements simultanés propulsa le groupe sur le devant de la scène.

En mai 1967, pour la Biennale de Paris, ils font sensation en présentant, des projets d’habitat mobile d’avant-garde : « Une maison dans une malle, les meubles dans une valise ». En juin 1967, pour le décor du film L’écume des jours d’après Boris Vian, ils créent une structure auto-tendue en tubes pneumatiques et tissu caoutchouc vulcanisé.

Le diplôme qu’ils présentent en commun, en juillet 1967, a pour thème l’architecture pneumatique : « Un podium itinérant pour 5000 spectateurs » , par Jean Aubert, « Dyodon, habitation pneumatique expérimentale » par Jean-Paul Jungmann, et « Un hall itinérant d’exposition d’objets de la vie quotidienne » par Antoine Stinco. Ces projets, exposés à l’Ecole des Beaux-Arts, furent remarqués par la presse.

L’originalité de leur démarche éveilla l’intérêt de François Mathey et de François Barré, fondateurs du Centre de Création Industrielle (CCI), ce qui leur donna accès à de nombreuses manifestations autour de la technologie du gonflable. Ce sont des années-clés pour l’histoire du design à la veille de l’ouverture du CCI par le Musée des Arts Décoratifs.

Récit d’une ruine future sur la colline de Chaillot ou le bel aujourd’hui. Jean-Paul Jungmann. L’ivre de pierres n°2, éd. Aérolande, 1978
© S. Nagy

Sous l’appellation A.J.S.– Aérolande (les initiales correspondant à leurs noms), ils participent successivement à l’exposition « L’Univers des Jeunes », aux Galeries Lafayette, en octobre 1967, à l’exposition « Les Assises du Siège contemporain » au Musée des Arts Décoratifs en mai 1968 et se voient chargés, par Pierre Gaudibert qui vient de créer l’ARC (Animation, Recherche, Confrontation), au sein du musée d’Art moderne de la Ville de Paris, d’organiser l’exposition « Structures gonflables », en mars 1968, manifestation internationale qui permit de faire le point sur cette technologie et fit date.

Après un temps d’arrêt, le projet théorique lié au gonflable fut repris en 1977 par Jean Aubert et Jean-Paul Jungmann qui publièrent L’ivre de pierres, dont les visions imaginaires et futuristes pour Paris sont d’une grande poésie.

Ces recherches pratiques sur une technologie innovante ne sont qu’un aspect de l’activité du groupe. Leur démarche fut essentiellement politique. Le groupe Utopie se constitua dès 1966, avec Jean Aubert, Isabelle Auricoste, Jean Baudrillard, Catherine Cot, Jean-Paul Jungmann, René Loureau, Antoine Stinco et Hubert Tonka, architectes, sociologues et philosophes préoccupés par la problématique de l’urbanisme, dont les écrits radicaux furent publiés principalement au travers d’Utopie, la revue de sociologie de l’urbain qu’il fondèrent.

Vision of the Future. Robert Mc Call, éd. Harry N. Abrams, 1982
© S. Nagy

Le fonds d’ouvrages présenté est représentatif des sources d’inspiration et de l’imaginaire de cette génération, en particulier les revues de bandes dessinées largement diffusées dans les milieux underground américains qui sont le reflet des critiques sociales et politiques des mouvements alternatifs.

1Acquisition réalisée grâce au soutien de Parsons Paris

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