29 mai 1905 : l’inauguration du Musée des Arts Décoratifs au pavillon de Marsan

Quatre décennies séparent la fondation de l’Union centrale de l’ouverture du Musée des Arts Décoratifs au pavillon de Marsan. Au cours cette période, marquée par les espoirs, les désillusions, les doutes et les évolutions, l’Union ne parvient pas à trouver le lieu pour satisfaire les objectifs qu’elle s’est fixés. Pourtant, le Musée des Arts Décoratifs a déjà ouvert ses portes en 1878 dans l’enceinte du Louvre, puis au palais de l’Industrie en 1880. Mais cette ouverture n’est que temporaire et aléatoire, au gré des expositions. Le critique Albert Wolff le qualifie de « musée improvisé des arts décoratifs1 ». Quels sont les choix de muséographie pour ces espaces et quelle est la réception du musée à son inauguration au pavillon de Marsan et dans une partie de l’aile nord du Louvre en 1905 ?

Un parcours de chefs-d’œuvre chronologique et géographique

Dans un premier temps, L’Union centrale est contrainte aux salles du palais de l’Industrie où elle tient ses expositions depuis l’origine, le siège social avec l’embryon du musée et la bibliothèque se trouvant place des Vosges. La guerre de 1870 constitue une rupture avec la liquidation de la société, suivie d’un élan nouveau : l’Union renaît de ses cendres en 18731. Une ode d’Horace, reprise à cette occasion par André Arnoux sur une plaque d’émail intitulée La Renaissance de l’Union centrale, n’affirme-t-elle pas : « Merses profundo, pulchrior evenit2 » [Précipitez-la au fond de la mer, elle en sort plus belle] ? En 1877, une association parallèle émerge : la Société du Musée des Arts Décoratifs, qui implante son musée au pavillon de Flore avant de rejoindre elle aussi le palais de l’Industrie3. Les objectifs et les personnalités étant les mêmes, les deux entités fusionnent en 1882 pour donner naissance à une nouvelle association, l’Union centrale des arts décoratifs4. L’un des premiers projets de la nouvelle Union est l’organisation d’une souscription nationale sous la forme d’une loterie destinée à apporter les ressources substantielles l’ouverture du nouveau musée. Celle-ci rapporte la somme de cinq millions de francs et permet d’enrichir les collections et de constituer une réserve financière pour les travaux qui l’occuperont bientôt5.

L’Union envisage de nombreux espaces pour s’établir, parmi lesquels la Cour des comptes, quai d’Orsay, que l’État lui concède en 1884. Une porte ornée de bas-reliefs représentant la Divine Comédie de Dante est même commandée par le ministère des Beaux-Arts à Auguste Rodin, bientôt connue comme La Porte de l’Enfer. Cependant, en 1894, le Sénat s’oppose à cette installation et une nouvelle implantation est désignée en 1897 : le pavillon de Marsan et une partie de l’aile nord du palais du Louvre. Les œuvres, qui étaient jusque-là présentées au palais de l’Industrie, sont alors mises en caisse, le palais étant lui-même promis à la destruction dans le cadre des travaux pour l’Exposition universelle de 1900.

Si le pavillon de Marsan a subi les foudres de la Commune, il est reconstruit à partir de 1874. L’Union peut ainsi progressivement prendre possession de ses locaux à partir de 1898. L’architecte Gaston Redon, aidé de l’architecte officiel de l’Union, Paul Lorain, donne au lieu sa fonction muséale. S’il doit ouvrir pour l’Exposition de 1900 comme en témoigne l’affiche réalisée par Charles Genty, une partie des espaces ouvre en 19026 et le musée est finalement inauguré le 29 mai 1905.

Ces aléas administratifs et « architecturaux » s’accompagnent d’un profond questionnement sur les missions du musée, dont le parcours représente tout l’enjeu7 . À quel public souhaite-t-on s’adresser ? Aux ouvriers, décorateurs et artisans, afin qu’ils se forment au bon goût à l’aune des exemples du passé ? Aux amateurs et collectionneurs qui prennent de l’importance dans les rangs de l’association et qui enrichissent les collections de leurs dons et de leurs legs ? Au grand public ? Plusieurs personnalités sont sollicitées pour proposer une présentation des collections. Ainsi, en 1877, Auguste Louvrier de Lajolais, peintre et directeur de l’École des arts décoratifs de Paris, défend un classement technologique reposant sur les matériaux, de leur état brut jusqu’au chef-d’œuvre. À ce choix, s’oppose le projet de Georges Lafenestre, critique d’art et futur conservateur au musée du Louvre, qui préconise un plan privilégiant la fonction des objets. Ce dernier, qui reçoit l’approbation de l’Union et de son président Antonin Proust, envisage aussi, pour combler les lacunes, de recourir à des reproductions galvanoplastiques réalisées notamment par Christofle & Cie, des moulages en plâtre de l’atelier Mathivet, des photographies et des chromolithographies. Le futur président de l’Union centrale, Georges Berger, et l’historien Germain Bapst, livrent ensuite une autre conception du musée en 1878 et 1886. Finalement, en 1905, le public peut découvrir un parcours chronologique ponctué de salles technologiques ou consacrées à des aires géographiques spécifiques, conçu par Georges Berger, Jules Maciet et Louis Metman, conservateur des collections. Le Guide sommaire à travers le Musée des Arts Décoratifs publié cette année-là est accompagné d’un plan qui révèle ce classement (voir le plan ci-dessous)8 : au premier étage sont installées de part et d’autre de la Nef les collections d’art gothique (salles 201-207), de la Renaissance (salles 206 à 226), puis les collections de l’époque de Louis XIV (salles 228-234) et de Louis XV (salles 209 à 221). À l’entresol du premier étage sont présentées les collections de l’époque Louis XVI (salles 259 à 267) et les œuvres italiennes (salles 251-257), allemandes (salle 256) et espagnoles (salles 258-260). La section consacrée aux étoffes se situe dans six salles (262 à 272) donnant sur la rue de Rivoli. Les salles consacrées à la période du XIXe siècle sont quant à elles localisées au rez-de-chaussée (salles 110 à 126 et 123), de même que les collections islamiques et orientales (salles 113 à 121).

La Nef est d’ores et déjà dédiée aux expositions et manifestations temporaires. Deux ans plus tard, l’album des Chefs-d’œuvre des arts décoratifs (1907) immortalise par la photographie cette présentation.

1Les Arts Décoratifs, bibliothèque, archives, A1/ 19 : statuts du 26-27 décembre 1873.

2Horace, ode IV, livre IV, vers 65.

3Elle se trouve au pavillon de Flore de 1878 à 1879, puis au palais de l’Industrie à partir de 1880.

4Les statuts ont été publiés dans le Bulletin officiel de l’Union centrale des arts décoratifs en 1882. Disponible à cette adresse : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5565437t [Consulté le 8 décembre 2014].

5Union centrale des arts décoratifs, Guide sommaire à travers le Musée des Arts Décoratifs, Paris, Imprimerie générale Lahure, 1905, p. 4.

6Voir Le Monde illustré, 14 juin 1902, p. 458-459.

7Voir à ce sujet les travaux de Rossella Froissart-Pezone : « Controverses sur l’aménagement d’un Musée des Arts Décoratifs à Paris au XIXe siècle », Histoire de l’art, n° 16, 1991, p. 55-65 et L’Union de l’art et de l’industrie : les origines de l’UCAD et du Musée des Arts Décoratifs, mémoire de maîtrise en histoire de l’art, sous la direction de Bruno Foucart, université de Paris IV, 1990.

8Disponible à cette adresse : https://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb33928222j/ [Consulté le 9 mars 2015].

Les échos dans la presse

Une brève revue de la presse contemporaine permet d’appréhender l’enthousiasme qui accompagne l’inauguration du musée. Y transparaissent les débats soulevés par le classement, l’admiration pour les travaux de Redon et la découverte de la richesse des collections, notamment les boiseries, les dessins d’ornements et les pièces islamiques et extrême-orientales qui suscitent des commentaires élogieux.

H.E., « Le Musée des Arts Décoratifs », Le Siècle, 30 mai 1905, p. 2 : « M. le président de la République et Mme Loubet ont consacré l’inauguration de cette collection merveilleuse, disposée dans le plus somptueux et le plus clair local qu’il soit possible de rencontrer. M. Redon, architecte, a réalisé des prodiges en aménageant ce pavillon, jusqu’ici inutilisable. Une nef imposante, éclairée sur la rue de Rivoli et les Tuileries. Les bas-côtés qui ont trois étages, s’ouvrent eux-mêmes par des loggias sur la nef centrale et se divisent en de très nombreuses salles, qui regorgent de richesses incomparables, de tous styles et de toutes provenances. Art ancien, art moderne, ouvrages d’art, tapisseries, bijoux, dentelles, ameublements, tableaux et sculptures, contribuent à former un prodigieux musée d’enseignement. […] Si les yeux sont las d’admirer les objets offerts à leur examen, ils éprouvent une délicieuse diversion à se reposer sur la superbe perspective de la rue de Rivoli, des Tuileries et des Champs-Élysées, qui se déroule au-delà des fenêtres du pavillon de Marsan, décor mouvant et verdoyant, habilement ménagé par les organisateurs du musée. »

Raymond Koechlin, « Le Musée des Arts Décoratifs et la collection Peyre au pavillon de Marsan », La Revue de l’art ancien et moderne, 10 juin 1905, t. XXVII, p. 430 : « Ses organisateurs ont prétendu plus simplement rassembler des séries qui jusqu’ici avaient été quelque peu négligées à Paris, et, sans faire aux musées une vaine concurrence, ils ont cherché à les compléter en quelque sorte ; ni les boiseries, ni les étoffes, ni les porcelaines, ni les tapisseries gothiques, ni les arts de l’Orient et de l’Extrême-Orient, n’étaient représentés dignement dans les collections publiques de Paris, quand celle [la collection] des Arts décoratifs a commencé à se former, et surtout elles s’arrêtaient toutes à la fin du XVIIIe siècle, laissant de côté l’art moderne dans ses manifestations autres que la peinture et la sculpture. C’était là un champ assez vaste pour qui voulait l’exploiter, d’autant que certaines des séries frappées d’exclusion étaient parmi les plus importantes de l’art français, de celles qui ont assuré sa suprématie en Europe dans les derniers siècles et que les ouvriers contemporains auraient le plus grand intérêt à bien connaître pour diriger sûrement leur effort. »

Auguste Marguillier, « Musées et collections », Mercure de France, 1er août 1905, p. 460 : « Il ne reste plus qu’à souhaiter voir nos ouvriers d’art prendre souvent le chemin du pavillon de Marsan pour demander aux merveilles du passé le secret de leur beauté de formes et de couleurs. L’enseignement serait plus parfaitement perçu et plus fructueux encore, croyons-nous, si par endroits (que le distingué et zélé conservateur du musée nous permette ce vœu) un classement plus strictement logique, très compatible avec la présentation pleine de goût cherchée et réalisée, mettait davantage en valeur cette leçon de choses. »

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