Marche et démarche. Une histoire de la chaussure

du 7 novembre 2019 au 22 mars 2020

Après « La Mécanique des dessous » (2013) et « Tenue correcte exigée ! » (2017), le Musée des Arts Décoratifs poursuit l’exploration du rapport entre le corps et la mode avec un troisième volet aussi surprenant qu’original autour de la chaussure, la marche et la démarche. L’exposition « Marche et démarche. Une histoire de la chaussure » s’interroge sur le statut de cet accessoire indispensable du quotidien en visitant les différentes façons de marcher, du Moyen Âge à nos jours, tant en Occident que dans les cultures non européennes. Comment femmes, hommes et enfants marchent-t-il à travers le temps, les cultures et les groupes sociaux ? Près de 500 œuvres : chaussures, peintures, photographies, objets d’art, films et publicités, issues de collections publiques et privées françaises et étrangères, proposent une lecture insolite d’une pièce vestimentaire parfois anodine souvent extraordinaire.

Hashtag : #MarcheDemarche

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Commissariat
• Denis BRUNA, conservateur en chef - collections mode et textile antérieures à 1800

Scénographie
• Eric BENQUÉ

Présentation
Marche et démarche. Une histoire de la chaussure

Le thème de cette exposition est né lors de l’étude, dans les collections du musée, d’un soulier porté par Marie-Antoinette en 1792. Cet objet est étonnant par ses dimensions puisqu’il mesure 21 cm de long, et pas plus 5 cm de large. Comment une femme alors âgée de 37 ans pouvait-elle glisser son pied dans un soulier aussi menu ? La recherche dans les textes de l’époque – chroniques, mémoires, romans – révèle que les dames de l’aristocratie au XVIIIe siècle, puis de la haute bourgeoisie au XIXe siècle, marchaient peu, que leur mobilité était contrôlée et que l’univers urbain leur était hostile.

Chaussure de Marie-Antoinette, 1792
Paris, Musée des Arts Décoratifs
© MAD Paris / photo : Christophe Dellière

Le constat surprend aujourd’hui : les femmes de cette époque portaient des souliers pour ne pas marcher ! Quelles chaussures portaient les enfants pour leurs premiers pas ? Comment les femmes adeptes du culte du petit pied, tant en Europe à partir du XVIIe siècle (Charles Perrault écrit Cendrillon en 1697) qu’en Chine depuis le XIe siècle, ont-elles pu concilier idéal de beauté et mobilité ? Quelles particularités des chaussures du quotidien permettent une marche aisée ? Quels sont les détails techniques qui, au fil des siècles, ont apporté plus de confort aux souliers ?

Iris Schieferstein, Horseshoes, 2006
Berlin, Iris Schieferstein
© MAD Paris / photo : Hughes Dubois

L’exposition s’ouvre sur une analyse de la façon de marcher au quotidien, de l’enfance à l’âge adulte, en Europe, en Afrique, en Asie et en Amérique. Du XVe au XIXe siècle on constate que certains facteurs environnementaux, tels les sols irréguliers et boueux, viennent contraindre la marche, imposant l’usage de souliers adaptés. En France sous l’Occupation, les pénuries engendrent la fabrication de semelles en bois qui entraînent une démarche saccadée et bruyante.

La marche militaire est également présente avec notamment la création de l’incontournable chaussure d’Alexis Godillot au XIXe siècle ; des chaussures de clowns et celles de Charlie Chaplin sont aussi exposées sans oublier les chaussures magiques telles que les talonnières d’Hermès ou les bottes de sept lieues !

Christian Louboutin et David Lynch, paire de ballerines pour femme, modèle Ballerina Ultima, Paris, 2007
Paris, Archives maison Christian Louboutin
© MAD, Paris / Photo : Hughes Dubois

Le fétichisme n’est pas en reste avec des chaussures élégantes de cuir aux talons vertigineux et des bottes lacées très haut. Elles évoquent, dans le XIXe siècle bourgeois, le fantasme notamment de la part de clients de maisons closes pour la contrainte des pieds et la démarche entravée. Plus proche de nous, en 2007, souliers et photographies évoquent la collaboration entre Christian Louboutin et David Lynch ; le célèbre bottier a demandé au réalisateur de photographier des danseuses du Crazy Horse portant des souliers à talons démesurés dans un univers délibérément fétichiste.

Au-delà d’une approche sur la chaussure comme simple accessoire de mode, « Marche et démarche. Une histoire de la chaussure » jette un regard nouveau et plein de surprises sur un accessoire que l’on enfile tous les jours et que l’on croit connaître.

« Des chaussures, des corps et des images »
Par Olivier Gabet, Directeur du Musée des Arts Décoratifs
Raf Simons pour Christian Dior, paire d’escarpins pour femme, Paris, collection haute couture automne-hiver 2014-2015
Paris, Musée des Arts Décoratifs
© MAD, Paris / Photo : Christophe Dellière

Peu d’objets de mode ont l’importance des chaussures dans l’Histoire tout court, et dans l’histoire de l’art et du cinéma, dans l’histoire culturelle et sociale, dans l’histoire politique, dans l’histoire de la sexualité aussi. Mentionner le mot « chaussure », c’est immédiatement jouer d’images mentales et de formes artistiques, c’est plonger dans la mythologie, c’est arpenter le starsystem. Voilà un sujet fédérateur, inclusif dirait-on, tant il est porteur de sens et de références dans la culture populaire comme dans les aspects les plus élitistes de la mode. Voilà un monde où l’on divague de Mercure attachant ses talonnières, le morceau de réception de Jean-Baptiste Pigalle à l’Académie royale de peinture et de sculpture en 1741, au pugilat qui opposa Nicki Minaj et Cardi B lors du dîner donné par Harper’s Bazaar à l’occasion de la fashion week de New York en septembre 2018 : exaspérées l’une de l’autre, un soulier de Cardi B est lancé à la figure de Nicki Minaj – ce n’est ni un Louboutin, ni un Hardy, ni un Manolo Blahnik, l’honneur est sauf…

En lisant les mémoires de l’Ancien Régime, on s’amuse des petits souliers mignons qui donnent aux dames des allures d’oisillon qui tressaute, en feuilletant les magazines de mode d’aujourd’hui on s’étonne – ou s’agace – de l’envahissement du sneaker comme nouvel objet de luxe contemporain. Chaussures, souliers, escarpins, baskets, plateform boots, chaussons, ballerines, talons aiguilles, la profusion sémantique est vertigineuse, et l’affolement des patronymes tout autant, comme les noms de personnes chez Marcel Proust : parler d’une paire de Roger Vivier, de Christian Louboutin ou de Pierre Hardy laisse entendre sans autre pensée qu’il s’agit de souliers, ellipse du succès, comme on disait en 1950 la baronne Alain ou la baronne Élie sans avoir à préciser qu’on parlait des Rothschild. C’est dire la puissance d’ancrage comme phénomène culturel du sujet que propose en ces pages l’exposition « Marche et démarche. Une histoire de la chaussure ». […]

Chaussures pour femme, vers 1630
Paris, Musée des Arts Décoratifs
© MAD, Paris / Photo : Jean Tholance

Jouant sur plusieurs centaines d’œuvres, « Marche et démarche. Une histoire de la chaussure » explore avec une érudition toujours joyeuse quelques millénaires d’humanité et pose plus profondément encore un enjeu essentiel de la mode : en ce qu’elle invoque et impose la question du geste et du mouvement, la chaussure définit l’allure, et une partie non négociable du style, elle est ce qui parachève une silhouette, donne de l’élan, renverse les idées reçues – une femme en talons serait-elle seulement sexualisée, ou au contraire ne trouverait-elle pas ainsi une force et une confiance qui assurent à la féminité un rôle politique et social de premier ordre ? Ce sont autant de prismes, de surprises, de découvertes ou de rappels que ce catalogue offre au lecteur : la mode peut éblouir et séduire, elle peut également rendre intelligent et permettre de comprendre le monde qui nous entoure. […]

« Dis-moi comment tu marches, je te dirai qui tu es. »
Par Denis Bruna, commissaire de l’exposition

[…] Loin de se limiter à une approche anthropologique de la chaussure, nous avons voulu considérer cette pièce de vêtement comme un élément essentiel de l’élaboration des apparences, un objet de mode dans le sens où l’acte de marcher est bien plus qu’une fonctionnalité puisqu’il permet la visibilité de la mode. Dans une planche photographique qui décompose le mouvement, datée de 1887 et intitulée Homme enlevant son canotier, Eadweard Muybridge montre ce que la marche, par le biais de la chaussure qui amplifie les aptitudes de notre corps et étend nos capacités sociales, apporte à l’élégance. Dès lors, chaussures et vêtements sont indissociables du mouvement et de la mise en scène de soi.

Paire de chaussons de danse utilisée par Marie Taglioni lors de sa soirée d’adieu chez l’impératrice de Russie au palais d’Anichkoff à Saint-Pétersbourg, le 1er mars 1842
France, Musée des Arts Décoratifs
© MAD, Paris / Photo : Hughes Dubois

Nul doute que les chaussures servent à couvrir les pieds et à permettre la marche, mais des siècles de talons vertigineux, de plates-formes démesurées, de bouts s’achevant en spirale ou en « bec-de-cane », jusqu’à modifier les formes et les proportions naturelles du pied et engendrer des démarches boitillantes, laissent perplexes quant à l’usage premier de cet accessoire. En effet, les chaussures sont « l’exemple le plus persistent de l’imposition par la mode d’une forme idéalisée sur l’anatomie naturelle ». Dès 1947, l’architecte Bernard Rudofsky, dans son célèbre Are Clothes Modern ?, soulignait non sans humour que nous modelons nos pieds pour les rendre conformes à l’idéal fixé, selon lui, par les fabricants de chaussures. Quoi qu’il en soit, les souliers étroits qui engendrent des petits pas, les talons qui font marcher sur la pointe des pieds, les hautes plates-formes qui confèrent au porteur une allure de balancier contribuent à l’élaboration d’une allure. […]

Sabot, escarpin, botte, sandale, mocassin... et autres souliers singuliers

Le quotidien de la marche

Sabot, escarpin, botte, sandale, mocassin… À travers le monde et le temps, la chaussure adopte une incroyable diversité de formes. Pourtant, que ce soit dans notre société occidentale comme dans le reste du monde, du Moyen Âge à nos jours, les souliers des femmes, des hommes et des enfants partagent la même raison d’être : protéger la peau fragile du pied des menaces du sol et du climat. Par conséquent, cette pièce de vêtement se révèle indispensable au déplacement piéton. Toutefois, dans bien des cas, certaines chaussures ne sont pas vouées à la marche car souvent délicates, menues, fragiles ou volontairement inconfortables. Si elles peuvent révéler le goût de leur propriétaire pour une forme ou une couleur, elles servent plus généralement à clamer une distinction sociale.

Babouches, sandales, socques et bottes

Paire de chaussures pour homme, Iran, début du XVIIe siècle
Musée des Arts décoratifs
© MAD, Paris / Photo : Hughes Dubois

Dégager un trait commun à toutes ces chaussures originaires d’Afrique, d’Amérique ou d’Asie tient de la gageure. Toutefois, malgré leur diversité, presque toutes sont adaptées à la vie rurale, aux besoins quotidiens de leurs propriétaires et à l’environnement (climat et terrain principalement). Les matériaux sont choisis en fonction de l’élasticité, l’étanchéité, la chaleur ou la solidité que l’on attend de la chaussure. La plupart des détails formels sont pensés pour faciliter la marche : c’est le cas, par exemple, des sandales au bout relevé, évitant que le sable ne vienne se glisser entre le pied et la semelle. Loin d’être des objets seulement utilitaires, ces chaussures sont pourvues de broderies de couleur, de décors de perles, de fourrure, de cuir, etc. Si quelques-uns de ces motifs indiquent parfois l’origine ethnique ou sociale du porteur, ils révèlent qu’une chaussure quotidienne peut être raffinée et conférer à son propriétaire une certaine élégance.

Incidence des formes

Benoit Méléard, chaussure « Hommage à Calder », collection « O », 1999
Paris, Musée des Arts Décoratifs
© MAD, Paris / photo : Hughes Dubois

Les qualités matérielles des chaussures en disent non seulement beaucoup sur celui qui les porte, mais aussi sur la démarche qu’elles engendrent. Les interventions opérées sur la forme touchent trois points principaux : le bout, l’épaisseur des semelles et le talon. Il faut signaler que, en règle générale, l’extravagance se concentre sur les bouts dans le cas des hommes, tandis que, dans celui des femmes, elle est plutôt une question de hauteur, provoquant un défi constant de l’équilibre. Par ailleurs, c’est sur les chaussures féminines que l’on peut repérer les interventions les plus extrêmes et les formes qui s’éloignent le plus de la nature du pied. Au fil des siècles, il semble que les formes aient été plutôt pensées pour entraver la marche, comme si une trop grande mobilité n’était pas convenable, du moins jusqu’à une époque récente.

Souliers singuliers

Il existe des chaussures dotées de formes, de matériaux et de détails techniques particuliers. Toutes ces singularités font d’elles des pièces à part que l’on ne porte qu’en des occasions précises : marcher sur la plage, marcher au pas, sur un tapis de danse ou sur un terrain de sport. Avant le XIXe siècle, les souliers militaires, ceux que chaussent les sportifs ou les danseuses, sont semblables à ceux que l’on porte au quotidien, dans la rue ou dans les salons. Peu à peu, ils perdent talons, boucles et autres frivolités au profit de renforts, de semelles spéciales et d’améliorations diverses pour servir au mieux les fonctions auxquelles ils sont assignés. Le « godillot » ou la botte du soldat, le soulier démesuré du clown ou le chausson de la danseuse sont des modèles si caractéristiques qu’ils ne peuvent qu’engendrer une marche et une démarche atypiques.

Des constructions inédites

Paco Rabanne, paire d’escarpins pour femme, modèle Verseau, collection haute couture, printemps-été 1995
Paris, Musée des Arts Décoratifs, don Paco Rabanne, 1997
© MAD, Paris / Photo : Jean Tholance

Les progrès technologiques de l’immédiat après-guerre engendrent une fascination pour une esthétique futuriste en rupture avec les canons anciens. Quelques expériences sont tentées en termes de chaussures, notamment par Paco Rabanne, dès 1965. Celles-ci portent principalement sur le métal et le plastique utilisés, dont les propriétés permettent des constructions inédites, expériences que le couturier réitère tout au long de sa carrière. À partir des années 1980, l’émergence des talons hauts dans les chaussures féminines engendre des expérimentations protéiformes qui deviennent le support de réflexions sur le corps, la mode, l’esthétisme et la contrainte.

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