Trente ans après Le cirque et le jouet, une exposition présentée au Musée des Arts Décoratifs, Parade met en scène des jouets liés au monde du spectacle. Deux univers très différents sont à découvrir : celui du cirque et celui du théâtre. Ces lieux du divertissement populaire et de culture ont été, dès la fin du XIXe siècle, une source d’inspiration pour les fabricants qui ont développé une gamme de jouets inventive et toujours renouvelée, célébrant l’extraordinaire et la malice ainsi que la tradition et l’innovation. Principalement issus des collections des Arts Décoratifs et datés de la fin du XIXe siècle à aujourd’hui, deux cents objets sont exposés, enrichis par le prêt d’une collection de clowns mécaniques. L’exposition propose également une sélection d’œuvres d’artistes, plasticiens, photographes et réalisateurs, dans lesquelles la figure du comique et l’image animée nous replongent en enfance, parfois avec une inquiétante étrangeté. Pour mettre en scène ces univers festifs, l’artiste Jean-François Guillon crée des dispositifs ludiques mêlant jeux de typographies et de lumières, jeux de mots et de silhouettes. Il réalise pour cette exposition deux installations (un théâtre d’ombres animées, une installation vidéo) et une œuvre sonore.

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Présentation

Trente ans après Le cirque et le jouet, une exposition présentée au Musée des Arts Décoratifs, Parade met en scène des jouets liés au monde du spectacle. Deux univers très différents sont à découvrir : celui du cirque et celui du théâtre. Ces lieux du divertissement populaire et de culture ont été, dès la fin du XIXe siècle, une source d’inspiration pour les fabricants qui ont développé une gamme de jouets inventive et toujours renouvelée, célébrant l’extraordinaire et la malice ainsi que la tradition et l’innovation. Principalement issus des collections des Arts Décoratifs et datés de la fin du XIXe siècle à aujourd’hui, deux cents objets sont exposés, enrichis par le prêt d’une collection de clowns mécaniques. L’exposition propose également une sélection d’œuvres d’artistes, plasticiens, photographes et réalisateurs, dans lesquelles la figure du comique et l’image animée nous replongent en enfance, parfois avec une inquiétante étrangeté. Pour mettre en scène ces univers festifs, l’artiste Jean-François Guillon crée des dispositifs ludiques mêlant jeux de typographies et de lumières, jeux de mots et de silhouettes. Il réalise pour cette exposition deux installations (un théâtre d’ombres animées, une installation vidéo) et une œuvre sonore.

LE MONDE DU CIRQUE

Dans l’exposition, deux cirques rares sont présentés : celui de la firme américaine Schoenhut (1905) et le cirque Pinder (1975). Un troisième cirque témoigne d’une salle mythique celle du cirque des Champs-Elysées (fin XIXe siècle), aujourd’hui disparue. Une soixantaine de jouets à l’effigie du clown, figure incontournable du cirque, retrace ses numéros et acrobaties avec humour.

La piste aux étoiles

Humpty Dumpty Circus, 1903
Schoenhut and Co (1873-1935), fabricant
États-Unis
Bois peint, tissu, ficelle
© MAD, Paris / photo : Jean Tholance

En s’inspirant des grands cirques ambulants du début du XXe siècle, le Ringling Brothers Bailey Circus et le Barnum & Bailey Circus aux États-Unis, Albert Schoenhut crée en 1905 des personnages et des animaux en bois peint, articulés grâce à des élastiques. « Albert le clown » est la première pièce fabriquée. La grande nouveauté du Humpty Dumpty Circus est d’avoir invité l’enfant à développer son instinct créateur – il était encore vendu en France dans les années 1930 sous la référence « cirque américain ». L’artiste Alexander Calder crée dans les années 1920 le Grand Cirque (1926-1931). Les premiers essais sont réalisés à partir des personnages du cirque Humpty Dumpty. Un extrait du film réalisé par Jean Painlevé est montré dans l’exposition.

Le cirque Pinder (1975) est une œuvre à quatre mains. Dès les années 1970, Pierre Petit (1902-1990) imagine et fabrique des jouets en bois dans son appartement de Bourges. Son épouse Raymonde Petit (1901-1990) les peint avec une palette de quatre couleurs, des Valentines vives (jaune, rouge, bleu et verte). Composée de vingt-sept éléments, cette grande caravane sur roulettes est en partance pour un pays imaginaire. Souvenir d’enfance, ce cirque est une invitation à un voyage magique. Il célèbre la fête, le loisir mais aussi un rite de passage avec notamment le portique Pinder.

Le cirque des Champs-Elysées, appelé aussi cirque d’été, cirque national ou encore cirque de l’Impératrice est une salle parisienne mythique qui a été édifiée en 1841 au Carré Marigny. Sa grande attraction a longtemps été le clown sauteur Jean-Baptiste Auriol (1806-1881). Le jouet animé et musical date de la fin du XIXe siècle. Il est constitué d’un coffret rouge avec deux battants. Ouverts, ils sont décorés de loges occupées par des spectateurs en tenue de soirée. Cette boîte à musique qui devait fasciner et endormir les enfants est aussi un témoignage des loisirs et de son public.

Les clowns
« Il n’y aurait jamais eu de Charlie Chaplin, de Buster Keaton ou de Laurel et Hardy s’il n’y avait pas eu le cirque » a dit Jacques Tati en 1974. C’est cette figure du comique qui a inspiré une des scènes hilarantes de Parade qui sera projetée dans l’exposition, celle où il est habillé en costume et casquette et mime un gardien de but. Nul besoin pour Tati de porter un nez rouge, des habits colorés, des grandes savates, des cheveux rouges, de rire ou pleurer fort pour être clown. Tati réinvente le burlesque.

Masque clown Fratellini vert, 1982
Festa (depuis 1920), fabricant, France
Plastique
© MAD, Paris / photo : Jean Tholance

Le monde du jouet représente les clowns les plus célèbres. Le grand Auriol qui courait sur des bouteilles ; le fameux duo Footit et Chocolat, l’un blanc et l’autre noir ; « Boum-Boum » du cirque Médrano ; le trio des frères Fratellini ou encore Guguss et Boboss puis les comiques du cinéma, Charlot et Laurel et Hardy. Les Fratellini se retrouvent en jouets sur roulettes dans le catalogue d’étrennes des Galeries Lafayette de 1925 sous la marque Jouets de Paris. Chacun joue d’un instrument de musique : Paul, de l’accordéon, François le clown blanc, de la guitare, et Albert, au chapeau haut de forme du tuba.

Les masques de clown en plastique constituent dans les années 1980 des ensembles colorés chez les fabricants français César et Festa. On y retrouve Charly, Renato, Zavatta mais aussi le clown blanc, le triste et le joyeux. La photographe Valérie Belin a réalisé en 2004-2005 une série de masques photographiés en grand format noir et blanc. Deux clowns seront exposés. Ils contrastent avec le monde miniature et chatoyant du jouet et donnent ainsi une inquiétante étrangeté à ces personnages qui ne sont pas toujours vus comme des rois du rire.

LE MONDE DU THEATRE

Au milieu du XIXe siècle, il existe vingt-six salles de spectacle en activité à Paris. Les plus connues sont la Comédie Française et l’Opéra, mais de très nombreux théâtres privés sont aussi implantés le long des boulevards qui vont de la Porte Saint-Martin à la Bastille, d’où l’expression « théâtre de boulevard ». Pour un public plus familial et enfantin, il y a de nombreux théâtres de Guignol dans les jardins et les parcs ainsi que des théâtres d’ombres dans des salles de spectacles.

Théâtre de la porte Saint-Martin, France, vers 1920
Bois, papier, carton et tissu,
© MAD, Paris / photo : Jean Tholance

Les théâtres miniatures
Deux scènes de théâtres miniatures sont exposées : celle de l’Opéra (1900) dont le décor représente la façade d’un château au milieu d’un parc est animée par trois marionnettes suspendues à un fil ; celle de la Porte Saint-Martin (vers 1920) est composée d’un rideau de scène qui descend à l’aide d’une manivelle et d’un décor champêtre. Dès 1796, l’imagerie Pellerin réalise des planches imprimées que les enfants découpent et montent sur carton ou sur bois afin de bâtir leur propre théâtre avec scènes et acteurs où se jouent des spectacles de cape et d’épée, issus de Contes ou encore de la commedia dell’arte.

Le Castelet
Guignol est une marionnette à gaine française créée à Lyon vers 1808 par Laurent Mourguet. Il est le personnage principal, formant avec Gnafron et Madelon le trio récurrent des pièces du répertoire classique. Ce théâtre de marionnettes au succès indémodable met aussi en scène les vieux canevas classiques de la commedia dell’arte. Les fabricants de jouets réalisent de véritables théâtres en bois vendus avec des marionnettes. Celui qui est exposé date du milieu du XIXe siècle. Il illustre une scène de Méphistophélès. On retrouve aussi Guignol dans les publicités de la marque de réglisse Zan dès 1899. Il est bel et bien le héros de l’époque.

Théâtre d’ombres chinoises, vers 1890
Saussine, fabricant, France
Bois, papier lithographié, carton
© MAD, Paris / photo : Jean Tholance

Les théâtres d’ombres
C’est au XVIIIe siècle que la France découvre le théâtre d’ombres avec Dominique Séraphin (1747-1800). Installé à Versailles et admis plusieurs fois à divertir la famille royale, il obtient en 1771 pour son théâtre de silhouettes le titre de Spectacle des Enfants de France. « Le pont cassé » est un des grands succès de la troupe. On le retrouve dans les coffrets Ombres chinoises pour enfants qui offrent une multitude de scènes à imaginer. Parmi les tableaux à créer, ceux à sensation perforées, des saynettes comiques à faire dérouler, enfin des silhouettes noires à animer à l’aide de baguettes. L’ensemble complet d’un des coffrets imprimés par le fabricant français de jeu Saussine sera exposé dans l’exposition.

Dans le monde du cinéma d’animation, l’artiste allemande Lotte Reiniger (1899-1981) est une référence. Elle est f ascinée dans sa jeunesse par l’essor du cinéma, notamment par les films de Georges Méliès, grand utilisateur d’effets spéciaux. Elle commence à réaliser des courts-métrages entièrement conçus de silhouettes de papiers découpées à partir des années 1920. Avec Papageno (1935), qui sera projeté dans l’exposition, Lotte Reiniger réalise un magnifique opéra convoquant la féérie et l’Amour.

Clown jongleur, 1983
Feber (depuis 1956), fabricant, Alicante, Espagne, plastique, tissu et feutre
© MAD, Paris / photo : Jean Tholance

Les silhouettes animées
Plasticien, scénographe et graphiste, Jean-François Guillon s’empare du monde du jouet et du jeu et met en place plusieurs dispositifs où des mots et des silhouettes se déploient, se déplacent et se rencontrent, en créant des poèmes visuels animés. La signalétique de l’exposition est conçue comme un jeu de construction lettriste, où les mots s’entremêlent de façon ludique. En s’inspirant des théâtres d’ombres et de films d’animation, il réalise deux installations : Grande parade, la vitrine dédiée au cirque, présente un ensemble de silhouettes découpées évoquant les grandes figures de la piste aux étoiles : le clown, Mr. Loyal, l’acrobate, le jongleur, etc. Une projection vidéo crée autour d’elles une série de jeux graphiques amusants, évoquant le mouvement et la féérie de chaque numéro.

Pour Tous en scène, la vitrine dédiée au théâtre, Jean-François Guillon installe une source lumineuse mobile se déplaçant à la façon d’un petit train-jouet électrique autour d’autres silhouettes découpées, rappelant des personnages de théâtre. Le déplacement de la lumière provoque un ballet d’ombres projetées : pantins et marionnettes composent une chorégraphie ludique et envoûtante.

Avec l’œuvre sonore Le Locuteur, il réactive un dispositif conçu en 2012 au Théâtre National de Bretagne pour le spectacle Parlaparole de Didier Galas. Les fausses enceintes qui étaient déployées sur la scène sont ici installées au pied d’un dessin mural évoquant le traditionnel masque de théâtre, face auquel est posé un micro. La voix qui en émane, celle de l’acteur et metteur en scène Didier Galas, se joue musicalement des intonations du théâtre ou des bruits et cris du cirque, sous la forme d’une partition d’onomatopées : « Badabam’ / badabang’ / badabing’ / badabang’ / badabing’ / badabam’ badabing’ / badabiam’ / badaboum’ / badaboum’... plouf’ ! »

Diaporama
Interview de Jean-François Guillon par Dorothée Charles, commissaire de l’exposition

Dorothée Charles : Quel a été, enfant, ton jouet préféré ?
Jean-François Guillon : Je m’amusais beaucoup à représenter, dans ma chambre, des mondes imaginaires avec des jouets : des jeux de construction, des figurines, un peu comme on construit des maquettes. Je l’ai beaucoup fait avec des Lego, notamment. J’ai construit en particulier un aéroport, une ville à laquelle j’avais donné un nom…. Je reconstituai aussi le Tour de France avec des cyclistes en métal ou la guerre de sécession avec des Playmobil. En revanche, je n’étais pas très intéressé par les jeux de société.

DC : Que signifie pour toi le titre de l’exposition « Parade » ?
JFG : Je trouve ce mot assez polysémique et ouvert. Il y a beaucoup d’acceptions, de notions et d’images qui tournent autour. Cela me fait penser d’abord au cirque, à un défilé qui annonce le spectacle, mais aussi à une parade dans la ville, à des fanfares. Je pense évidemment au spectacle Parade, à tous les surréalistes qui ont participé à ce projet. C’est une référence importante dans ma culture artistique. Ce mot évoque aussi pour moi le film Parade de Jacques Tati qui rend hommage au cirque. J’apprécie ce titre parce qu’il renvoie à la fois au monde du cirque et à celui de l’art en général.

DC : Pour la signalétique de l’exposition, tu as choisi une typographie liée au monde du cirque.
JFG : J’ai voulu jouer avec de la typographie qui danse et de la vidéo d’animation, ce qui est une des constantes de mon travail actuellement. Mais c’est vrai que dans le monde du cirque on retrouve aussi une présence assez forte de la typographie, sur de grandes affiches colorées.

DC : Peux-tu parler de l’univers graphique dans cette exposition ?
JFG : Je m’amuse à mixer les mots dans la signalétique, tout au long de l’exposition. C’est une façon de jouer avec la langue qui est souvent présente dans mon travail, et qui s’apparente aux pratiques OuLiPiennes, ou à celle des jeux de langage pratiqués dans la littérature et la poésie. Dans les vidéos animées, par exemple, j’ai imaginé des jongleurs lançant des lettres en l’air. En retombant, elles se croisent et forment des mots, d’autres mots…

DC : Comment as-tu composé la scénographie des jouets ?
JFG : Dans la vitrine du cirque, il me paraissait évident de retrouver ce que je faisais enfant (et qui est d’ailleurs ce que l’on voit chez Alexander Calder, dont un extrait du film est présenté dans l’exposition), à savoir créer des saynètes. J’ai donc proposé de présenter les jouets sur des plateaux ronds et colorés comme des pistes de cirque sur lesquelles des numéros se jouent.

Dans la vitrine du théâtre, je me suis amusé à composer une scène et ses spectateurs, mais aussi les « à côtés » du théâtre comme les affiches. J’ai recréé l’intérieur et l’extérieur d’un théâtre un peu improbable où tout se mélange, à des époques différentes. Des marionnettes regardent d’autres marionnettes… Différents registres s’entrecroisent.

DC : Comme tu l’as dit, Parade évoque le monde du théâtre. Quel regard portes-tu sur le théâtre ?
JFG : Il y a, d’une part, le regard que je porte sur le théâtre à travers les projets de spectacles auxquels je participe en tant que scénographe, et, d’autre part, celui que j’ai porté sur les jouets de l’exposition et ce qu’eux-mêmes véhiculent comme vision du théâtre. J’ai souvent été appelé, en tant que plasticien, à participer à la conception visuelle de spectacles, particulièrement avec Didier Galas, avec qui je travaille régulièrement. On me demande en général d’apporter un regard visuel, une réflexion sur l’espace : « Dans quel espace évolue-t-on ? Quels sont les événements scénographiques qui définissent les zones de jeu : les zones visibles et invisibles ? Comment bouge-t-on dedans ? Comment s’y intègre la lumière ? »

Dans ce cadre, je travaille dans une conception très contemporaine du théâtre, où l’on casse plutôt les archétypes du théâtre classique. Il se trouve que dans l’exposition Parade, je me suis retrouvé confronté à un ensemble de jouets assez anciens qui, au contraire, rejouent en saynètes et en jouets des formes classiques du théâtre, voire très archétypées. Ce sont des conceptions avec lesquelles je suis plutôt en rupture habituellement. Quand j’interviens dans le spectacle vivant, j’arrive en iconoclaste, en apportant un regard de plasticien, très extérieur. C’est assez amusant parce que le metteur en scène avec qui je travaille se situe aussi dans un rapport à une figure traditionnelle de l’Arlequin, qu’il cherche à redéfinir de façon très contemporaine. Quelque part, j’ai retrouvé la même problématique dans ce projet.

DC : Dans cette exposition, tu es artiste, puisque tu réalises trois installations, mais aussi scénographe et graphiste.
JFG : Mon travail artistique est traversé par différentes pratiques transversales : installation, dessin, photo, performance... auxquelles s’ajoutent mes expériences dans le domaine de la scénographie et du graphisme. Il y a, en tout cas, une dimension graphique très forte : beaucoup de choses tournent autour du signe, du mot et de la lettre. C’est donc sous cet angle que j’ai choisi d’intervenir.

En sélectionnant les jouets, on a tout de suite vu qu’il fallait séparer l’exposition en deux parties : l’une consacrée au cirque, l’autre au théâtre. J’ai retrouvé dans les deux domaines des éléments très graphiques : affiches de cirque, jouets colorés, théâtre d’ombres... L’idée de réaliser un théâtre d’ombre, de le réinterpréter sous la forme d’une installation animée, s’est imposée. C’est ainsi que les choses sont nées et qu’elles s’entremêlent. Mon expérience dans le spectacle vivant a certainement nourri le regard que je portais sur les jouets autour de ce thème. Cela m’a donné aussi l’idée de faire intervenir l’acteur Didier Galas dans une pièce sonore en le faisant jouer ironiquement avec les anciennes dictions du théâtre classique.

DC : Comment as-tu conçu l’installation Grande Parade créée spécialement pour l’exposition ?
JFG : C’est vraiment par le biais du mot, du langage, et du signe graphique que j’ai cherché à évoquer les grandes figures du cirque dans cette vitrine. Comme je l’ai dit, c’est souvent le levier par lequel j’attaque ma réflexion. Les silhouettes sont aussi reprises à d’anciens théâtre d’ombres, mais elles sont ici intégrées à une projection vidéo qui joue de façon comique avec les mots et les formes en mouvement, à la manière d’un numéro de clown ou d’acrobate. L’humour est aussi très présent dans mon travail artistique et j’ai cherché à faire advenir l’esprit du cirque dans ces jeux avec les lettres et les formes, de façon parfois assez grotesque ou énorme, comme les grosses blagues de clown qui font rire les enfants.

DC : Comment as-tu animé la vitrine Tous en scène ?
JFG : C’est en réunissant deux jouets – un petit train électrique et le théâtre d’ombres – que je propose cette animation à la fois très simple et magique.

DC : Quelles silhouettes utilises-tu pour réaliser ce théâtre d’ombres contemporain ?
JFG : Ce sont des silhouettes empruntées à des jouets anciens que j’ai réinterprétées. Elles sont toutes liées à des figures traditionnelles du théâtre, mais dans des registres très variés que je me suis amusé à mélanger : la commedia dell’arte, le théâtre classique, le ballet, le concert, l’Orient fantasmé par une Europe coloniale, le cirque, les saltimbanques... J’ai croisé tous ces thèmes pour les réunir dans un grand théâtre d’ombres énigmatique.

DC : Dans l’exposition, d’autres artistes sont présents. Quel regard portes-tu sur leurs œuvres ?
JFG : Le but était de donner à ce projet des lectures variées et de faire intervenir à la fois le populaire et l’artistique. L’artiste qui me tient particulièrement à cœur, c’est Jacques Tati, dont on montre un extrait de Parade dans l’exposition. Dans tous ses films, la notion de silhouette est très importante. D’ailleurs la sienne est tout de suite reconnaissable, comme une silhouette de théâtre d’ombres. Dans certains de ses films, il est parfois hors-champ, on le voit passer, et on le reconnaît immédiatement. La manière dont Pierre Etaix l’a représenté dans ses croquis participe de cette vision.

DC : Et Alexander Calder ?
JFG : Je connais depuis longtemps son cirque, et ce film où on le voit jouer avec. Je l’ai revu plus longuement lors de l’exposition qui lui était consacrée au Centre Pompidou en 2009. À mes yeux, il illustre parfaitement l’idée de créer un monde avec des figurines. Enfant, je créais mon tour de France, mes batailles de tuniques bleues, mon aéroport… Je retrouve chez Calder ce même rapport simple, direct et enfantin avec le jouet.

DC : Et les films animés de Lotte Reiniger ?
JFG : J’ai découvert son travail à l’occasion de l’exposition et cela a fortement orienté mon travail de recherche autour des figures du théâtre d’ombres. Ses films sont très beaux, et assez contemporains esthétiquement parlant. Ils sont un écho parfait aux deux vitrines que j’ai conçues en utilisant aussi des silhouettes découpées et la technique de l’animation.

DC : Et les photographies démesurément agrandies de masques de clowns de Valérie Belin ?
JFG : C’est un travail que j’apprécie beaucoup. Elle s’est récemment confrontée aux notions de performance, et à l’espace du spectacle et de la scène au Centre Pompidou. Ce qui est intéressant dans ses deux photographies, c’est à la fois l’utilisation du noir et blanc pour représenter la figure bigarrée du clown, et l’ambiguïté de l’apparition de l’objet : on ne sait pas si on a affaire à une tête ou à un masque, et cette inquiétante étrangeté est très présente dans l’univers du cirque. Le cirque, pour moi, ce n’est pas seulement des souvenirs de rire, c’est aussi une certaine terreur enfantine. Je crois que c’est inhérent au côté très démonstratif de ce type de spectacle, aux couleurs grossières, au bruit... On retrouve cela dans les photos de Valérie Belin.

DC : Quels sont tes projets à venir ?
JFG : Il y en a beaucoup, et dans des domaines très variés. Une exposition personnelle cet hiver à la galerie Contexts à Paris. Puis des projets de spectacles avec Didier Galas : Aïlòviou, un spectacle mis en scène par Christian Rizzo, qui a été créé à Rennes en novembre dernier ; une conférence Rabelais versus Nostradamus au printemps 2014 à l’auditorium du musée du Louvre... Et une performance dans le cadre de l’exposition au MAD.

Découvrez un extrait du Locuteur de Jean-François Guillon, 2013

Jean-François Guillon, Le locuteur, 2013

Haut-parleurs, micro, dessin mural
Eléments de décor du spectacle Parlaparole de Didier Galas conçu en 2012 au Théâtre National de Bretagne

Voix : Didier Galas
Cette installation a été réalisée spécialement pour l’exposition Parade.

Les artistes et le spectacle

LOTTE REINIGER, PAPAGENO, 1935

Lotte Reiniger, image extraite de Papageno, 1935
© Carlotta Films, Paris

Walt Disney a souvent été considéré comme le premier producteur de longs-métrages d’animation de l’histoire du cinéma avec Blanche-Neige et les sept Nains (1937). Mais ce n’est en fait que le premier dessin animé long-métrage. En effet, onze ans plus tôt sortait le film Les aventures du Prince Ahmed (1926), réalisé par l’allemande Lotte Reiniger à l’aide de silhouettes en papier découpé.

Lotte dessine puis découpe les différentes parties de ses personnages dans un épais carton noir. Les éléments sont assemblés à l’aide de fils de fer, ce qui permet la mobilité des silhouettes. Afin de les filmer, Lotte Reiniger et son compagnon, Carl Koch, créent une structure spéciale composée de plusieurs plaques de verre superposées horizontalement.

Lotte Reiniger, image extraite de Papageno, 1935
© Carlotta Films, Paris

Les personnages sont placés sur les plaques supérieures, les paysages sur les plaques inférieures. Sous ces plaques se trouve une source lumineuse, et, au-dessus, est placée la caméra, pointée vers le sol. Cette technique leur permet d’obtenir différentes nuances de gris, et ainsi de créer une réelle profondeur dans leurs films.

L’ornement du cœur est amoureux est le premier film réalisé par Lotte Reiniger et Carl Koch en 1919. Ce ne sont pas les premiers à utiliser des silhouettes, mais ils ne cesseront d’employer et d’approfondir cette technique. Lotte construit son premier théâtre d’ombres à l’âge de quatorze ans.

Lotte Reiniger, image extraite de Papageno, 1935
© Carlotta Films, Paris

Elle y présente des pièces classiques pour ses camarades de classe. Elle suit des cours d’art dramatique, et est parallèlement repérée pour ses silhouettes. Sa pratique de la comédie lui permet de mêler animation et expérience théâtrale, par la recherche de l’intériorité et du ressenti du personnage. En effet, une fois cette recherche réalisée, le mouvement des silhouettes est décomposé puis enregistré en un certain nombre d’images.

L’intérêt de Lotte Reiniger pour la musique classique est également palpable dans ses réalisations. En effet, nombre de ses films y font référence, comme Zhen Minuten Mozart, Carmen, ou encore Papageno. Ce dernier, achevé en 1935, est nommé d’après le célèbre personnage de La Flûte enchantée de Mozart (1791). Il prend pour bande originale certains morceaux de l’opéra interprétés par Papageno. Dans les deux versions, Papageno est un oiseleur vêtu de plumes à la recherche de sa promise, Papagena. Mais Lotte Reiniger évacue l’intrigue principale de l’opéra pour ne garder que cette quête, légèrement modifiée.

Papageno est présenté comme un homme qui souffre de vivre seul avec ses oiseaux. Ses oiseaux se métamorphosent alors en femmes. La rencontre avec Papagena, arrivant sur le dos d’une autruche, sonne la fin de cette solitude. Mais ce bonheur ne dure pas, puisqu’un énorme serpent menaçant vient les séparer. Malgré l’aide des oiseaux, Papagena est obligée de fuir. Noyé dans le désespoir d’avoir perdu sa promise, Papageno décide de se pendre à un arbre, mais ses oiseaux le sauvent, encore une fois. Ils lui conseillent d’utiliser son carillon magique pour appeler Papagena, qui revient vers lui sur son autruche. Leurs retrouvailles sont heureuses et de nombreux Papageno et Papagena naissent de leur union.

ALEXANDER CALDER, LE CIRQUE, 1961

La Magie Calder, 3 films de Carlos Vilardebo, 1961
Pochette du DVD
© Les films du paradoxe

« Au début, ce cirque n’était qu’une petite collection de figurines ingénieuses que Calder avait fabriquées pour s’amuser. Elle n’avait rien de sophistiqué […] et pourtant, leur créateur était capable de leur faire accomplir les exploits les plus remarquables. Peu à peu, la troupe s’agrandit. Tout Montparnasse fut au courant. La petite parade occasionnelle pour amuser un ami se transforma en un spectacle à part entière ». Ce propos de 1951 de James Johnson Sweeney, ami d’Alexander Calder, témoigne de la belle histoire du Cirque, de la distraction à l’œuvre d’art.

En 1926, Alexander Calder commence la fabrication des éléments de son cirque en modifiant ceux d’un jouet américain, le Humpty Dumpty Circus, présent dans l’exposition. Après de nombreux ajouts et créations, le projet prend sa forme définitive en 1931. Il est présenté dans différents endroits ; en France comme aux États-Unis. La dernière représentation a lieu en 1961 dans sa maison en Touraine. Aujourd’hui, Le Cirque est conservé au Whitney Museum of Art à New York. Il est composé de plus de 200 pièces rangées dans 5 valises. On trouve des personnages, des animaux, des mécanismes, un phonographe, des disques et des accessoires variés.

Chaque figurine est articulée afin d’effectuer un mouvement précis. Ces éléments sont animés par les mouvements de Calder, et composent ainsi les différents numéros. Le fonctionnement est très simple, mais ingénieux, et surtout très vivant. En effet, c’est l’action de l’artiste qui donne toute sa gaieté et sa magie au cirque en le rendant vivant. Alexander Calder est le créateur, le metteur en scène, l’animateur, le Monsieur Loyal de ce spectacle, il improvise, fait des commentaires. Ainsi, les représentations du Cirque comptent parmi les premiers exemples de performance où le corps de l’artiste est au centre de l’œuvre.

Trois films, réalisés par Jean Painlevé (1955), Carlos Viladerbo (1961, dont un extrait est présenté dans l’exposition) et Hans Richter (1963) immortalisent ce spectacle et permettent de le reconstituer. Chaque numéro prend place dans un cadre différent des autres. Ce changement de décor marque la séparation entre chaque partie du décor. Le tissu de couleur posé au sol est replié, les figurines rangées. Il y a une certaine gaieté présente dans cet art « fait maison ». Les différents films montrent d’ailleurs une part d’improvisation, mais surtout un réel enthousiasme, tant chez l’artiste que chez le public. On ne cesse d’entendre les rires et les exclamations.

Le Cirque met également en avant une notion importante de l’univers d’Alexander Calder, le mouvement. Il semble que ce soit la première étape vers l’élaboration de ses œuvres les plus connues, les mobiles. En 1964, Calder explique que : « Je ne sais pas si ce sont les jouets en mouvement du cirque qui m’ont poussé à m’intéresser à l’idée de mouvement comme forme artistique, ou si c’est ma formation en génie mécanique à l’institut Steven ». Ainsi, Le Cirque prend une importance dans la représentation de cet art populaire, mais également dans la carrière de l’artiste.

JACQUES TATI, PARADE, 1975

Parade de Jacques Tati, 1974
© Specta Films C.E.P.E.C.- Les Films de Mon Oncle

« Je veux que les enfants viennent s’amuser au cinéma comme moi quand j’étais petit au cirque. Il faut créer un vrai climat de fête », dit chaque Jacques Tati. C’est chose faite dans Parade, son dernier long-métrage sorti en 1974. Il y filme un spectacle de cirque acclamé par des spectateurs enthousiastes. Entre chaque numéro « traditionnel » se glisse une intervention de Jacques Tati, grimé en Monsieur Loyal.

Ce film se place dans un moment difficile de la carrière de Jacques Tati. Playtime, sorti en 1967, est un échec commercial. En France, il ne trouve plus de financements, on lui reproche des films trop chers. Il se tourne donc vers l’étranger : les Pays-Bas pour Trafic (1971) et la Suède pour Parade. Parade devait être une série de treize programmes courts réalisés pour la télévision suédoise. Cela fut rapidement abandonné au profit d’une émission unique et plus longue, puis d’un film. Il est intéressant de noter que Parade est le premier film réalisé en format vidéo, dans le but de réduire les coûts.

Ce long-métrage constitue une joyeuse conclusion à la carrière de Jacques Tati. Il retranscrit un véritable jour de fête en filmant le divertissement populaire par excellence, celui qui plaît et enchante les petits comme les plus grands, le cirque. Les numéros sont variés et tous marqués par la gaieté et l’humour. On y trouve des acrobates, des musiciens, des danseurs : tout le monde du spectacle est réuni sur une même scène. Par ailleurs, Jacques Tati renoue avec le mime, son premier amour, dans d’amusantes saynètes qui se placent entre les numéros et structurent le spectacle. En effet, sa carrière commence dans les music-halls où ses imitations silencieuses amusent le public. Les Impressions sportives sont un de ses numéros phare à cette époque. On en retrouve des extraits dans Parade, comme le joueur de tennis ou le gardien de but, présenté dans l’exposition. L’acteur-réalisateur opère donc ici une véritable synthèse de ses passions.

Jacques Tati a cherché dans son œuvre à abolir la distinction entre le spectacle et le cinéma ; c’est le cas ici, puisque le spectacle devient le sujet du film. Mais attention, Parade n’est pas seulement un spectacle de cirque filmé, il bénéficie d’une réelle recherche et d’une écriture cinématographique. En donnant aux spectateurs une place importante dans son film, Tati les rend acteurs. Il efface la distinction qui existe entre les deux, puisque le public est composé pour moitié de figurants et pour moitié de véritables spectateurs. Lors d’un numéro de rodéo sur une mule, un volontaire est en fait un acrobate déguisé. Les deux enfants dissipés longuement filmés sont des figurants choisis pour leur physique, mais surtout parce qu’ils étaient peu obéissants. Ce spectacle est réalisé en collaboration, dans une communion de joie. Le spectacle se termine sur la silhouette anguleuse de Jacques Tati quittant la scène pour les coulisses, émouvante mise en scène d’une fin de carrière marquée par l’allégresse.

Pierrick Sorin, Sorino le magicien, 1999

Pierrick Sorin, Sorino le Magicien, 1999
Version pour écran unique
Pictogramme extrait de la vidéo
© Pierrick Sorin

Pierrick Sorin est un artiste plasticien et vidéaste français vivant à Nantes. Dès sa sortie des Beaux-arts de Nantes en 1988, il se tourne vers l’art vidéo, plus précisément vers l’autofilmage. Ainsi, il est metteur en scène et acteur de ses vidéos, notamment dans réveils (1988), où il enregistre quotidiennement le drame du réveil. Depuis lors, il ne cesse de se mettre en scène dans diverses saynètes revendiquant un humour qui se veut aussi une réflexion sur l’art et la condition de l’artiste.

Dans Sorino le magicien (1999), il utilise une technique particulière, le théâtre optique. Pour cela, il utilise un miroir semi-transparent qui reflète le décor placé devant lui tout en laissant voir l’image diffusée par un vidéoprojecteur derrière lui. Les personnages prennent alors un air fantomatique, évanescent. Cette superposition apporte une esthétique particulière à l’image, qui rappelle l’esprit des pionniers du cinéma comme Georges Méliès. Ce dispositif particulier apporte une dose supplémentaire d’illusion, de magie aux tours de Sorino. Ces tours ont d’ailleurs un côté dérisoire. Sorino, accompagné de son assistante en costume argenté, fait apparaître une baguette de pain de son chapeau, la transforme en poireau, ou bien sépare un pain en deux. On est alors bien loin des bouquets de fleurs et des lapins blancs !

Ce décalage parodique est accentué par la mélancolie du son de l’accordéon ainsi que par la placidité des deux protagonistes. Ces tours peuvent aussi déranger par le côté malsain des objets et des scènes à connotation érotique intégré à un spectacle destiné à l’émerveillement des enfants.

VALÉRIE BELIN, SÉRIE MASQUES, 2004-2005

Valérie Belin, Sans titre, Série Masques, 2004
Tirage argentique contrecollé sur aluminium
© Valérie Belin, Courtesy Galerie Jérôme de Noirmont

Valérie Belin est une artiste photographe née en 1964. Elle fait des études de philosophie à la Sorbonne et d’expression plastique à l’Ecole des beaux-arts de Bourges. Ses photographies ont été présentées dans de nombreuses galeries à Paris, New York et Londres. Elle a remporté le prix Paris Photo en 1997, le Prix Atladis en 2000 et le prix HSBC en 2001.

Son travail est particulièrement reconnaissable. Elle poursuit une démarche cohérente et très rigoureuse, tant sur le plan technique qu’iconographique. Ses compositions sont précises ; des cadrages serrés excluant tout contexte. La lumière est très travaillée, tout comme le grain. Elle se concentre principalement sur le noir et blanc. Ce choix est particulièrement significatif dans la série des masques, normalement caractérisés par leurs couleurs vives et exagérées. Dans l’exposition, des masques de clown de la collection du Musée des Arts Décoratifs sont présentés à côté de deux photographies de la série. Le contraste est saisissant concernant les couleurs et les dimensions, puisque les formats choisis par Valérie Belin sont monumentaux.

Ces photographies produisent un sentiment d’ambiguïté, de malaise. Elles évoquent le côté étrange du cirque. Valérie Belin explique qu’elle a choisi des masques de très bonne qualité, très vraisemblables, proche d’un visage réel. Mais ces visages sont vides, comme le souligne les cavités béantes d’un des masques, symbolisant les yeux. Cette recherche sur l’absence et la présence est omniprésente dans le travail de l’artiste, et apportent une nouvelle profondeur au thème du cirque.

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