Eugène Grasset, « Les Arts de la Femme », 1892.
© Photo Suzanne Nagy
Le Comité des dames est né en 1895 par la volonté de l’Union centrale des arts décoratifs (UCAD) d’encourager et d’encadrer le travail féminin dans les arts décoratifs. Sa création se situe en effet dans un contexte de débats sur la place des femmes dans la société : le travail féminin, de plus en plus visible, est observé avec méfiance, accusé de perturber l’ordre social par une concurrence déloyale au travail masculin, et de troubler l’ordre familial en enlevant la femme à ses tâches ancestrales d’épouse et de mère...
Néanmoins, les études supérieures et les professions qualifiées s’ouvrent progressivement aux femmes. La sphère artistique ne reste pas à l’écart de ces débats et de ces progrès. Tandis que l’École des beaux-arts et l’École des arts décoratifs deviennent accessible aux femmes dans les années 1890, les travaux d’art féminins sont considérés comme une source honorable de revenus et font l’objet d’un intérêt plutôt bienveillant, quoique souvent condescendant. Ainsi, une première grande exposition en 1892 au Palais de l’industrie, sous le commissariat de l’UCAD, est consacrée aux arts de la femme. En 1893, l’Exposition universelle de Chicago accueille le « Woman’s Building », une exposition féminine dont la section française est organisée par Mme Pégard, future initiatrice du Comité des dames de l’UCAD.
L’UCAD aborde la question du rôle des femmes dans les arts décoratifs lors de son Congrès de 1894. Mme Pégard y présente un rapport intitulé « De l’influence de la femme sur le mouvement artistique de notre pays », dont les conclusions et les vœux, au sein desquels prend naissance le Comité des dames, sont unanimement acceptés. L’organisation de la deuxième exposition des arts de la femme en 1895 est confiée par l’UCAD à Mme Pégard, et c’est à cette occasion qu’est fondé le Comité des dames, appelé aussi « section féminine » de l’UCAD.
Missions
Le Comité des dames promeut le travail des femmes dans la production des arts décoratifs. Son action est menée par des « dames du monde », pratiquant l’art en amateur, qui encouragent les travailleuses professionnelles par le biais d’expositions, de concours, d’acquisitions d’œuvres, et par l’enseignement des arts décoratifs aux jeunes filles. Le Comité revêt une portée sociale et morale, puisqu’il cherche à combattre la vie « immorale » qui menace les ouvrières d’art, en proposant à ces dernières un travail honorable qui peut prendre place au sein de leur foyer.
Ainsi, le Comité des dames ne se présente pas comme une œuvre d’émancipation féminine, même si l’on peut penser qu’il contribue à cette cause, mais entend guider les femmes dans un chemin artistique vertueux, par le ressort de l’émulation artistique entre dames du monde et ouvrières. Son activité s’est révélée très féconde dans ses premières années d’existence : organisation de concours et d’expositions, développement de l’Ecole, acquisitions d’œuvres, conférences... Puis au cours des années 1920, les missions du Comité se recentrent uniquement sur son Ecole.
Les membres
Le Comité des dames est à son origine composé de membres exclusivement féminins. Ce sont des noms de grandes familles, souvent des parentes de membres de l’UCAD. La première présidente du Comité des dames est Mme la Générale Février. En 1897, elle donne sa démission au profit de Georges Berger, président de l’UCAD ; dès lors la présidence du Comité des dames sera toujours exercée par le président de l’UCAD.
Les expositions
E. Moreau-Nélaton, « Les Arts de la Femme », 1895.
© Photo Suzanne Nagy
L’une des principales activités du Comité réside dans l’organisation d’expositions, permettant aux artistes féminines de faire connaître et vendre leurs œuvres. Particulièrement nombreuses au cours des années 1900 et 1910, ces expositions sont l’occasion de réunir et comparer les travaux artistiques des dames du Comité pratiquant l’art en amateur, des artistes professionnelles, et des élèves de l’École du Comité, qui peuvent espérer être remarquées par des industriels et trouver un travail.
Parmi ces expositions, quelques-unes se démarquent par leur importance qualitative. L’exposition des arts de la femme de 1895 constitue le premier coup d’éclat du Comité des dames, un véritable succès avec plus de 16 000 entrées. Alors que la première exposition des arts de la femme de 1892 était plutôt consacrée à des industries artistiques au service des femmes – vêtements, bijoux, fleurs artificielles... – celle de 1895 est davantage tournée vers les artistes femmes, même si les industriels ne sont pas absents. L’exposition des arts de la femme de 1898 accueille
4 000 visiteurs et 179 exposantes. Elle consacre l’artiste Joséphine Jonnart, dont plusieurs œuvres – plateaux pyrogravés et illustrations pour missel – sont alors acquises par l’UCAD et le Comité des dames.
« Les Arts de la Femme », 1898, invitation
© Photo Suzanne Nagy
L’Exposition universelle de 1900 est aussi un temps fort pour le Comité, qui présente, au sein du pavillon de l’UCAD, un salon de style néo-Louis XVI et une chambre d’enfant de style Art nouveau. En outre, au cours de ses premières années d’existence, le Comité des dames prend une envergure internationale en participant à des expositions à Glasgow, Tournai, Cork, Liège et même New York.
La première guerre mondiale fait cesser temporairement les expositions du Comité, qui par la suite ne présente plus que les travaux d’élèves de son École. Ainsi, ce n’est que par l’intermédiaire de son École que le Comité participe à l’Exposition internationale des arts décoratifs de 1925.
« Livre des concours institués par le Comité des Dames de l’UCAD », 1898-1900
© Photo Suzanne Nagy
Les concours
Le Comité des dames s’est inspiré des concours organisés pour l’UCAD pour proposer dès 1896 des concours s’adressant aux artistes femmes de nationalité française, élèves, amatrices ou professionnelles, afin d’encourager leur création artistique. Ces concours, au nombre d’une quarantaine environ, suivent un rythme assez similaire à celui des expositions, la plupart d’entre eux se déroulant entre 1895 et 1914. Après la guerre, ils reprennent à un rythme plus ralenti en 1919 pour s’achever en 1921. Ils ne sont par la suite plus qu’internes à l’École du Comité.
Il faut apprécier la diversité des sujets donnés aux concours. Ils touchent en effet des domaines très variés des arts décoratifs : papiers peints, bijoux, mode, textile, mobilier, etc. On dénote néanmoins une certaine prédilection pour le travail du cuir, certainement liée à l’enseignement de la reliure à l’École du Comité, et, bien sûr, pour les travaux d’aiguille...
L’Ecole du Comité des dames
Les années 1890 marquent une ouverture des écoles d’arts décoratifs aux jeunes filles, passant d’une formation jusqu’alors plutôt tournée vers un art d’agrément à une vocation véritablement professionnelle. Le Comité des dames s’inscrit dans cette voie en y intégrant une dimension sociale, par la mise en place d’un enseignement gratuit pour un certain nombre d’élèves méritantes, aux revenus modestes. L’École est par ailleurs réservée aux jeunes filles et ne sera pas mixte avant les années 1970.
Marie Hagelstein, « projet de service à thé », 1897
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© Photo Suzanne Nagy
Le Comité commence par ouvrir en 1897 un cours d’art décoratif professionnel dans l’École d’art de la Cité du Retiro, près de la rue du faubourg Saint-Honoré ; le Comité des dames ne crée donc d’abord que des cours au sein d’un cadre préexistant. En 1900, les cours du Comité des dames sont au nombre de deux : un cours d’art décoratif, qui réunit alors 67 élèves, et un cours de décoration du cuir, de 44 élèves. Plus de la moitié des élèves sont des boursières, des « pupilles ». Peu à peu, de nouveaux cours s’ajoutent : le dessin géométrique et la perspective, le modelage, la reliure, la dentelle et la broderie.
Les années 1910 représentent une époque charnière. En 1909, les cours du Comité des dames s’installent au 112, boulevard Malesherbes (17e arr.), dans des ateliers loués. C’est sans doute à partir de ce moment que l’École du Comité des dames se fait appeler « École et ateliers d’art décoratif ». Les cours enseignés sont plus nombreux : dessin de figures, composition décorative, perspective et géométrie descriptive, reliure, gaînerie, travaux d’art, dorure, broderie d’art, dentelle, piquage, etc. Avec la guerre, la directrice, Mlle Anna Baumeister, est retenue en Alsace ; elle est remplacée par Mlle Andrée Langrand, qui restera à la tête de l’École jusqu’en 1960 ! De même, l’artiste décorateur Henri Rapin prend la direction artistique de l’École en avril 1918 : il apporte un nouveau souffle à l’École en réformant les programmes. Grâce à la réforme d’Henri Rapin, l’École connaît alors une période de grande expansion, passant de 116 élèves en 1923 à 259 en 1925.
Ecole de l’UCAD, 6 rue Beethoven, Paris XVI, ca 1924
© Photo Suzanne Nagy
L’École déménage une seconde fois en 1924, quittant le boulevard Malesherbes pour le 6, rue Beethoven, près du Trocadéro. S’il est désormais généralement fait référence à « l’École et Ateliers d’art pour jeunes filles », l’appellation d’« École Beethoven » se développe au fil du temps, pour dominer à partir des années 50. Ce déménagement de 1924 contribue à l’essor de l’École, en donnant de meilleures conditions de travail aux élèves.
A l’Exposition internationale des arts décoratifs de 1925, l’École bénéficie d’une excellente publicité en décorant une salle au premier étage du Grand Palais, dessinée par Rapin et exécutée par les élèves de l’École. Un ensemble de 200 reliures y est présenté, dont celles de Jeanne Langrand, Rose Adler, Geneviève de Léotard, élèves ou anciennes élèves de l’École. L’effort est récompensé d’un grand prix.
En 1928, Henri Rapin abandonne la direction artistique de l’École et la confie à un autre artiste décorateur, René Prou. De nouveaux cours sont créés, ainsi le cours de publicité qui fait intervenir des artistes de l’affiche comme Cassandre.
En 1972, un enseignement de communication visuelle est créé, qui plonge l’École dans la modernité. Mais la plus grande nouveauté réside alors peut-être dans l’ouverture à la mixité. En 1988 l’École en tant que telle disparaît : sa section communication visuelle rejoint l’École Camondo tandis que sa section de reliure devient le Centre des arts du livre et de l’estampe (CALE), de 1989 à 2003.
Les élèves du Comité
Dès leur fondation, les cours du Comité des dames affirment une vocation sociale, par leur ouverture gratuite à des « pupilles ». Le terme de pupille est progressivement concurrencé à partir des années 1920 par celui de boursière. Être boursière, ou demi-boursière, implique certains devoirs, tels que la préparation et le nettoyage des salles, ou le maintien de l’ordre. La crise des années 1930 contribue à réduire le nombre de bourses, mais c’est surtout à partir des années 1950 que celles-ci sont drastiquement diminuées et que les frais de scolarité augmentent, afin de compenser le développement des charges de l’École.
Parmi les élèves de l’École du Comité des dames, quelques-unes sont devenues des artistes reconnues, notamment autour des années 1920. La plus célèbre d’entre elles est bien sûr Charlotte Perriand, dont les archives de l’UCAD ne gardent malheureusement aucune trace.
Il semble qu’elle soit entrée à l’École comme boursière en 1920. Rose Adler, dont le travail talentueux en reliure n’a pas encore été suffisamment étudié, figure également parmi les élèves de l’École, en tant qu’élève adhérente (c’est-à-dire payante), vers la fin des années 1910. De même, la relieuse Jeanne Langrand, soeur de la directrice de l’École Andrée Langrand, étudie à l’École en tant que pupille puis devient monitrice du cours de reliure. Dans les années 1920, il semble également que Jeanne Brandt, fille du ferronnier Edgar Brandt, Jacqueline Lamba, la seconde épouse d’André Breton, et, un peu plus tard, Dora Maar, aient été des élèves.
La fin du Comité des dames
Le Comité des dames disparaît en 1961, silencieusement, sans heurts. La cause de cette disparition semble résider dans la refonte des statuts de l’UCAD, datant de 1888 et « périmés ». Les nouveaux statuts de 1961 admettent ainsi les femmes au sein du Conseil d’administration de l’UCAD. Le Comité des dames n’a donc plus de raison d’être, d’autant qu’il a depuis les années 1920 restreint ses missions à l’École et à l’organisation de conférences ; ne cherchant plus à promouvoir la production artistique féminine, et est donc tout naturellement absorbé par l’UCAD.
Le Comité des dames au MAD
Henriette Delillier, « projet de table à rallonge »
© Photo Suzanne Nagy
La Bibliothèque du MAD conserve aujourd’hui l’ensemble des archives du Comité des dames, particulièrement riches pour les années 1900. Elle conserve aussi le Livre des concours du Comité des dames de 1898 à 1900. Ce superbe document, de taille imposante, rassemble un certain nombre de projets primés et permet d’en apprécier toute la qualité décorative.
Par ailleurs, une soixantaine d’œuvres liées à l’action du Comité des dames sont présentes dans les collections du Musée des Arts Décoratifs. Elles ont pour la plupart été acquises par le Comité des dames lors de ses expositions ou de ses concours, puisque les projets primés aux concours restaient la propriété du Comité. Elles ont ensuite été déposées au musée, à une date probablement située entre 1900 et 1910. La majorité des acquisitions du Comité des dames a ainsi eu lieu entre 1898 et 1901, et particulièrement à l’Exposition universelle de 1900.
La diversité des objets conservés est grande. Céramiques, textiles, mobilier, objets en cuir, en métal, médailles et dessins sont représentés. D’un point de vue artistique, il est intéressant de remarquer que les objets sont de style moderne et refusent tout éclectisme : c’est un style Art nouveau modéré qui domine, parfois traité de manière volontairement naïve pour les objets liés aux enfants, comme le paravent d’Henriette Delillier et l’abécédaire de Mlle Diémer pour la chambre d’enfant présentée à l’Exposition universelle de 1900. Certes, les œuvres conservées sont souvent modestes tant par leur taille que par leur ambition. Elles font néanmoins preuve de qualités décoratives incontestables. Si leurs créatrices ne sont pas passées à la postérité, le talent de certaines, telles Joséphine Jonnart, Lucie Signoret-Ledieu, ou Henriette Delillier, ne fait nul doute.
M.-A. T.
Succès international des organisations féminines
Les expositions des « arts de la femme » – appelées aussi expositions des « travaux féminins » – connaissent un succès international dans les dernières décennies du XIXe siècle. Elles sont consacrées aux travaux d’art décoratif réalisés par des femmes et s’inspirent des Pavillons de la femme qui ont vu le jour aux Expositions universelles. L’exposition des Arts de la femme que l’Union centrale des arts décoratifs organise en 1892 manifeste ainsi la volonté précoce de prendre en compte les femmes, en tant que consommatrices aussi bien que créatrices. Deux facteurs peuvent expliquer l’engouement pour ces expositions : la multiplication des associations féminines qui trouvent dans les expositions le moyen d’acquérir une visibilité et le climat de compétition internationale qui mobilise les femmes afin de défendre la suprématie artistique de leur pays.
Henriette Delillier, « projet de collier », 1899
© Photo Suzanne Nagy
Dans le sillage du Comité des dames, d’autres expositions voient le jour dans de nombreux pays d’Europe. Les grandes métropoles de la Belle Epoque accueillent des expositions féminines sous l’impulsion d’associations philanthropiques et artistiques. Ainsi, aux expositions parisiennes du Comité des dames font suite, à la fin du XIXe siècle, des expositions à Gand, à la Hague, et à Rome. Dans les premières années du XXe siècle, le Comité fait même le projet ambitieux d’une Exposition internationale des travaux d’art manuel féminin.
En se focalisant sur l’artisanat féminin, ces expositions soulèvent les enjeux du travail des femmes et de la modernisation des industries d’art auxquels sont confrontées toutes les nations européennes. Les arts décoratifs – en particulier les arts dit « féminins » qui recouvrent les arts où l’imitation l’emporte sur la créativité – fournissent aux yeux de nombreux observateurs un travail décent pour les femmes, loin du monde de l’usine qui cristallise les peurs. Par ailleurs, la progression de la scolarisation des jeunes filles et l’ouverture aux femmes des études artistiques posent le défi de l’insertion professionnelle. Dans ce sens, le rôle des expositions est bien de mettre en relation les acheteurs avec les artistes et les industriels.
Les archives du Comité des dames dévoilent le constant travail de documentation de ses membres pour suivre l’actualité des organisations féminines, des Etats-Unis à l’Angleterre, de la Russie à l’Italie. Les nations qui réalisent les expositions invitent des associations et des écoles étrangères ; chacune peut donc bénéficier d’expériences et de savoir-faire multiples. De plus, la tradition cosmopolite des élites, auxquelles appartiennent les membres du Comité des dames, facilite la circulation des idées puisque ces femmes de la noblesse ou de la grande bourgeoisie voyagent et possèdent souvent un réseau amical international. Les expositions d’art féminin ouvrent de nouveaux espaces de sociabilité au-delà des frontières, favorisant ainsi les rencontres et les échanges interculturels.
E. K.