Le style de cette chambre médiévale prouve l’attachement que l’on avait encore, à la fin du XVe siècle pour le décor à remplage inspiré des cathédrales gothiques et repris à satiété sur les coffres, les bandeaux de cheminée, les cathèdres, lits et escabelles. La chambre est une pièce essentielle de la demeure : on y dort, on y mange, on y reçoit, on y accouche et on y prend même des bains.
Une partie du mobilier exposé provient du château de Villeneuve-Lembron en Auvergne, propriété de Rigaut d’Oureille (1455-1517), sénéchal de Gascogne et de l’Agenais, maître d’hôtel et diplomate des rois Charles VIII, Louis XII et François 1er. La distribution des pièces du château se fait ainsi : le corps de logis distinct des communs comporte un rez-de-chaussée avec une galerie, aux extrémités de laquelle deux escaliers à vis conduisent aux salles du premier étage : trois grandes salles, une chambre de parement avec une vaste cheminée, une chambre de retrait, une antichambre, une garde-robe, un cabinet, une salle d’étude. L’accent est mis sur des éléments de prestige tels que la vis desservant les étages, la galerie en façade et la chapelle.
Le legs d’art médiéval et Renaissance particulièrement important du collectionneur Emile Peyre (1824-1904) à l’Union Centrale des Arts décoratifs permet de concevoir dès 1905 une première salle médiévale au musée. La period room actuelle, aménagée en 2006, s’organise essentiellement autour de ce legs et du don effectué en 1917 par la marquise Arconati-Visconti en souvenir de l’antiquaire Raoul Duseigneur, comprenant cheminée, boiseries et vitraux.
Dans la chambre, c’est autour du lit et en fonction de lui que les autres meubles prennent place. Ici, le lit à dais en chêne, particulièrement soigné, possède deux colonnes sculptées de fines torsades rythmées de fleurs de lys, boules, losanges, feuilles de palmier et écusson aux armes de Rigault d’Oureille : « d’azur à la bande fuselée de sable, posée de travers ». Les couleurs vives témoignent du goût prononcé au Moyen Âge pour la lumière, les rideaux verts évoquent les intérieurs soigneusement représentés de la peinture flamande. Près du lit, se trouvent divers éléments de mobilier : un banc à haut dossier pourvu d’un coffre dissimulé sous le rabat de l’assise, le dressoir où l’on pose souvent une aiguière et un verre, ou encore la scabelle, légère et mobile, se déplaçant d’autant plus facilement qu’elle est multifonctions. En effet, ce siège peut aussi faire office de table sur laquelle on peut poser un livre, un fruit ou un repas léger. Pour les repas familiaux, on dressait la table sur des tréteaux recouverts de nappes devant la cheminée puis on la remisait dans une garde-robe ou petit débarras jouxtant la pièce.
Le mobilier ne varie pas vraiment d’une région à l’autre de la France au cours du XVe siècle ; seules les formes du décor se mettent au goût du jour, suivant en principe celui des cathédrales. On observe, à cette époque, à la fois une persistance d’un style gothique très conservateur et une énergie créative et astucieuse d’une incroyable modernité, notamment dans la réalisation d’un mobilier transformable et pivotant.
The style of this medieval bedroom shows the enduring taste in the late 15th century for tracery decoration inspired by the gothic cathedrals and reproduced ad nauseam on chests, fireplace mantels, cathedrae (bishop’s thrones), beds and escabelles (stools). The bedroom was then an important room in the home, where one slept, ate, received guests, gave birth and even had a bath.
Part of the furniture on display comes from the Château de Villeneuve-Lembron in Auvergne, property of Rigaut d’Oureille (1455-1517), seneschal of Gascony and the Agen region, and equerry, butler and diplomat to Charles VIII, Louis XII and François I. The château’s main building, separate from the outbuildings, has a ground floor with a gallery with spiral staircases at both ends. The staircases lead up to the first-floor composed of large rooms: a reception room with a huge fireplace, a private room, an antechamber, a dressing room, a study room and a lavatory. Emphasis was given to prestigious architectural elements such as the spiral staircases, the gallery along the facade and the chapel.
The major bequest of medieval and Renaissance art made by the collector Emile Peyre (1824-1904) to the Union Centrale des Arts Décoratifs enabled the creation of the museum’s first medieval room in 1905. The current period room, created in 2006, is composed principally of this bequest and the donation made in 1917 by Marquise Arconati-Visconti in memory of the antique dealer Raoul Duseigneur, comprising a fireplace, panelling and stained glass windows.
In the bedroom, it was the bed that dictated the arrangement of all the other furniture. The ornate oak canopy bed has two columns sculpted with delicate cable moulding, fleurs-de-lis, balls, diamonds, palm leaves and Rigault d’Oureille’s coat-of-arms (“d’azur à la bande fuselée de sable, posée de travers”). The vivid colours illustrate the medieval aspiration for light, and the green curtains evoke the meticulously depicted interiors characteristic of Flemish painting. The other typical pieces of bedroom furniture are the high-backed bench with a chest concealed beneath the seat, the dresser, on which an ewer and glass were often placed, and a scabelle, a lightweight, portable stool that could also serve as a table on which to place a book, fruit or a light meal. For family meals, a trestle table with tablecloths was placed in front of the fireplace then put away in the dressing room or small storeroom adjoining the bedroom.
Furniture varied little from one region to another in 15th-century France, with only its ornamentation changing as tastes evolved, often prompted by developments in cathedral decoration. This period saw both the persistance of a very conservative gothic style and ingenious, incredibly modern inventiveness, notably in the making of transformable and pivoting furniture.
De remarquables inscriptions gothiques et peintures murales ornent la galerie du rez-de-chaussée du château de Villeneuve-Lembron. Parmi elles, celle du « dit de l’astroloc », qui apparaît coiffé d’un bonnet et vêtu d’une robe, discourant devant un lutrin fixé sur un socle et surmonté d’une sphère. Ses paroles sont inscrites sur un parchemin développé à sa droite :
Home vivant selon raison.Considère le temps qui court.Est plus heureulx en sa maisonQue les grans qui vivent en cour
On distingue également la représentation de Rigault d’Oureille lui-même, assis dans sa chaire, coiffé de la toque à la mode sous Louis XII. Ses réflexions sont ainsi inscrites, incitant sa descendance à la prudence et à la loyauté :
Vous qui a court royal servez.Entendez mon enseignemt.Oyez voiez souffrez taisez.Et vos portez courtoisemt.Faictes bien servez loyaumt.Et celluy qui grace y aura.Acquiere ung bien secrètmt.Pour aller quant la court fauldra.Vous devez bien considerer.Que la court fault soudainemt.Ou par mort q vs lantendez.Ou par trop y avoir de gent.Ou par raport fait faulcemt.Mais quant la court se restrainda.Qui na logys il est doulant.Pour aller quant la court fauldra.Le temps sen va bien le scavez.Et grace fault soudainemt.Le futeur regarder devez.Que vous ne soyez indigent.Car sil vo ’ vient quelqs accident.Cas pourveu vous secoura.Et dires jay ung longementPour aler quant la court fauldra.Prince nest ce fait saigemt.Et cy en parle qui vouldra.De faire unct aubergemt.Pour aler quant la court fauldra.
The gallery on the ground floor of Château de Villeneuve-Lembron is decorated with remarkable gothic inscriptions and murals. They include a portrayal of an astrologist, wearing a bonnet and robe and holding forth at a lectern surmounted by a sphere. His words, written on the unfurled scroll above him, tell us that a man who lives reasonably and reflects on passing time, is happier at home than the great who live at court:
Home vivant selon raison.Considère le temps qui court.Est plus heureulx en sa maisonQue les grans qui vivent en cour
There is also a portrayal of Rigault d’Oureille himself, seated in a throne-like chair and wearing the cap fashionable during the reign of Louis XII. His thoughts, inscribed next to him, warn his descendants against the vagaries of life at court and exhort the virtues of prudence and loyalty:
Vous qui a court royal servez.Entendez mon enseignemt.Oyez voiez souffrez taisez.Et vos portez courtoisemt.Faictes bien servez loyaumt.Et celluy qui grace y aura.Acquiere ung bien secrètmt.Pour aller quant la court fauldra.Vous devez bien considerer.Que la court fault soudainemt.Ou par mort q vs lantendez.Ou par trop y avoir de gent.Ou par raport fait faulcemt.Mais quant la court se restrainda.Qui na logys il est doulant.Pour aller quant la court fauldra.Le temps sen va bien le scavez.Et grace fault soudainemt.Le futeur regarder devez.Que vous ne soyez indigent.Car sil vo ’ vient quelqs accident.Cas pourveu vous secoura.Et dires jay ung longementPour aler quant la court fauldra.Prince nest ce fait saigemt.Et cy en parle qui vouldra.De faire unct aubergemt.Pour aler quant la court fauldra.
Raoul Duseigneur’s bedroom was hung with five tapestries. The first depicts a falcon hunt in woodland. A woman is waving to retrieve the falcon swooping down on a duck; a man and a woman are meeting, reaching out to one another across a stream; a woman has retrieved the sparrowhawk, and on the right, the bird is being fed a morsel of its prey. In the second scene, set against the backdrop of a fortified town, a woman playing the harp, reading from the score on the rotulus held by her lover, on which is written “de ce que fol pense,” the first line of a ballad for three voices by Pierre de Molins. In the next tapestry, two couples are conversing in a garden of holly trees. The fourth scene depicts a meeting outside a château, possibly a betrothal. The last tapestry, known as “La Recousue” (The Resewn), is a kind of patchwork of assembled fragments. Two literary sources are manifest: Le Roman de la Rose (The Romance of the Rose) and Le Livre de chasse du roi Modus et de la Reine Ratio (The Book of King Method and Queen Theory). It is one of the rare surviving examples of tapestries woven around 1400, at the height of the International Gothic period.
Cinq panneaux composent la tenture de la chambre Raoul Duseigneur. Le premier décrit une chasse à l’épervier dans un sous-bois où une femme agite un leurre pour rappeler le faucon en train de fondre sur un canard, un homme et une femme se rencontrent tendant leur main l’un vers l’autre puis, puis une femme rapporte l’épervier et à droite, l’oiseau est nourri d’un morceau de sa victime. Le deuxième panneau montre une scène de concert sur fond de ville fortifiée où une femme joue de la harpe en suivant les notes figurant sur le rotulus que tient son amant et sur lequel il est écrit « de ce que fol pense » le premier vers d’une ballade à trois voix de Pierre de Molins. Vient ensuite deux couples conversant dans un jardin de houx. Le quatrième panneau représente une rencontre au bas d’un château qui pourrait s’apparenter à une scène de fiançailles. La dernière tapisserie dite « la recousue » est une sorte de patchwork de morceaux ravaudés. Deux sources littéraires sont à l’origine de cette tenture : le Roman de la Rose et le Livre de chasse du roi Modus et de la Reine Ratio. Elle demeure un témoignage rare des tapisseries réalisées aux alentours de 1400 en plein gothique international.
Conservatrice en chef du département Moyen Âge-Renaissance : Monique Blanc
Documentaliste : Pauline Juppin
Conception, production, développement : Mosquito Emmanuel Rouiller, Arnaud Martin
Design mobilier : Avec Vous Design Claire Mouret
Photographies panoramiques : Michel Urtado, Stefan Von Laue
Photographies des œuvres : Jean Tholance, Laurent-Sully Jaulmes, Cyrille Bernard
Réalisation mobilier : Tôle concept Philippe Chaouche
Ce cartel numérique et ceux de toutes les Period-Rooms ont été réalisés avec le soutien de la Fondation Bettencourt Schueller.
Curator of the Middles Ages-Renaissance Department: Monique Blanc
Documentalist: Pauline Juppin
Concept, production, development: Mosquito Emmanuel Rouiller, Arnaud Martin
Furniture design: Avec Vous Design Claire Mouret
Panoramic photographs: Michel Urtado, Stefan Von Laue
Photographs of works: Jean Tholance, Laurent-Sully Jaulmes, Cyrille Bernard
Furniture maker: Tôle concept Philippe Chaouche
All the digital labels in the Period Rooms were produced with funding from the Fondation Bettencourt Schueller.