Diplômée de l’Union Centrale des Arts Décoratifs en 1924, Charlotte Perriand se fait connaître au Salon d’Automne de 1927 et de 1929 en exposant respectivement le Bar sous le toit et l’Équipement pour l’habitation. Liée aux mouvements d’avant-garde des années 1930, membre fondateur de l’Union des Artistes Modernes dès 1929, à Fernand Léger et de plus près à Jean Prouvé dès 1939, Charlotte Perriand est avec Le Corbusier, l’une des figures précurseurs de l’architecture intérieure.
Si sa collaboration d’une dizaine d’années avec Le Corbusier et Pierre Jeanneret la rend célèbre, elle est surtout le résultat d’une signature à trois d’un mobilier aussi moderniste qu’innovant utilisant des matériaux tels que l’acier chromé. Charlotte Perriand aiguise son approche de l’objet usuel, de l’art d’habiter et de l’équipement d’une habitation lors de voyages au Brésil, en Indochine et surtout au Japon, pays qui la convie par contrat en 1940, par le biais de l’architecte Junzo Sakakura, comme conseillère de l’art industriel auprès du Ministère impérial du commerce et de l’industrie.
Ce séjour au Japon la confortera dans sa volonté de faire coexister tradition et modernité.
Au cours de sa vie de création, Charlotte Perriand, éprise de paysages de montagne et de maison japonaise, qui œuvre dans le domaine de l’habitation, déclinera en les améliorant, l’idéal et les concepts modernistes de Le Corbusier.
De l’expression qui lui est si chère, « Art de vivre », naît une production significative de l’évolution des modes de vie qu’illustre la collection du Musée des Arts Décoratifs débutée dès 1966 par trois pièces emblématiques : le fauteuil dossier basculant B301 et la chaise longue basculante B306, pionniers en tube d’acier chromé dont elle partage la création avec Le Corbusier et Pierre Jeanneret ainsi que le tabouret à trois pieds dit Berger.
Si les pièces de Perriand s’imposent par l’élégance des lignes et des proportions, elles sont le résultat d’un choix rigoureux de matériaux –bois, bambou, acier chromé… et de recherches très approfondies sur l’idée de gagner de l’espace comme les rangements, les cloisons et les claustras qui coulissent pour créer de nouveaux horizons domestiques.
Premières lignes de la préface de Eugène Claudius-Petit
De simples mots
Charlotte Perriand ? C’est une vie pleine, féconde, où chaque jour apporte son offrande à la création. Charlotte méconnue ? Certes, mais n’a-t’elle jamais fait un effort pour qu’il en soit autrement ? Elle n’a couru ni après les colifichets, ni après les médailles. C’est un autre rêve qui habite le regard qu’elle porte sur les êtres et les choses, l’espace qu’ils occupent et modifient par leur démarche.
Premières lignes de la préface de François Mathey
On l’appelle Charlotte
On l’appelle Charlotte. Charlotte, c’est l’image de la belle ouvrage, du travail pensé, c’est aussi une sacrée bonne femme qui se coltine avec les travaux et les jours, les prend à bras-le-corps et les résout tranquillement parce qu’elle y met son instinct réaliste, son sens de l’ordre, son goût des choses. Autant qu’un homme et sûrement beaucoup mieux. On l’imagine sur un chantier, et le compagnon séduit par tant de métier : "Elle est aux pommes, Charlotte.
Extraits de la postface de Yvonne Brunhammer
L’art de vivre de Charlotte Perriand
« Devant une belle page blanche, j’aimerais avoir vingt ans... » Charlotte Perriand clôt ainsi le dialogue avec elle-même qui, à travers les pages de ce livre, et dans l’exposition de son oeuvre au Musée des Arts Décoratifs, restitue pour nous son histoire. Elle vient d’y consacrer un an de sa vie, et c’est trop de temps déjà enlevé au présent et ses mutations, et à l’avenir. [...]
Qui de nous, sortant de l’exposition du Musée des Arts Décoratifs acceptera encore l’encombrement de son intérieur ?
« Songerait-on à écouter en même temps plusieurs morceaux de musique ? » questionne Okakura Kakuzo dans le Livre du Thé.
Commandée en 1945, puis construite entre 1947 et 1952 par Le Corbusier, l’Unité d’Habitation de Marseille est l’un des chefs d’œuvres de l’architecture moderne du XXe siècle. Cette « Cité Radieuse », réalisée suite à la demande du Ministère de la Reconstruction et de l’Urbanisme, est mise sur pied pour répondre aux besoins sociaux de l’après-guerre. En effet, l’immeuble réunit 337 appartements de 23 types différents, allant du petit logement pour célibataire jusqu’à l’habitat familial. Conçu en béton armé, le bâtiment est élevé sur pilotis, et comprend un toit-terrasse, des commerces, des espaces dédiés aux loisirs et une école maternelle. Cet édifice qui favorise le bien-être et la vie en communauté, est doté d’un confort domestique optimisé par ses aménagements intérieurs, alliant harmonie formelle et le décloisonnement des volumes, mais aussi la fonctionnalité et le gain de place, comme cela est le cas avec la cuisine intégrée, réalisée en collaboration avec Charlotte Perriand.
Conçue comme un « petit laboratoire », la cuisine de Charlotte Perriand et de Le Corbusier est réalisée pour simplifier les tâches domestiques du quotidien. Si elle est l’un des exemples iconiques de l’équipement moderne de l’après-guerre, elle fait écho aux réflexions déjà présentes pendant les années 1920-1930, avec notamment la cuisine de Francfort (Frankfurter Küche) conçue en 1926 par l’architecte autrichienne Margarete Schütte-Lihotzky, ou encore la cuisine Cubex de Louis-Herman de Koninck (1931).
Considérée comme le cœur du foyer familial, la cuisine de l’Unité d’Habitation de Marseille est un lieu convivial, semi-ouvert vers les espaces à vivre. Le plan de la cuisine est un carré de 4,80 m, permettant à chacun d’avoir à portée de main tous les équipements en pivotant simplement sur soi-même. Implantée à proximité des grandes baies vitrées de l’édifice, elle bénéficie d’une lumière naturelle. Alors qu’un meuble-bar facilite le passage de la vaisselle, des portes coulissantes permettent de cacher le désordre éventuel des tables de travail, afin de préserver l’harmonie de l’appartement. Les équipements de cette cuisine font corps avec la structure en béton de l’habitat, et comportent entre-autre : une cuisinière électrique et un four, un évier à double bac, dont l’un forme un vide-ordures automatique, une armoire frigorifique, deux grandes tables recouvertes de métal au niveau de l’évier, des placards et des casiers pour le rangement des ustensiles, et enfin un dispositif encore peu répandu en France à l’époque : une hotte d’aspiration des vapeurs de cuisine raccordée à la ventilation générale du bâtiment. Alors qu’elle permet un gain de place considérable, la cuisine de l’Unité d’Habitation de Marseille est un témoignage majeur de la démocratisation du confort domestique.
Charlotte Perriand, who graduated from the Union Centrale des Arts Décoratifs in 1924, became known at the Salon d’Automne in 1927 and 1929 when she exhibited respectively Bar under the Roof and Equipment for Habitation. Connected to the Avant-Garde movements of the 1930s, a founder member of the Union des Artistes, connected also to Fernand Léger and more so to Jean Prouvé from 1939, Charlotte Perriand was with Le Corbusier the precursor of interior design.
If the collaboration over about ten years with Le Corbusier and Pierre Jeanneret made her famous, it was especially due to furniture signed by all three that was both modernist and innovative, using materials such as chrome steel. Charlotte Perriand honed her approach to the visual object, the art of inhabiting and equipping a home during trips to Brazil, Indochina and especially to Japan. She was invited there by contract in 1940, through the architect Junzo Sakakura, as advisor on industrial art to the Imperial Ministry of commerce and Industry. This time spent in Japan reinforced her desire to bring together tradition and modernity.
During her creative life, Charlotte Perriand, a lover of mountain landscapes and Japanese houses, who worked in the field of habitation, varied and improved the modernist ideal and concepts of Le Corbusier.
From the expression that was so important to her, The Art of Living, her productions were significant for the evolution of ways of living. This is illustrated by the collection of the Musée des Arts Décoratifs, starting in 1966 with three emblematic pieces: the B301 Basculant Lounge Chair and the B306 Basculant Lounger, pioneers in chrome steel tubing the creation of which she shared with Le Corbusier and Pierre Jeanneret, as well as the three legged stool called Berger.
If Perriand’s pieces stand out for the elegance of the lines and proportions, they are the result of a rigorous selection of materials – wood, bamboo, chrome steel, etc. They are also the product of very thorough study of the idea of saving space such as storage, partitions and trellises which slide to create new domestic horizons.
First lines of the preface by Eugène Claudius-Petit
Of Simple Words
Charlotte Perriand? It was a full life, productive, where every day brought its offering to creation. Charlotte unknown? Certainly, but did she ever make an effort for it to be otherwise? She never ran after either baubles or medals. It is another dream that inhabited the way she saw things and beings, the space they occupy and change by their movement.
First lines of the preface by François Mathey
She is called Charlotte
She is called Charlotte. Charlotte, this is the image of the beautiful creation, of the work that has been given thought, she is also a heck of a good woman who wrestles with works and days, takes them head on and resolves them calmly because she applies her realistic instinct to them, her feeling for order, her love of things. As much as a man, and probably much better. We imagine her on a construction site, and the companion seduced by so much profession: “she is in her element, Charlotte”
Extracts from the postface by Yvonne Brunhammer
Charlotte Perriand’s Art of Living
“In front of a beautiful blank page, I would like to be twenty years old...” Charlotte Perriand closed the dialogue with herself in this way, which, through the pages of this book, and in the exhibition of her work at the Musée des Arts Décoratifs, reinstates her story for us. She has just devoted a year of her life to it and it is already too much time taken away from the present and its mutations and from the future. […]
Who among us, leaving the exhibition at the Musée des Arts Décoratifs will again accept the clutter of their interior? “Would we think of listening at the same time to several pieces of music?” Okakura Kakuzo questions in the Book of Tea.
Commissioned in 1945 and built between 1947 and 1952 by Le Corbusier, the l’Unité d’Habitation in Marseille is one of the masterpieces of modern architecture of the 20th century. This “Cité Radieuse” created for the Ministry of Reconstruction and Urbanism, was developed to respond to Post-War social needs. In fact it contains 337 apartments of 23 different types ranging from small accommodation for single people to family homes. Designed in reinforced concrete, the building is erected on piles, and includes a roof terrace, shops, spaces dedicated to leisure and a kindergarten. This building, which promotes well-being and community living, is endowed with domestic comfort that is optimised by its interior furnishings, combining formal harmony and decompartmentalization of volumes, but also the functionality and space saving character, as is the case with the built-in kitchen, created in association with Charlotte Perriand.
Designed as a “small laboratory” Charlotte Perriand and Le Corbusier’s kitchen was created to simplify routine domestic tasks. As one of the iconic examples of post-war modern equipment, it echoes considerations that were already present during the 1920s and 1930s, in particular with the Frankfurt kitchen (Frankfurter Küche) designed in 1926 by the Austrian architect, Margarete Schütte-Lihotzky and the Cubex by Louis-Herman de Koninck (1931).
Considered the heart of the family home, the kitchen in the Marseille Unité d’Habitation is a convivial space, half-open to the living areas. The kitchen’s plan is a square of 4.80 m, allowing all the equipment to be within reach to everyone simply by pivoting. Placed close to the building’s large windows, it benefits from natural light. While a bar cabinet facilitates the passing of dishes, sliding doors mean that any mess on worktables can be hidden, to maintain the apartment’s harmony. The equipment of this kitchen has become one with the concrete structure of the Habitation and include, amongst others: an electric cooker and an oven, a double sink, one of which is an automatic refuse chute, a refrigerating cabinet, two large tables covered in metal around the sink, cupboards and units for storing utensils, and finally a system that was still quite rare in France at the time: a vapour extraction hood connected to the building’s general ventilation. While it allowed considerable saving of space, the kitchen of the Marseille Unité d’Habitation is a major record of the democratization of domestic comfort.
Production Les Actualités Françaises, AF
Extrait du film Le gratte-ciel de Le Corbusier
France, 1949
00mn 32sec.
Ina (ORTF)
Production A2
Extrait du film Le Corbusier
France, 1986
00mn 28sec.
Ina (ORTF)
Production L’art de vivre, RTF/ORTF
Extrait du film L’art de vivre dans sa cuisine : émission du 14 mars 1963
France, 1963
02mn 04sec.
Ina (ORTF)
Conservatrice en chef du département Moderne et contemporain :
Dominique Forest
Conservatrice du département XXe-XXIe siècles : Cloé Pitiot
Assistantes de conservation : Marianne Brabant, Louise Curtis
Chargée d’études documentaires : Laurence Bartoletti
Conception, production, développement : Mosquito Emmanuel Rouiller, Arnaud Martin
Design mobilier : Normal Studio
Photographies panoramiques : Michel Urtado
Photographies des œuvres : Jean Tholance, Béatrice Hatala