Tutto Ponti, Gio Ponti archi-designer

du 19 octobre 2018 au 5 mai 2019

Considéré comme l’un des architectes et designers les plus influents du XXe siècle, Gio Ponti (1891-1979) est mis à l’honneur au Musée des Arts Décoratifs pour une première rétrospective en France. Créateur prolifique, autant intéressé par la production industrielle que par l’artisanat, il a bouleversé l’architecture d’après-guerre tout en ouvrant les perspectives d’un nouvel art de vivre.

Hashtag : #TuttoPonti_MAD

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Commissaire général
• Olivier GABET, directeur du Musée des Arts Décoratifs

Commissaires
• Dominique FOREST, conservatrice en chef du département Moderne et Contemporain
• Sophie BOUILHET-DUMAS, Studio Bouilhet-Dumas
• Salvatore LICITRA, directeur Gio Ponti Archives

Commissaire associée
• Chiara SPANGARO, conservatrice indépendante et historienne d’art

Scénographie
• Wilmotte & Associés

Graphisme / signalétique
• Italo Lupi

Graphisme / communication
• BETC

Présentation

Présentée dans la nef du musée, l’exposition Tutto Ponti, Gio Ponti archi-designer couvre l’ensemble de sa longue carrière, de 1921 à 1978, mettant en lumière les nombreux aspects de son travail, de l’architecture au design industriel, du mobilier au luminaire, de la création de revues à son incursion dans les domaines du verre, de la céramique et de l’orfèvrerie. Plus de 500 pièces, dont certaines ne sont jamais sorties de leur lieu d’origine, retracent ce parcours pluridisciplinaire mêlant architecture, mobilier, aménagements pour des demeures privées ou des bâtiments publics (universités, cathédrales). La scénographie de l’exposition a été confiée à l’agence Wilmotte & Associés avec la collaboration du graphiste Italo Lupi. Si Gio Ponti est aujourd’hui admiré par un public éclairé d’amateurs de design et très convoité par les collectionneurs, son œuvre reste peu connue en France. Cette exposition est donc l’occasion de faire découvrir au grand public l’univers créatif de ce personnage mythique de la scène italienne, dont la générosité et l’enthousiasme ont stimulé ses contemporains et inspirent toujours les nouvelles générations de designers et d’architectes.

Gio Ponti et Giulia Ponti, Via Dezza, 1957
© Gio Ponti Archives

Diplômé de l’Ecole Polytechnique de Milan, Gio Ponti ouvre en 1921 son cabinet d’architecture adoptant au départ les principes d’une architecture d’inspiration classique avec la villa de la Via Randaccio à Milan. Nommé directeur artistique de la manufacture de porcelaine Richard-Ginori en 1923, il renouvelle le mode de production en série en l’appliquant à l’ensemble des créations de l’entreprise. Ses pièces d’inspiration néoclassique sont primées à l’Exposition internationale des Arts Décoratifs de Paris en 1925.

L’année suivante, il conçoit sa première architecture à l’étranger, la villa L’Ange volant en région parisienne et collabore avec Christofle à Paris et Venini à Murano. Parallèlement, Gio Ponti crée pour les grands magasins italiens La Rinascente, une série de meubles à prix modestes et aux formes simples rendant accessibles ainsi les arts décoratifs au plus grand nombre.

Couverture de la revue Domus n°448, mars 1967
© DR

Grâce à ses liens avec le mouvement Labirinto qui met en contact créateurs et fabricants, il diffuse ses idées et fait la promotion de nouveaux talents grâce aux expositions qu’il organise à la Biennale de Monza et surtout via la revue Domus, qu’il fonde en 1928.

Dans les années 1930, il emprunte un tournant moderniste en architecture avec la construction à Milan des Case tipiche et des bureaux de la société Montecatini. Dans le domaine de la maison, il réalise des luminaires pour Fontana Arte, des couverts pour Krupp, des étoffes pour De Angeli-Frua et Ferrari, du mobilier pour Casa e Giardino, etc.

Durant les années 1940, Gio Ponti se consacre à la réalisation de fresques monumentales au Palazzo del Bo de l’Université de Padoue. Il revient à la peinture à l’huile, à sa passion pour l’écriture, à l’opéra et au cinéma créant de nouveaux scénarios, des mises en scène et des costumes pour la Scala de Milan. À l’issue de la guerre, protagoniste majeur du « made in Italy », il encourage par le biais de la revue Domus et les expositions qu’il organise, la création italienne à l’étranger. Deux objets emblématiques voient alors le jour : la machine à café aérodynamique La Cornuta (1949) pour Pavoni et la chaise Leggera (1951) pour Cassina.

Chaise « Superleggera », 1957
Fabricant : Cassina
© Gio Ponti Archives, Milan

De 1950 à 1960, au sommet de sa carrière, Gio Ponti diffuse son style, avec d’importantes commandes architecturales privées au Venezuela, aux États-Unis, au Moyen-Orient et même à Hong Kong. Il réalise alors deux de ses chefs-d’œuvre, la villa Planchart à Caracas et la tour Pirelli à Milan. Légèreté, transparence, clarté, couleur et simplicité sont les maîtres mots de cette activité foisonnante qu’il mène depuis son quartier général à Milan, véritable laboratoire de créations. Il dessine de multiples objets et mobiliers dont le tableau lumineux pour Lumi et le fauteuil Distex pour Cassina (réédité depuis 2012 par Molteni&C).

En 1957, la chaise Superleggera (variante de la Leggera), une des plus légères au monde, devient l’icône de son mobilier.

Hôtel Parco dei principi, Sorrente, 1960
© Gio Ponti Archives, Milan

Gio Ponti s’intéresse particulièrement aux jeux de surfaces et de couleurs, travaillant à faire des murs des éléments non plus porteurs mais portés, aériens, comme suspendus. Il privilégie les revêtements de céramique qui captent la lumière et en renvoient les reflets comme à l’hôtel Parco dei Principi de Sorrente.

Dans les années 1970, toujours à la recherche de transparence et de légèreté, il envisage ses façades architecturales comme des feuilles de papier pliées sur lesquelles figurent des formes géométriques ajourées à l’exemple de la cathédrale de Tarente (1970) et du Denver Art Museum (1974).

Le mobilier est lui aussi repensé, il devient plus flexible, mobile, léger et lumineux afin d’adapter l’espace aux besoins de la vie contemporaine.

L’exposition « Tutto Ponti, Gio Ponti archi-designer » présente de façon chronologique les six décennies de la carrière de Ponti dans les domaines de l’architecture, du design, de l’aménagement intérieur et de l’édition. Une évocation de la cathédrale de Tarente, chef-d’œuvre tardif de son œuvre, introduit le parcours qui se déroule ensuite en trois volets : l’objet, le mobilier et l’architecture.

Paquebot transatlantique « Andrea Doria », salon principal de la première classe, 1952
Trieste, Thalia Marine. Services, archives Maurizio Eliseo
© DR

Enfin, six period-rooms terminent ce parcours avec des reconstitutions spectaculaires mettant en avant l’aspect global de son travail. La galerie côté jardin revient sur les collaborations qu’il a nouées avec les grands fabricants d’objets d’art, Richard Ginori, Christofle et Fontana Arte, mais aussi avec des artisans ou de petites entreprises. Céramiques, verre et orfèvrerie se mêlent aux réalisations en papier mâché et en cuivre émaillé.

Dans la nef, colonne vertébrale de l’exposition, cinq scansions mettent en avant grandes commandes, mobiliers, luminaires, textiles tandis que les projets architecturaux sont détaillés de façon chronologique grâce à des dessins, maquettes, photographies et films d’époque.

Enfin, côté rue Rivoli, six ambiances ont été imaginées pour chaque décennie afin de mettre en scène les créations de Gio Ponti : l’Ange volant, l’immeuble Montecatini à Milan, le palazzo Bo - Université de Padoue, la demeure de Gio Ponti de la via Dezza à Milan, l’aménagement de l’hôtel Parco dei Principi à Sorrente et enfin la Villa Planchart à Caracas.

Service de table, édition Ceramica Franco Pozzi, 1967
© Image courtesy of Wright auction

Gio Ponti a défendu jusqu’au bout son principe d’une « maison à l’italienne », considérée comme l’expression ultime d’une authentique civilisation moderne et internationale. Le slogan « de la petite cuillère au gratte-ciel » attribuée à l’architecte italien Ernesto Nathan Rogers (1909-1969), incarne bien la personnalité de l’architecte milanais dont les projets pouvaient évoluer de l’infiniment petit à l’infiniment grand.

Il résume à lui seul l’ampleur du champ d’exploration de Ponti sans épuiser la richesse et l’originalité d’une œuvre joyeuse, colorée et très personnelle.

Préface du catalogue
Par Olivier Gabet
Ciste « La Conversazione Classica » pour Richard Ginori, 1924
Porcelaine émaillée, décor rehaussé d’or à la pointe d’agate. Collection Sesto Fiorentino, Museo Richard Ginori della Manifattura di Doccia, Polo Museale della Toscana
© DR

Rendre hommage en cet automne 2018 à Gio Ponti semble tomber sous le sens, dans la forêt des expositions à programmer, ce grand arbre-là est fièrement enraciné (…) l’évidence même. Aucun anniversaire particulier n’est à célébrer dans une longue vie de création si prolifique que l’élégant Gio Ponti laisse derrière lui des corpus défiant tous les superlatifs : des dizaines de bâtiments majeurs pour l’histoire de l’architecture du XXe siècle, immeubles, maisons, musée, cathédrale, universités et usines de Milan à Téhéran, de Caracas à Denver ; des centaines de modèles d’objets et de pièces de mobilier, des milliers de lettres (…) et des centaines d’articles pour la revue Domus (…). Une œuvre-monde qui fait de Ponti le successeur légitime des plus grands artistes de la Renaissance italienne – en redessinant les contours d’un autre monde possible, poétique et pratique, léger et lumineux, vibrant, il incarne la continuité d’un héritage qui ne cesse de fasciner, le côté Léonard ou Michel-Ange de la chose, de l’ensemble au détail. (…)

Dessins présentés à l’exposition sur le design industriel à la IXe Triennale de Milan, 1957
Encre sur papier
© Gio Ponti Archives, Milan

En 1978, Tony et Carla Bouilhet, qui avaient accompagné ses débuts avec la commande de L’Ange volant, villa post palladienne, avaient commencé à concevoir une rétrospective que sa mort élude un an plus tard – et si elle avait eu lieu, c’est tout naturellement dans la nef du Musée des Arts Décoratifs qu’elle aurait pris place. Osera-t-on rappeler le rôle majeur joué par le musée dans l’organisation de l’Exposition internationale des arts décoratifs et industriels modernes en 1925 ? Une date importante dans la vie de Ponti, puisque l’obtention d’un des grands prix, grâce à sa contribution au Pavillon italien, à travers l’installation de la manufacture Richard Ginori.

D’une certaine manière, Paris a porté chance à Gio Ponti, et ce dernier ne l’oubliera jamais. En 1973, avec la complicité du critique d’art Pierre Restany, François Mathey, alors directeur du musée, consacre à Domus une exposition qui donne à voir quarante-cinq années d’une aventure intellectuelle qui a façonné une grande part de la modernité européenne, autant plate-forme d’inspirations que lieu de rencontres : la liste des collaborateurs qui réunit tout le gotha de la pensée et de la création contemporaines donne le vertige. En guise de remerciements, sur un papier à lettres à en-tête du musée, Gio Ponti dessine une main élégante aux doigts effilés dont s’échappe sa belle écriture déliée : « Merci mon ami pour tout ce que vous et le musée avez fait pour Domus et moi, à vous Mathey i miei pensieri fraterni. » Aussi les fils sont-ils nombreux qui relient le Musée des Arts Décoratifs et Gio Ponti, comme un long compagnonnage, irrégulier mais fidèle. Cette exposition vient à son heure pour rendre à César ce qui lui appartient et à Ponti la place qui lui revient dans l’histoire de l’architecture, du design et des arts décoratifs, une grande part de l’histoire de l’art en somme. (…)

Gio Ponti et sa fille Lisa au Musée des Arts Décoratifs de Paris, 1973
© Gio Ponti Archives, Milan

Au Musée des Arts Décoratifs, dans ce sentiment d’unité qui était l’un des motifs permanents de sa vision, Gio Ponti retrouve les génies d’un lieu qu’il a aimé et fréquenté, qui a représenté beaucoup de sa complicité avec la France et de son rayonnement international. Comme le sentiment de le voir revenir aux sources de son art, Gio Ponti est ici chez lui.

Gio Ponti : instructions pour un regard contemporain
Par Salvatore Licitra
Illustration pour « Una piccola casa ideale », 1939
© Gio Ponti Archives, Milan

En décidant de monter une exposition sur Gio Ponti, le musée des Arts décoratifs de Paris répond, à une nécessité et à une sollicitation. Les raisons de cette décision sont multiples : le lien de longue date de Gio Ponti avec les soutiens et les dirigeants du musée, (…) la reconnaissance de l’œuvre de Ponti, pour qui la culture française était l’un des points de repère. Il ne s’agit donc pas (…) de rendre compte des « arts d’Italie » ni d’une personnalité d’une période révolue, mais de s’intéresser à l’époque actuelle et aux sources auxquelles puisent d’importants courants de la création contemporaine. Nous avons souhaité une exposition sur Ponti à 360 degrés, où se rencontre toute la diversité des modes d’expression de sa longue carrière de créateur. (…) Le regain d’attention que suscite aujourd’hui l’univers de Ponti auprès des artistes, des designers et des architectes me suggère deux expressions qu’il m’importe d’écrire en introduction à cette initiative : « le regard comme mesure » et « réfraction ». Ces mots, qui s’entrelacent et décrivent le même sujet de deux points de vue différents, pourront nous éclairer sur la perspective selon laquelle le travail de Gio Ponti peut être appréhendé aujourd’hui.

Le regard comme mesure

Lettre dessinée à l’attention de sa fille Lisa, vers 1960
Feutre sur papier. Collection particulière, Milan
© Gio Ponti Archives, Milan

En observant certains plans d’architecture de Ponti, on découvre qu’ils sont parsemés d’yeux et sillonnés de traits qui en définissent le champ visuel. C’est une architecture qui s’élabore et se modèle non seulement selon les fonctions et les usages possibles des espaces, mais qui trouve aussi ses fondements dans le regard de la personne qui l’habitera. Il existe dans son travail des jeux de composition délicats, qui se manifestent dans les trois dimensions et s’étendent à des façades d’immeubles, ou bien se concentrent sur des détails d’ameublement, des parois, des ouvertures, des éclairages, des juxtapositions de matériaux. (…) La capacité de Gio Ponti à faire de la perception visuelle un des pivots de son travail, avec le détachement d’un metteur en scène ou d’un compositeur et la liberté d’un véritable artiste, est l’un des principaux aspects qui contribuent à ce que son œuvre soit considérée comme préfigurant la façon contemporaine de percevoir l’architecture, les couleurs, les espaces et le design. (…)

Réfraction

Comment s’est déroulé son travail dans le temps ? Quelle est la façon la plus juste d’en décrire le développement au cours de ces six décennies ? L’approche chronologique est incontournable. Cette caractéristique permet d’établir des liens entre l’œuvre de Ponti et le milieu historique et culturel au sein duquel elle s’est développée. Cependant, pour éviter de se laisser distraire par le contexte et tâcher de saisir la spécificité du travail de Ponti (…) nous devons nous éloigner de cette approche et en imaginer une autre qui permette, pour chaque réalisation, de distinguer les éléments qui l’unissent à d’autres. Réfraction, donc, en ce sens que l’élément qui nous intéresse est atemporel, intrinsèque à l’œuvre et qu’on peut le reconnaître dans des créations antérieures ou ultérieures (on songe à la théorie des neurones miroirs).

Fresque « Scala del Sapere » réalisée par Gio Ponti Palazzo del Bo Université de Padoue 1936-1941
© Tom Mannion

Apparaît ainsi un système réticulaire de références, de formes, d’archétypes, qui décrivent un univers pontien, tel un clavier sur lequel Ponti « composait » ses œuvres, qu’il s’agisse de céramiques dans les années 1920, d’architectures dans les années 1950 ou de meubles dans les années 1970. (…) Ponti visitait certainement les musées étrusques, en notant les décors, redessinait et rééditait des vases phéniciens avec Richard-Ginori, se passionnait pour les obélisques palladiens, parlait avec ferveur de Sebastiano Serlio… Mais on ne rencontre pas dans son travail une « période étrusque », une autre « phénicienne », « palladienne », ou « XVIe siècle ». Si le travail de Ponti a été marqué par ces influences, elles ont été délibérément transfigurées par cette distance qu’un peintre maintient avec les couleurs de sa palette, dont il connaît les vibrations mais qu’il utilise avec la liberté et l’invention nécessaires à de nouvelles propositions. (…)

Pour conclure, je souhaite que, parmi les visiteurs de l’exposition et les lecteurs de ce catalogue, quelques-uns, peut-être les plus curieux, fassent comme le ferait certainement Gio Ponti : qu’ils désobéissent et se détachent de l’ordre chronologique. Ils pourront alors entrelacer assonances et réminiscences entre les œuvres de design, de peinture, d’architecture qui ont été l’« expression de Gio Ponti », en en comprenant l’esprit mais surtout en pénétrant les raisons pour lesquelles tant d’artistes, de designers et d’architectes contemporains dans le monde entier se réfèrent à l’univers pontien.

Des ponts entre Milan et Paris : « Aimer Paris, c’est l’aimer pour toujours »
Par Sophie Bouilhet-Dumas

Les liens qui unissent Gio Ponti à la France naissent aux prémices de sa carrière, alors que le jeune architecte milanais est directeur artistique du porcelainier Richard Ginori. Il s’attache à renouveler en profondeur le style de la maison tout en cherchant à en optimiser le mode de production, quand le Tout-Paris s’affaire autour de la préparation tant attendue de l’Exposition internationale des arts décoratifs et industriels modernes de 1925.

Cuiller et fourchette à servir « Pastille », prototypé pour Christofle, 1953-1957
Métal argenté. Patrimoine Christofle
© Vincent Thibert

Il convainc la famille de Richard d’y participer et de s’ouvrir ainsi à de nouveaux marchés (…). Ce triomphe parisien est doublement récompensé ; il remporte non seulement le premier prix de céramique, avec la ciste La Conversation classique, mais fait la rencontre de Tony Bouilhet, jeune héritier et directeur de la maison Christofle, responsable des « Arts de la table » au sein de la section française. (…) La personnalité effervescente de Ponti fascine immédiatement l’orfèvre parisien. (…) L’année suivante, il charge Ponti de construire leur maison de campagne, L’Ange volant, à quelques encablures de la villa Stein-de Monzie de Le Corbusier. Ce projet concrétise le vœu de l’architecte de dessiner une maison moderne à l’italienne conçue comme un tout, du toit au jardin en passant par les poignées de porte. Le personnage ornemental imaginé pour Christofle en acier poli et appelé Pony (Ponti-Tony), applicable sur un grand nombre d’objets, du pommeau de radiateur aux couverts à servir et jusqu’aux porte-cigarettes, scelle à jamais leur complicité créative. Cette émulation réciproque se renforce d’autant plus qu’elle se double, dès 1928, de liens familiaux, lorsque Tony Bouilhet épouse la nièce de Ponti, Carla Borletti.

(…) Après la guerre, Ponti n’a qu’une idée en tête, participer à la reconstruction économique, culturelle et politique de son pays grâce à la promotion des arts. En reprenant les rênes de la revue Domus, il se place à un formidable poste d’observation et de diffusion de la création italienne et internationale dans les domaines de l’architecture, du design et de l’art. (…) Tout au long de sa vie, et particulièrement dans les années 1950, Ponti a été un fervent défenseur du made in Italy à l’étranger. C’est avec un enthousiasme contagieux qu’il encourage les initiatives favorisant la création italienne à Paris, New York et Londres. (…) En 1967, avec l’exposition aux Galeries Lafayette « Domus formes italiennes » Ponti remporte son plus franc succès à Paris. (…)

L’amour inconditionnel que Ponti porte à la culture française a sûrement contribué à la manière dont Domus a soutenu la création de ce pays, qu’il s’agisse de simples articles dans les années 1920 ou des numéros spéciaux plus étoffés dans les années 1960. Les grands noms de la scène architecturale et artistique y sont régulièrement défendus. Pour exemple : la maison de Le Corbusier et Jeanneret à Boulogne-sur-Mer publiée en 1928, les aménagements intérieurs et le mobilier de Jean Royère en 1939, la maison préfabriquée d’Henri Prouvé en 1950, la maison expérimentale de Claude Parent en 1957, les sculptures habitacles d’André Bloc en 1965. (…)

Pour rappeler l’importance de la contribution de Ponti dans l’histoire de l’architecture du XXe siècle, la presse française a pu le qualifier de « Le Corbusier italien ». (…) À la fin de sa vie, il entre en 1968 à l’Académie d’architecture tandis qu’en 1973 l’Union centrale des arts décoratifs organise une exposition sur son travail éditorial « 1928-1973 Domus : quarante-cinq ans d’architecture, design, art ». (…) Dans un élan de sympathie et d’allégresse, Ponti souhaitait, disait-il, « mourir à Paris chez son ami Tony », à L’Ange volant, son unique réalisation en France, qui incarnait si bien, pour Pierre Restany, sa vision d’un humanisme à l’italienne.

Architectures

Immeuble, en collaboration avec Emilio Lancia, Milan, via Randaccio 1924-1926

Immeuble de la Via Randaccio, Milan, 1924-1926
© Gio Ponti Archives, Milan

Au cours de la Première Guerre mondiale, le jeune soldat Gio Ponti eut l’occasion de séjourner dans des villas abandonnées d’Andrea Palladio et les dessina abondamment. Cette admiration pour l’architecte de la Renaissance ne devait plus le quitter. (…) Niches, urnes, entablements, tympans, obélisques, ce vocabulaire architectural est transposé avec facétie et légèreté dans l’immeuble de la via Randaccio, premier édifice réalisé par Ponti, qu’il habite avec sa famille de 1926 à 1936. Le plan de l’édifice se déploie en éventail avec quatre façades possédant chacune leur rythme distinctif. La façade concave donnant sur le jardin, la plus ornée, a l’allure d’un petit théâtre palladien(…) Chaque étage a été imaginé comme un appartement en soi, avec des pièces distribuées autour d’une antichambre circulaire, les zones de nuit et les zones de jour étant dissociées. (…) Ponti se souviendra plus tard de cette première construction, réalisée dans l’esprit du Novecento, comme d’une « architecture d’après l’architecture ». Par Sophie Bouilhet-Dumas.

Immeuble Borletti, en collaboration avec Emilio Lancia, Milan, via San Vittore, 1928

Immeuble Borletti, Hall d’entrée, Milan 1928
© Gio Ponti, Archives, Milan

Avec l’immeuble de la via Randaccio à Milan en 1924-1926 et la villa L’Ange volant à Garches en 1927-1928, l’immeuble Borletti figure parmi les toutes premières réalisations architecturales de Gio Ponti. Ce luxueux bâtiment de huit étages, destiné aux Borletti, une des grandes familles de la bourgeoisie entrepreneuriale milanaise, réinterprète avec audace le répertoire stylistique néoclassique, dans l’esprit du Novecento. Obélisques, oculi, niches, panneaux et balcons ornent la façade avec une certaine sobriété formelle, tout comme la cour intérieure à laquelle une importance égale est accordée. Par Sophie Bouilhet-Dumas.

Maison Laporte, Milan, via Benedetto Brin, 1935-1936

La maison Laporte est subdivisée en trois appartements se répartissant sur quatre étages. Chaque appartement possède un plan unique qui respecte la division pontienne des espaces en trois quartiers : jour, nuit et services. La double hauteur de l’appartement du dernier étage permet de ménager de multiples points de vue sur les lieux de vie, notamment sur le vaste volume ouvert du salon-salle à manger. (...)

Intérieur de l’appartement familial de Gio Ponti, maison Laporte, Milan 1936
© Gio Ponti Archives, Milan

Enfin, faisant écho aux considérations de Le Corbusier sur le toit-jardin et revisitant la structure des jardins des villas pompéiennes, Ponti conçoit une vaste terrasse sur le toit qui occupe la moitié du dernier étage. Avec son bassin, son petit potager et son bac à sable, elle est considérée comme pièce à part entière. Ceinte alternativement par des murs et des pergolas et équipée de stores rétractables à l’italienne, elle a « le ciel pour plafond ». « La maison devient une création, une composition unique d’espaces, de lumières qui, mis en rapport les uns avec les autres, nous procurent des émotions plus belles, plus fraîches, plus proches de l’architecture et de notre vision de la vie », écrit Ponti au sujet de cette maison dont il occupa le dernier étage de 1936 à 1943. Par Sophie Bouilhet-Dumas.

Case tipiche, Milan, 1931-1938

Domus Fausta, Domus Carola et Domus Julia, Milan, 1931-1936
© Paolo Rosselli

Les case tipiche maisons typiques ») désignent un ensemble d’immeubles d’habitation conçus par Gio Ponti pour plusieurs maîtres d’ouvrage et disséminés dans différents quartiers de Milan. (…) Selon lui, la maison est un lieu ordonné, un réceptacle des joies de la vie et des beautés du monde, qui doit pouvoir refléter au plus haut point la civilisation. Bien que reprenant de nombreux éléments traditionnels de l’architecture italienne, leurs lignes essentielles les rapprochent de l’esthétique moderniste rationaliste. Les maisons ont été conçues pour former des unités de quartier et composer un paysage urbain harmonieux, moderne et coloré. Des jardins assurent la transition entre les immeubles et la rue. Si les variations en matière de volume et de typologie sont réduites, chaque immeuble conserve cependant sa propre originalité. Les balcons, les terrasses, les loggias et les baies vitrées constituent l’ornement minimaliste des façades et rappellent la conviction de l’architecte que les toits et les façades sont faits pour être habités comme le reste de la maison. Par Sophie Bouilhet-Dumas.

Premier immeuble Montecatini, Studio Ponti-Fornaroli-Soncini, Milan, largo Stati Uniti d’America, 1936-1938

Premier immeuble Montecatini, vue de l’extérieur, Milan, 1936–38
© Gio Ponti Archives, Milan
Chaises pour les bureaux Montecatini, 1938
Fabricant : Ditta Parma Antonio e figli. Aluminium, simili-cuir, bakélite
© Vitra Design Museum Jürgen Hans et Andreas Sütterlin[en]© Weil am Rhein, Vitra Design Museum. Photographs Jürgen Hans and Andreas Sütterlin

Réalisation exemplaire du rationalisme milanais des années 1930 imaginée dans les moindres détails par Gio Ponti pour le groupe de chimie Montecatini, cet immeuble de bureaux constitue une véritable révolution dans le monde de l’architecture et du travail et contribue à l’avènement du design industriel en Italie. Commandé par le président du groupe, Giudo Donegani, et construit en un temps record (moins de deux ans), il témoigne aussi des mutations économiques et sociales profondes que connaît Milan. En effet, avec le développement du secteur tertiaire émerge la figure de l’employé de bureau dans une ville qui voit sa population doubler en moins de vingt ans. (…) Des locaux de services à disposition du personnel après le travail (bibliothèque, vestiaires, salon de coiffure, pharmacie, bar, épicerie, boutique de mode) se trouvent au sous-sol. Enfin, toujours dans l’idée de valoriser le travail, une paroi vitrée permet de voir les cuisiniers à l’œuvre dans la cantine. Par Sophie Bouilhet-Dumas.

Tradition et modernité à l’université de Padoue

La première intervention de Gio Ponti au Bo a lieu à titre amical. (...) Ponti a conçu et réalisé une voie magistrale, la Scala del Sapere (l’escalier du Savoir), qui permet d’accéder aux salles qu’il a recréées, sans souffrir d’aucune intrusion de l’éblouissante clarté de la cour de Fagiuoli. La montée jusqu’à l’étage noble donne toute son ampleur au projet. Là encore, le traitement de l’architecture repose sur l’emploi de la couleur : non seulement en raison des fresques mais de l’escalier monumental tout entier, où les marbres précieux qui ornent les parois offrent une tonalité de base à partir de laquelle le cycle pictural se déploie dans une parfaite harmonie. Cette montée, au rythme des conquêtes de la connaissance, prépare en réalité aux couleurs méditerranéennes et douces du rectorat, qui fait le tour de la cour. (...) En réalité, l’architecte discute avec le recteur du moindre choix, l’accompagnant pour visiter les ateliers des artistes avec lesquels, souvent, il a partagé l’expérience de la Triennale milanaise. Pourtant, c’est surtout dans les salons d’honneur que l’on peut apprécier pleinement l’acuité de son regard, car il refuse de concevoir séparément contenu et contenant. Pour Ponti, l’architecture est design et vice versa : ainsi, dans la grande salle Basilica, le motif en losange qui caractérise le plafond est repris avec élégance sur les dossiers des banquettes et le rouge des colonnes, à double rétrécissement, magnifie les gigantesques murs peints de Pino Casarini.

Basilica, Palazzo del Bo, Université de Padoue
© Tom Mannion

Cet espace, que la peinture pourrait écraser ou annihiler, se fait structure-couleur : il imprègne le visiteur, qui pénètre de cette manière au cœur du récit héroïque déployé autour de lui et y participe. Ce parti d’envelopper le volume se retrouve aussi dans les espaces anciens où Ponti intervient : dans la salle de médecine, ses bancs reprennent les moulures des consoles qui soutiennent le plafond du XIVe siècle, un peu comme si celles-ci en reflétaient la quintessence esthétique sur le pourtour des murs. La modernité de Ponti est certes fonctionnelle, mais soucieuse aussi de s’insérer dans la trame compliquée des mémoires du passé ; son classicisme est indéniable, mais comme point d’équilibre parfait entre les nécessités pratiques et les aspirations de l’imaginaire. Une leçon qui ne s’oublie pas. Par Marta Nezzo.

Tour Pirelli, Studio Ponti-Fornaroli-Rosselli en collaboration avec Giuseppe Valtolina, Egidio Dell’Orto, Arturo Danusso et Pier Luigi Nervi, Milan, piazza Duca d’Aosta, 1956-1960

Tour Pirelli, Milan, 1960
© Milan, 1965 / Paolo Monti

Symbole du dynamisme économique de Milan et de l’euphorie de l’après-guerre, cette tour est érigée pour Pirelli, société spécialisée dans les pneumatiques et les articles en caoutchouc, à l’emplacement des ateliers de production détruits pendant la guerre. Haute de 127 mètres et de 31 étages, située en plein coeur de Milan, face à la gare centrale, elle est au moment de son inauguration un des plus hauts édifices d’Europe. Sa construction est le fruit de la collaboration de Gio Ponti et de son studio avec l’ingénieur Arturo Danusso, puis dès 1954 avec Pier Luigi Nervi, tous deux grands spécialistes du béton précontraint, qui conseillent Ponti sur la forme et la structure. À la suite de l’expérience de l’immeuble Montecatini, Gio Ponti concrétise à travers ce projet sa théorie de la forma finita (forme achevée) en optant pour un volume n’admettant ni ajout ni retrait. (…) Par Sophie Bouilhet-Dumas.

Aménagement intérieur de l’hôtel Parco dei Principi, Studio Ponti-Fornaroli-Rosselli avec Emmanuel Ponzio, Rome, 1961-1964

Bar de l’Hôtel Parco dei principi, Sorrente, 1960
© Hôtel Parco dei principi, Sorrento

Après avoir invité Gio Ponti à aménager le Royal Continental Hotel de Naples, son propriétaire, Roberto Fernandes, le sollicite à nouveau pour intervenir sur le bâti de l’hôtel Parco dei Principi à Sorrente (1960), puis sur celui de son pendant à Rome (1961-1964). Par ces commandes, l’architecte renoue avec ses recherches des années 1930 sur l’habitat méditerranéen et sur les hôtels. À l’instar du Danois Arne Jacobsen, qui conçut le Radisson Blu Royal Hotel de Copenhague quelques années auparavant, Gio Ponti y met en œuvre sa conception de l’hôtel comme œuvre d’art totale. (...)

Carreaux de céramique de la fabrique Ceramica D’Agostino pour l’hôtel Parco dei Principi à Sorrente
Ceramica D’Agostino
© Gio Ponti Archives, Milan

Ponti opte pour une solution chromatique immersive en bleu et blanc, de manière à pouvoir inviter l’extérieur à l’intérieur. Il élabore, avec la complicité de Ceramica D’Agostino de Salerne, trente carreaux de 20 centimètres de côté ornés de motifs bleus et blancs qui, assemblés et orientés de différentes manières, permettent d’obtenir une centaine de sols différents, un nombre suffisant pour rendre chaque chambre unique.

Les plaques de céramique qui accueillent les visiteurs à l’entrée sont réalisées par Fausto Melotti et les galets de céramique par Ceramica Joo. Ces derniers évoquent les parois des grottes des jardins baroques ; cette métaphore est filée dans le parc de l’hôtel où Ponti imagine une piscine « comme un miroir d’eau pour nymphes des bois », d’où émerge un plongeoir sur un îlot au milieu du bassin. (...) Par Sophie Bouilhet-Dumas.

Projet pour une maison familiale, 1964

Couverture de « Domus », no 414, Mai 1964
© DR

En 1964, Gio Ponti publie dans les pages de Domus un projet de maison familiale, un prototype baptisé Lo Scarabeo sotto una foglia (Le Scarabée sous une feuille) dont il offre aux lecteurs les plans détaillés à l’échelle 1/50. Cette petite maison ovale est entièrement revêtue de carreaux de céramique blancs et verts, à l’intérieur comme à l’extérieur, toiture comprise. Grâce à l’éclat des carreaux et au choix des coloris, son enveloppe doit absorber le paysage environnant et s’y fondre, à la manière de la carapace d’un coléoptère. Imaginé comme une feuille tombée au sol, son toit saillant protège les façades de la pluie et du soleil.

En 1966, le collectionneur d’art d’avant-garde Giobatta Meneguzzo fait construire sa version du Scarabée à Malo, dans la province de Vicence. Sur les conseils de Ponti, il fait appel à la designer Nanda Vigo pour l’aménagement de l’intérieur. Entièrement carrelé de blanc et célèbre pour son escalier en spirale recouvert de fourrure grise, il a abrité une collection importante d’art contemporain, avec des œuvres de Lucio Fontana, Agostino Bonalumi, Julio Le Parc et Raymond Hains. Un monochrome blanc monumental d’Enrico Castellani a été conçu spécifiquement pour orner les murs de l’entrée. Peu après son inauguration, cette maison devient un lieu de ralliement pour les artistes, critiques d’art et galeristes de l’époque. Par Sophie Bouilhet-Dumas.

La Villa Planchart, Caracas, 1953-1957
Par Sophie Bouilhet-Dumas

Fort de ses ressources pétrolières, le Venezuela connaît dans les années 1950 une croissance économique sans précédent. Se transformant à vive allure, sa capitale souhaite rivaliser en modernité avec d’autres métropoles latino-américaines comme Rio de Janeiro ou Mexico.

Armando et Anala Planchart, collectionneurs et amateurs d’architecture moderne, y contribuent en invitant Gio Ponti, désormais internationalement connu grâce à la revue Domus, à concevoir leur villa sur les hauteurs de Caracas.

Villa Planchart, Caracas, 1957 : vue de la façade
© Antoine Baralhé

« Votre maison sera (…) comme un grand papillon posé sur une colline », précise Ponti dans une lettre résumant les souhaits des futurs propriétaires. De fait, la légèreté préside à l’ensemble : des murs portés fixés à l’ossature se présentent comme des écrans suspendus et définissent l’espace de la maison. Aile posée sur son sommet, le toit vient conclure l’architecture, qui répond ainsi au principe de la forma finita (forme achevée) énoncé par l’architecte. De nuit, un système d’éclairage souligne ses contours ; de jour, les murs blancs ponctués de baies vitrées forment une surface éclatante.

Sur plus de 1 300 mètres carrés, Ponti privilégie la multiplicité des points de vue, les ouvertures vers l’horizon et la vue sur les montagnes environnantes. Il envisage cette maison comme une sculpture abstraite à grande échelle qui se parcourt de l’intérieur en une séquence ininterrompue de spectacles changeants. (...)

Salle de séjour de la villa Planchart, Caracas, 1957
© Antoine Baralhé. Caracas, Fondation Anala et Armando Planchart

Un jeu kaléidoscopique de couleurs anime les surfaces au fil des pièces. Les plafonds rayés de jaune du salon, de la bibliothèque et de la petite salle à manger répondent à la mosaïque de marbre du sol de l’entrée, mais aussi aux cartouches multicolores du plafond de la grande salle à manger. Les portes et les fenêtres intérieures sont toutes rendues uniques grâce aux motifs géométriques peints en rose, jaune et bleu ciel sur fond blanc. (...)

Comme pour L’Ange volant en France, la villa Planchart est la transposition d’un rêve d’Italie, mais cette fois dans la végétation tropicale du Venezuela. Tous les matériaux, les marbres comme l’aluminium, les menuiseries, mais aussi le mobilier et les objets artisanaux sont acheminés d’Italie par bateau. (...) Œuvre d’art totale, la villa Planchart abrite aujourd’hui une fondation qui veille à la conserver dans son intégralité.

La cathédrale de Tarente, 1964-1970
Par Sophie Bouilhet-Dumas

Le projet de cathédrale de Tarente est né de la nécessité de créer un centre religieux plus proche du nouvel axe d’expansion de la ville. L’Institut international des arts liturgiques, en charge du projet, et l’archevêque Guglielmo Motolese choisissent Gio Ponti pour le réaliser. De sa genèse en 1964 à son inauguration en 1970, cet édifice est maintes fois retravaillé jusqu’à ce que l’architecte milanais aboutisse à une expression traduisant sa conception du sacré. Plusieurs sources d’inspiration accompagnent sa réflexion : la blancheur de l’architecture traditionnelle des Pouilles, l’austérité de la spiritualité franciscaine, la dentelle de pierre des cathédrales gothiques.

Cathédrale de Tarente, 1964-1970
© Luca Massari

Confronté au souhait de donner à la cathédrale un caractère à la fois de dénuement et de grandeur, l’architecte milanais résout le problème en optant pour la création de deux façades : « L’une, la mineure, pour accéder à l’église. L’autre, la majeure, accessible seulement au regard et au vent : une façade “pour l’air” (…) avec quatre-vingts fenêtres ouvertes sur “l’immensité”, qui est la “dimension” du mystère de la présence éternelle de Dieu. ». En référence à l’arche biblique et à la tradition maritime de Tarente, l’édifice prend finalement l’apparence d’un navire avec une nef de plan rectangulaire surmontée d’une voile, une double paroi de béton haute de 41 mètres surgissant en retrait, au milieu du bâtiment. Des ouvertures aux formes hexagonales perforent cette double paroi et laissent transparaître l’immensité du ciel. Ainsi, la perception des jeux subtils d’ombre et de lumière créés par la voile varie continuellement au gré du climat. Ponti choisit des matériaux austères : le béton armé, laissé visible en certains endroits, et un enduit blanc dans le prolongement de la tradition méditerranéenne. Il opte également à l’intérieur de l’édifice pour un décor simple d’aplats de couleurs dans une gamme de jaune et de vert.

Autour du bâtiment, Ponti imagine un îlot de verdure dont l’aspect libre rappellerait un jardin d’Éden et où le lierre s’emparerait sauvagement du grand voile. Devant la cathédrale, un miroir d’eau composé d’un bassin à trois niveaux dédouble la qualité vibratoire des rayons de lumière traversant la façade.(...)

La couleur verte prédomine à l’intérieur de l’église : le vert amande qui recouvre les travées et le carrelage du sol aux tonalités plus intenses unissent poétiquement l’intérieur avec l’extérieur. La cathédrale devait être « attaquée par le vert » de plantes grimpantes couvrant partiellement le voile et, dans une conception panthéiste, relier ainsi symboliquement la Terre au ciel. Ce souhait fut entendu par les Tarentais qui, au lendemain de l’inauguration, offrirent des plantes pour approvisionner le jardin. Aujourd’hui, en raison de l’urbanisation chaotique du quartier, l’environnement immédiat de la cathédrale ne traduit, hélas, plus cette intention de l’architecte. Mais la silhouette ajourée de l’édifice, où matière et lumière se confondent pour devenir une « métamatière », porte à ses limites la tension vers la transparence.

Surfaces et couleurs : la céramique appliquée à l’architecture et à l’aménagement intérieur
Par Julie Grislain-Higonnet
Carreaux de céramique de la fabrique Ceramica D’Agostino pour l’hôtel Parco dei Principi à Sorrente
Ceramica D’Agostino
© Gio Ponti Archives, Milan

La céramique est pour Gio Ponti un terrain d’expérimentation hors pair qui lui permet de reformuler des éléments de la culture traditionnelle italienne et de les intégrer dans un système de production industrielle, de la création de vaisselle, d’objets décoratifs et de sanitaires à la conception de carreaux pour le sol et les murs. Il se familiarise avec ce matériau dès 1923 en devenant directeur artistique de la manufacture de porcelaine Richard Ginori. (...)

Après la guerre, Ponti se rapproche à nouveau de cet univers en devenant, de 1946 à 1953, responsable artistique de la coopérative céramique d’Imola. Poursuivant sa réflexion sur ce matériau, il crée en 1956-1957 une ligne de carreaux colorés en pointe de diamant pour la firme milanaise Ceramica Joo.

Hall de l’Hôtel Parco dei principi, Sorrente, 1960
© Hôtel Parco dei principi Sorrento

Passant d’une surface plane à des reliefs, il réinterprète les bossages en diamant des palais Renaissance : appliqués en extérieur, ces carreaux captent grâce à leur texture chatoyante la lumière changeante du soleil et animent ainsi les façades. Ce revêtement, qui fait sa première apparition sur la façade de l’église San Luca Evangelista à Milan (1955-1960), est utilisé de manière récurrente pour ses édifices religieux et privés ; il donne même son surnom à la villa Arreaza, « La Diamantina », à Caracas. Plus complexe encore, la façade de l’immeuble Montedoria (1964-1970) à Milan combine quatre sortes de carreaux vert émeraude aux reliefs variés. Avec les tesselles colorées en forme de galets, Ponti revisite, toujours pour la société Ceramica Joo, la mosaïque traditionnelle de galets de Ligurie, qu’il utilise pour couvrir des parois en intérieur comme en extérieur à la villa Planchart (1953-1957), à la villa Nemazee (1957-1964) ou dans les hôtels Parco dei Principi (1960-1964). (…)

Carreaux de céramique de la fabrique Ceramica D’Agostino pour l’hôtel Parco dei Principi à Sorrente
Ceramica D’Agostino
© Gio Ponti Archives, Milan

Il renouvelle également le répertoire du céramiste de Salerne, Ceramica D’Agostino, en imaginant trente-trois motifs géométriques et végétaux, bleus, noirs et blancs, qui une fois assemblés donnent vie à une centaine de décors différents. Grâce à cette solution, Ponti personnalise toutes les chambres de l’hôtel Parco dei Principi de Sorrente (1960). Quinze ans plus tard, c’est un « hymne à la couleur » qu’il conçoit avec Ceramica D’Agostino pour habiller les sols du siège du journal autrichien Salzburger Nachrichten à Salzbourg. Des dessins géométriques polychromes s’y déploient et s’adaptent aux formes irrégulières des pièces. Ainsi, le sol « vole la vedette » à l’architecture et devient le véritable protagoniste de la construction. Une solution similaire est adoptée à Singapour pour couvrir la façade du magasin Shui Hing en 1977-1978.

Ci-dessous : Carreaux de céramique de la fabrique Ceramica D’Agostino pour l’hôtel Parco dei Principi à Sorrente Ceramica D’Agostino © Gio Ponti Archives, Milan

Gio Ponti, derrière le miroir : Venini et Fontana Arte
Par Brian Kish

D’innombrables designers et architectes sont aujourd’hui renommés grâce à leurs créations pour Venini et/ou Fontana Arte, mais curieusement, Gio Ponti est rarement mentionné en rapport avec ces grandes manufactures de verrerie. Le paradoxe est d’autant plus marquant que Ponti est en fait lui-même l’instigateur de l’évolution de ces deux entreprises très différentes, ce qui leur a valu le statut prestigieux dont elles jouissent aujourd’hui. (…)

Bouteille, exécutée par Venini, vers 1940
Verre, crinoline
© DR

Pendant les six décennies au cours desquelles il utilise le verre comme matériau, que ce soit pour Fontana Arte ou Venini, Ponti ne cesse d’être motivé d’abord et surtout par son obsession de l’architecture. Telle est aussi la force motrice qui l’incite à transformer tous les matériaux qu’il rencontre. L’analogie qu’il établit entre une architecture pure et le cristal en tant que forme revient à plusieurs reprises dans ses écrits : « L’Architecture pure est un cristal ; quand elle est pure, elle est pure comme le cristal, magique, fermée, exclusive, autonome, intacte, inaltérée, absolue, définitive comme un cristal. ». Resté discrètement dans l’ombre de ces deux verreries, il a choisi de déléguer de plus en plus de pouvoir à ses collègues et associés, Pietro Chiesa chez Fontana Arte ou Tomaso Buzzi chez Venini, et de donner à ses étudiants les moyens de réaliser leurs projets : Saul Steinberg chez Fontana Arte et Massimo Vignelli chez Venini, ou encore son ami Piero Fornasetti, dans les deux entreprises. Ses initiatives combinées ont conduit l’industrie du verre sur des terrains esthétiques jusqu’alors inexplorés.

Gio Ponti et Richard Ginori
Par Oliva Rucellai
Passeggiata archeologica, urne avec couvercle
Édition Richard Ginori. Porcelaine
DR

La société Richard Ginori est un lieu de formation pour Gio Ponti à ses débuts, et pas uniquement dans le domaine de la céramique : elle lui apporte aussi une expérience lui permettant d’approfondir ses premières réflexions sur l’industrie, l’art décoratif et l’aménagement intérieur. Cette aventure passionnante lui révèle aussi sa vocation de promoteur des arts, prélude à la fondation de la revue Domus.

Défenseur convaincu de la production en série de haute qualité, Ponti occupe chez Richard Ginori la fonction de directeur artistique. Il possède également un sens exceptionnel de tout ce qui concerne l’identité de la marque et la présentation des produits. Son goût pour la céramique, qui lui est venu au début de sa carrière grâce à cette première collaboration incomparable, continuera de l’accompagner tout au long de sa vie dans des contextes divers, que ce soit comme concepteur ou journaliste, et dans tous les domaines. (…)

La mano della fattucchiera (La main de sorcière), 1935
Fabricant : Richard Ginori. Porcelaine émaillée, décor peint à la main rehaussé à la pointe d’agate. Collection Sesto Fiorentino, Museo Richard Ginori della Manifattura di Doccia, Polo. Museale della Toscana
© DR

En quelques mois, les divers choix stratégiques de la société conduisent au naufrage du projet et à l’éloignement de Ponti. Mais, en dépit de son épilogue décevant, cette histoire révèle combien Ponti jugeait toujours essentiels, pour le prestige de l’entreprise, l’ouverture à la nouveauté et le dialogue entre art et industrie qui avaient inspiré sa première expérience chez Richard Ginori et qui, dans des circonstances plus favorables, avaient donné des résultats exceptionnels.

Gio Ponti et « Domus » 1970-1979
Par Cristina Moro
Couverture de « Domus » no 599, octobre 1979
© DR

Le 500e numéro de Domus, en juillet 1971, est consacré au directeur, « que nous aimons comme homme et comme maître, et qui pilote la revue depuis trente-cinq bonnes années ». Gio Ponti, qui a presque 80 ans, déborde encore d’énergie créative. Il partage dans Domus son enthousiasme pour une nouvelle commande, une chaise « tout entière en dossier » ou « à assise étroite », qui ravive son amour implacable pour l’artisanat et pour l’industrie : « Ces meubles (quelle passion !) réconfortent ma saison de quatre fois 20 ans. ».

Couverture de « Domus » no 537, août 1974
© DR

Le début des années 1970 voit la publication des dernières œuvres de Gio Ponti, des architectures légères, conçues pour capter et réfléchir la lumière. (...) C’est une décennie de fêtes et de commémorations : en 1973, Domus est invité à retracer ses quarante-cinq années d’existence au musée des Arts décoratifs de Paris. Dans l’introduction du catalogue de l’exposition, Gio Ponti dévoile le secret d’un succès aussi ancré « dans le coeur de ceux qui la font, Domus est une revue d’art qui rêve d’être une œuvre d’art ». Le choix de publier les textes en langue originale, ajoute Ponti, a apporté un changement : il a transformé une revue d’abord « d’improvisation milanaise » en un magazine « polyglotte », point de rencontre de différentes expressions simultanées d’une culture universelle. (…)

Le catalogue
Scénographie de l’exposition
Boutique en ligne
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