Iris van Herpen. Sculpting the Senses

du 29 novembre 2023 au 28 avril 2024

Organisée au musée des Arts Décoratifs, du 29 novembre 2023 au 28 avril 2024, l’exposition « Iris van Herpen. Sculpting the Senses » rend hommage à l’une des créatrices de mode les plus visionnaires de sa génération. Pionnière dans l’usage des nouvelles technologies dans sa discipline, Iris van Herpen transgresse les normes conventionnelles du vêtement, ouverte tout autant aux savoir-faire traditionnels que prospectifs.

Allant du micro au macro, l’exposition interroge la place du corps dans l’espace, son rapport au vêtement et à son environnement, son avenir dans un monde en pleine mutation. Une sélection de plus de 100 pièces de haute couture réalisées par Iris van Herpen dialoguent avec des œuvres d’art contemporain, telles que celles de Philip Beesley, du Collectif Mé, Wim Delvoye, Rogan Brown, Kate MccGwire, Damien Jalet, Kohei Nawa, Casey Curran, Jacques Rougerie, ainsi que des créations de design de Neri Oxman, Ren Ri, Ferruccio Laviani et Tomáš Libertíny, et des pièces provenant des sciences naturelles comme des coraux ou des fossiles créant une résonance unique avec des pièces historiques. L’exposition est présentée dans les galeries de la mode Christine & Stephen A. Schwarzman.

#Expo_IrisvanHerpen

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Commissaire
• Cloé PITIOT, conservatrice au département moderne et contemporain

Commissaire associée
• Louise CURTIS, assistante de conservation au département moderne et contemporain

Scénographie
• Agence NC

Cette exposition est rendue possible grâce au généreux soutien de Lizzie et Jonathan Tisch,
Lauren Amos, Jordan Roth, des Friends of the Musée des Arts Décoratifs
et de GRoW @ Annenberg, en particulier de Regina et Gregory Annenberg Weingarten.
Le catalogue est réalisé avec le soutien de Krystyna Campbell-Pretty et sa famille.

En collaboration avec Hans Boodt Mannequins et avec le soutien de l’Ambassade du Royaume des Pays-Bas.



Présentation
Iris van Herpen, Ensemble n°11, collection {Crystallization}, Pays-Bas, 2010|
Iris van Herpen, Ensemble n°11, collection Crystallization, Pays-Bas, 2010|
Corsage en polyamide imprimé 3D et jupe en peau ornée de franges acryliques. Inv. 2018.43.1.1-2
© Les Arts Décoratifs / photo : Jean Tholance

Née en 1984, Iris van Herpen grandit dans le village de Wamel en osmose avec la nature et le monde du vivant qui sont, avec la danse classique et contemporaine qu’elle pratique intensivement dès son plus jeune âge, les éléments fondateurs de son rapport au corps et au vêtement. Après une période formatrice auprès d’Alexander McQueen et de Claudy Jongstra elle fonde, en 2007 à Amsterdam, la Maison Iris van Herpen, qui allie les subtilités de l’artisanat avec l’esprit pionnier de l’innovation, décloisonnant et ouvrant sa pratique à une multitude de disciplines. Elle intègre, quatre ans plus tard, la Chambre Syndicale de la Haute Couture à Paris. L’année 2010 marque un tournant dans sa carrière, lorsqu’elle présente sa première robe faite en impression 3D issue de la collection Crystallization, actuellement conservée par le musée des Arts décoratifs.

À l’instar de cette pièce iconique faite avec Daniel Widrig et l’entreprise Materialise, ses rencontres et ses collaborations deviennent de véritables moteurs créatifs. Consciente des problématiques de son temps, elle favorise depuis ces dernières années des méthodes de fabrication écoresponsables, comme en témoignent certaines réalisations faites à partir de plastique recyclé ou de fèves de cacao imprimées en 3D. En 2012, le Groninger Museum lui consacre sa première grande exposition. Aujourd’hui, Iris van Herpen est reconnue à l’échelle internationale comme étant l’une des créatrices de mode les plus remarquées et les plus surprenantes de sa génération.

Rogan Brown, {Fallen Angel Wings}, 2014
Rogan Brown, Fallen Angel Wings, 2014
© Rogan Brown Art

Célébrant son approche unique, cette rétrospective, qui s’articule autour de neuf thématiques recense l’essence même de son travail fusionnant mode, art contemporain, design et sciences. Le thème de l’eau et les origines du vivant, omniprésents dans l’œuvre de la créatrice, inaugure le parcours. Sa dernière collection Carte Blanche, mise à l’honneur dans cet espace en dialogue avec l’œuvre Origins de David Spriggs, invite littéralement le visiteur à se plonger dans l’univers aquatique de la créatrice. L’eau est aussi abordée à l’échelle de l’immensité de l’océan avec la vague du Collectif Mé. Un espace dévoile les milieux naturels invisibles à l’œil nu révélés déjà au XIXe siècle par les planches de Ernst Haeckel ou encore par les modèles en verre exceptionnels de Léopold et Rudolf Blaschka. Des œuvres de Ren Ri et de Tomáš Libertíny, composées par des abeilles, viennent en regard de la fragilité de celles en papier de Rogan Brown.

Luigi et Iango pour Iris van Herpen, Robe {Skeleton}, en collaboration avec Isaie Bloch, Collection {Capriole}, 2020
Luigi et Iango pour Iris van Herpen, Robe Skeleton, en collaboration avec Isaie Bloch, Collection Capriole, 2020
Collection privée Iris van Herpen
© DR

Le thème du squelette est inauguré par la robe Skeleton faisant écho au squelette hybride d’une oeuvre de l’artiste japonais Heishiro Ishino. La place du corps est également évoquée au cœur de réseaux organiques et architecturaux représentés par une robe, métaphore d’une cathédrale gothique, mais aussi par le Gothic cabinet de Ferruccio Laviani ou encore par un documentaire de Yann Arthus-Bertrand et Michael Pitiot Terra, engagé sur la défense du vivant et les interconnexions de ses écosystèmes. Puis, le visiteur est invité à sortir de la dimension physique du corps pour explorer le monde du sensoriel, avec notamment des photographies de Tim Walker, une œuvre de Matthew Harrison ou encore une spectaculaire projection de Renaissance Dreams de l’artiste Refik Anadol. Enfin, les ténèbres de la mythologie autour du thème de la méduse dialoguent avec des œuvres de Kate MccGwire, d’EcoLogicStudio, Damien Hirst ou encore une armure de Samouraï. Une installation de Casey Curran propose une réflexion sur la place et le devenir physique et spirituel de l’être humain.

Kim Keever, {Abstract 46682}, 2019
Kim Keever, Abstract 46682, 2019
© Kim Keever

L’exposition s’achève sur une présentation des œuvres d’Iris van Herpen comme projetées dans l’immensité du cosmos. Ses robes y sont présentées dans une danse du ciel, des corps flottant dans l’espace et le temps. Les œuvres photographiques de l’artiste Kim Keever, mais aussi des prises de vue de nébuleuses appellent à s’élever pour ressentir le monde de manière plus holistique.

Trois espaces viennent compléter le parcours : une évocation de l’atelier d’Iris van Herpen, un cabinet de curiosités présentant ses accessoires (chaussures, masques et éléments de coiffures) en regard d’éléments des sciences naturelles et de vidéos et une salle permettant de donner place au corps vivant et en mouvement à travers des vidéos des défilés de la créatrice.

L’exposition est accompagnée d’une composition sonore créée par Salvador Breed. Elle vient interpeller les sens et immerger plus encore le visiteur dans ce voyage autour du corps et des thématiques chères à la créatrice.

  • David Uzochukwu pour Iris van Herpen, Robe {Hydrozoa}, Collection {Sensory Seas}, 2020
    David Uzochukwu pour Iris van Herpen, Robe Hydrozoa, Collection Sensory Seas, 2020
    Collection privée Iris van Herpen
    © DR
  • Carla van de Puttelaar pour Iris van Herpen, Diverses collections, 2020
    Carla van de Puttelaar pour Iris van Herpen, Diverses collections, 2020
    Collection privée Iris van Herpen
    © DR
  • David Uzochukwu pour Iris van Herpen, Robe {Sensory Seas} et Robe {Nautiloid}, Collection {Sensory Seas}, 2020
    David Uzochukwu pour Iris van Herpen, Robe Sensory Seas et Robe Nautiloid, Collection Sensory Seas, 2020
    Collection privée Iris van Herpen
    © DR

Bien plus qu’une exposition dédiée à la Haute Couture, l’exposition « Iris van Herpen. Sculpting the Senses », invite le visiteur à un voyage immersif dans cet univers singulier et hybride, ponctué par les recherches et les expérimentations de la créatrice.

Les métamorphoses du corps
Par Cloé Pitiot

Extrait du catalogue de l’exposition.

Papi (fondeur), Italie, {Persée montrant la tête de Méduse}, Florence, fin du XIXe siècle, d'après l'œuvre originale de Benvenuto Cellini, 1545, Italie
Papi (fondeur), Italie, Persée montrant la tête de Méduse, Florence, fin du XIXe siècle, d’après l’œuvre originale de Benvenuto Cellini, 1545, Italie
Bronze à patine brune
© Les Arts Décoratifs / Christophe Dellière

Iris van Herpen, […] tient une place résolument à part dans l’histoire de la mode. Le champ de ses recherches et de ses expérimentations propose de percer les mystères du corps humain. Tension dynamique, fluidité, finesse et complexité, mais aussi poésie et philosophie, les principales conversations qu’elle établit entre corps et vêtement lui permettent de transmettre un nouveau regard, riche et enthousiaste, sur notre monde en devenir. Un monde où corps, esprit et âme dialoguent de manière invisible, de plus en plus intensément.

Ses créations bousculent les codes du vêtement et sont autant d’ouvertures vers des univers a priori déconnectés de sa discipline. Sa curiosité insatiable l’amène à sonder des domaines éloignés. Elle puise tout autant dans l’art contemporain que dans l’architecture, dans les sciences du vivant que dans l’histoire des arts, dans l’alchimie que dans la mystique. […] Elle manie avec précision et expertise les techniques artisanales aussi bien que les technologies de pointe. […] Ses rencontres et ses collaborations avec des créateurs du passé comme du présent sont autant d’incursions en territoires inconnus, de remises en question permanentes, de prises de hauteur incomparables pour bouleverser l’ordre des choses et les fondements de la mode. […] Le monde du vivant, mais aussi la danse classique et contemporaine, qu’elle pratique intensivement dès son plus jeune âge, sont les éléments fondateurs de son rapport au corps et au vêtement. […]

Fascinée par l’eau, […] elle y puise un univers infini d’intuitions. Et, comme l’écrit Gaston Bachelard, « […] l’eau est aussi un type de destin, non plus seulement le vain destin des images fuyantes, le vain destin d’un rêve qui ne s’achève pas, mais un destin essentiel qui métamorphose sans cesse la substance de l’être. ». Et c’est ce rapport étroit à l’eau, ses multiples états, ses facultés à se métamorphoser qui permet à Iris van Herpen de transposer la philosophie de cet élément à celle de ses créations. De la minuscule goutte de pluie tombée de la troposphère à l’immensité de l’océan, elle approfondit les jeux d’échelle et pratique des grands écarts permanents entre l’infiniment petit et l’infiniment grand, entre le passé et le présent, entre aujourd’hui et demain, entre un monde en souffrance et un autre en devenir. Elle compose autour des corps physique, mental, émotionnel et éthérique, cherchant à déclencher, par le vêtement, un dialogue entre le corps et les sens. Ses robes sont une invitation à pénétrer dans une société en pleine métamorphose, à vivre des expériences sensorielles et extrasensorielles.

Iris van Herpen, Bustier {Arachne}, collection « Meta Morphism », 2022
Iris van Herpen, Bustier Arachne, collection «  Meta Morphism  », 2022
Soie de polyester, mylar, tulle, cristaux Swarovski, acier inoxydable. Collection Iris van Herpen
© Dominique Maitre

Créatrice aux multiples talents, elle fait naître de ses mains et de ses machines bien plus que des robes. Elle interroge avec philosophie, poésie mais aussi engagement, une sphère moderne rattrapée par ses paradoxes, étouffée par des crises climatiques et sociétales. Ses collections, à chaque saison, à travers des collaborations sensibles et éclairées, avec des architectes, des artistes contemporains, des designers questionnent des thématiques singulières : l’eau, l’air, l’apesanteur, le squelette, la cristallisation, la métamorphose, l’hybridation, l’hypnose, l’âme, la synesthésie, le rêve lucide, la renaissance… En repoussant avec énergie et détermination les limites des manières classiques et traditionnelles de penser et de voir, elle ausculte le potentiel de l’imagination pour transformer la perception du monde, un monde qu’elle souhaite réenchanter.

À fleur de peau

Dans un monde toujours plus connecté, Iris van Herpen sait s’entourer des créateurs les plus inventifs et novateurs pour mutualiser idées et compétences. Sa force prend forme dans la puissance et l’originalité de ses collaborations ; elle sait transmettre comme recevoir et créer, de ces échanges intellectuels et sensoriels, des œuvres uniques.

Iris van Herpen, Robe {Symbiotic}, collection « Shift Souls », 2019
Iris van Herpen, Robe Symbiotic, collection «  Shift Souls  », 2019
Organza de soie, crêpe, PetG. Collection Iris van Herpen
© Dominique Maitre

Dans ses projets avec les architectes Philip Beesley, Isaïe Bloch ou Neri Oxman, elle ouvre la dimension du corps à celle de l’espace. Son observation des édifices de Zaha Hadid la guide dans la fusion qu’elle provoque entre design organique et futurisme, entre sculpture et architecture. Elle s’inspire des espaces de Santiago Calatrava, pour en prélever les concepts de légèreté et d’apesanteur.

Comme les architectes, elle dessine des « habitats » pour des corps en mouvement, des corps projetés avec densité et légèreté sur une planète en mutation permanente. Cela se traduit dans la composition de ses looks, comme dans celle de ses défilés, en des espaces ouverts aux déplacements du corps et aux battements de l’âme. Les façades des édifices contemporains, véritables peaux architecturales, renouvellent aujourd’hui la manière d’habiter grâce à des matériaux intelligents issus tant du monde du vivant que des nouvelles technologies.

Les robes d’Iris van Herpen réinventent aujourd’hui le « mode d’habiter » un vêtement. Ses textiles deviennent innovants, hybrides, résultats d’impression 3D et de découpes laser ou bien encore des textiles connectés. En générant ces matériaux inédits et en employant ces textures révolutionnaires, Iris van Herpen définit, à la manière des bâtisseurs, des microarchitectures, mais, à leur différence, des microarchitectures en mouvement. Ses robes prennent vie dès la première action du corps dans l’espace, dans un ballet de textures et de matières, de frottements et de glissements, de couleurs et de transparences. Mouvement contre mouvement, la seconde peau qu’elle appose à fleur de peau engage des microdanses déclencheuses d’espaces de respiration, d’espaces de méditation, et de réflexion. Dialogues intimes entre corps privé et corps public, les œuvres d’Iris van Herpen interrogent cet espace infini et pourtant inframince entre le corps et le vêtement, cette frontière invisible, qui se joue à la surface de l’épiderme et qui permet l’épanouissement des sens.

Iris van Herpen, Robe {Epicycle}, collection « Hypnosis », 2019
Iris van Herpen, Robe Epicycle, collection «  Hypnosis  », 2019
Organza de verre, crêpe, PetG, mylar. Collection Iris van Herpen
© Dominique Maitre

Ces discussions fertiles autour de l’architecture sont autant de pollinisations qui font de la créatrice la première à faire défiler, en 2010, un look imprimé en 3D. Ses échanges avec des artistes comme David Altmejd l’amènent à réfléchir aussi au corps comme fiction. Vêtus d’un concept tout autant que d’un vêtement, les corps habillés des œuvres d’Iris van Herpen tissent des liens étroits avec le passé pour y faire surgir des réminiscences mythologiques ou bien des récits fantastiques. En collaborant avec Anthony Howe, elle propulse l’être dans un futur imaginaire où l’habit serait lui-même en mouvement, un habit cinétique dialoguant avec la complexité de l’anatomie humaine, la beauté et la diversité de son environnement.

Dans la complicité d’un projet avec l’artiste Kim Keever, les corps d’Iris van Herpen voyagent en apesanteur, bercés par les couleurs du cosmos, parés des nuances vibrantes des nébuleuses. Ils perdent leurs repères pour flotter dans l’infini. Plus de frontières ni de limites, le vêtement s’étire, soyeux. Il se déploie dans les gammes chromatiques les plus chatoyantes. L’univers d’Iris van Herpen devient explosion poétique de pigments palpitants. Avec l’artiste Rogan Brown, a contrario, elle revient à l’étude de l’infiniment petit, virus ou bactéries, pour les transposer à l’échelle de l’homme sur un corps recouvert de dentelle découpée au laser ou au scalpel, interprétation du vivant invisible, influencé par de multiples formes des « blooms » de plancton, ces explosions de vie qui se produisent régulièrement dans les milieux aquatiques.

Elle franchit de nouvelles limites quand elle collabore avec des sportifs de haut niveau qui lui permettent d’éprouver les limites du corps et de la matière. Avec Domitille Kiger, championne de parachutisme, elle brave le ciel ; avec Julie Gautier, championne de plongée libre, elle défie les profondeurs de l’eau et la pression qui en résulte. En choisissant d’associer la mode et le sport extrême, dans ces deux « performances », Earthrise en 2021 et Carte blanche en 2023, elle réunit les opposés, transgresse les attendus, poursuit ses recherches sur un corps […] qui rivalise avec les éléments, qui fait peau neuve.

Dans un mouvement de corps à corps
Iris van Herpen en collaboration avec Philip Beesley, Robe et cape {Hypnosis}, collection « Hypnosis », 2019
Iris van Herpen en collaboration avec Philip Beesley, Robe et cape Hypnosis, collection «  Hypnosis  », 2019
Satin duchesse, mylar, tulle. Collection Iris van Herpen
© Dominique Maitre

Traduire l’invisible, l’imperceptible, l’impénétrable semble être le dessein des créations d’Iris van Herpen, qui a choisi le vêtement comme mode de transmission. Sa sensibilité profonde l’amène, d’une part, à examiner de manière holistique le monde qui l’entoure, de la plus petite échelle du vivant à la plus immense, et, à en traduire son interprétation en habillant […] le corps, mais aussi l’âme. Par ses looks, elle donne à voir et à percevoir ses préoccupations présentes. Le corps, habité de son vêtement, devient objet de réflexion, d’interrogation sur l’humanité. Il n’est plus seulement corps physique, il est représentation d’un temps présent, porte ouverte sur le passé comme sur l’avenir. La mode, dit-elle, ne doit pas être une discipline statique et figée. Elle se veut un processus métamorphique.

Danseuse classique et contemporaine, Iris van Herpen a hérité de cet art la rigueur et l’improvisation, deux notions qu’elle transpose dans chaque étape de ses démarches créatives. Grâce à ses années de pratique, elle a acquis le pouvoir de transformation du corps, la compréhension de sa fluidité à travers le mouvement. Elle en a retenu ce rapport évident au corps en mouvement ayant la propension à révéler la nature même de l’être. Proche de chorégraphes avant-gardistes tels que Damien Jalet, elle n’hésite pas, comme lui, à emprunter aux formes différentes de danses, comme le butō.

Biographie d’Iris van Herpen

Depuis sa création en 2007 et son intégration à la prestigieuse Fédération de la Haute couture, la maison Iris van Herpen a, de manière constante, su combiner des techniques innovantes aux traditionnels savoir-faire de la couture, résultant en des designs sensuels capturant parfaitement la diversité et complexité du monde naturel.

La maison Iris van Herpen

Pour la maison Iris van Herpen, la Haute couture est une force qui permet de repousser les barrières et unifier les technologies multidisciplinaires à l’artisanat. Les créations visionnaires de la marque mêlent des techniques pionnières à des luxueux matériaux, évoquant le plus souvent un questionnement avant-gardiste. Que ce soit la fabrication d’une robe en tissage électro-magnétique ou l’utilisation de cuir transparent moulé à la main en 3D pour sculpter une autre robe, la maison défie les notions traditionnelles du savoir-faire et de l’artisanat afin de créer des vêtements presque irréels qui annoncent le futur tout en étant féminin.

L’ambition de la maison est de réinventer le métier, qui devient un engin d’innovation, faisant avancer la mode éco-durable où la matière est vue dans une approche interdisciplinaire à l’art et la mode. Chaque collection est une quête au-delà de la définition actuelle du vêtement, explorant de nouvelles formes d’expressions pour une mode plus diverse, consciente et significative pour le futur. Célébrant l’empowerment des femmes, la maison accorde une grande importance aux collaborations avec des femmes inspirantes comme par exemple, les muses de la marque que sont Cate Blanchett, Beyoncé, Scarlett Johansson, Lady Gaga, Fan Bingbing ou Naomi Campbell.

À travers de nombreuses collaborations en symbiose avec des artistes de toutes catégories comme le chorégraphe Damien Jalet, l’artiste de performance Björk, l’artiste cinétique Anthony Howe, l’architecte transdisciplinaire Philip Beesley ou encore l’artiste utilisant le digital (computational) Neri Oxman, la marque défie le futur de la mode en révolutionnant des méthodes auparavant inimaginables dans la Haute couture.

Thématiques
Iris van Herpen, Robe {Suminagashi}, collection « Hypnosis », 2019
Iris van Herpen, Robe Suminagashi, collection «  Hypnosis  », 2019
Polyuréthane, mylar, tulle. Collection Iris van Herpen
© Dominique Maitre

La vie des profondeurs

Sous la surface des océans demeure un monde invisible à l’œil nu mais pourtant fondamental à la vie sur Terre. En 2020, dans sa collection « Sensory Seas », Iris van Herpen s’empare de cet écosystème et du bestiaire planctonique, et à plus large échelle, des animaux marins pour dessiner les lignes et les textures de ses robes. Les êtres unicellulaires et la famille des hydrozoaires, dont les méduses, incarnent continuellement un ensemble des plus inspirants pour la créatrice. Ils constituent des références primordiales qui lui permettent de dévoiler l’insaisissable pour donner vie à ses vêtements. Comme les maîtres-verriers du XIXe siècle Léopold et Rudolf Blaschka ont permis l’accès à ce monde invisible grâce à leurs étonnants modèles pédagogiques, Iris van Herpen s’empare des mêmes sujets pour les transposer, entre artisanat et nouvelles technologies, dans l’univers de la haute couture.

Iris van Herpen, en collaboration avec Kim Keever, Minirobe {Cosmica}, collection « Shift Souls », 2019
Iris van Herpen, en collaboration avec Kim Keever, Minirobe Cosmica, collection «  Shift Souls  », 2019
Organza de soie, coton. Collection Iris van Herpen
© Dominique Maitre

L’eau et les rêves

Liquide, solide, gazeuse, l’eau apparaît régulièrement dans les créations d’Iris van Herpen, jusqu’à devenir le sujet principal en 2010 de la collection « Crystallization ». Composant majeur du corps humain, elle surgit de ses robes pour transcender ce flux invisible qui constitue notre essence. À toutes les échelles, goutte de pluie comme tsunami, allégorie poétique comme porte des ténèbres, harmonie comme chaos, sous forme d’écume, de liquide cristallisé ou d’ondes, elle convoque l’imaginaire foisonnant de la créatrice. Bulles suspendues dans l’espace, éclaboussures transparentes, brume, vagues turquoise ou outremer, les œuvres aquatiques d’Iris van Herpen révèlent les mystères et les pouvoirs métamorphiques de l’eau qui se manifestent à travers tout un éventail de matériaux et de techniques, allant du verre soufflé au plexiglass thermoformé, de la découpe laser au Suminagashi, technique japonaise de dessins marbrés à l’encre.

Iris van Herpen, Robe et coiffe {Frozen Falls}, collection « Syntopia », 2018
Iris van Herpen, Robe et coiffe Frozen Falls, collection «  Syntopia  », 2018
Komon Koubou, organza, mylar, tulle. Collection Iris van Herpen
© Dominique Maitre

Les forces du vivant

La fascination d’Iris van Herpen pour les formes issues de la nature, l’a amenée à réfléchir à la morphogénèse et aux forces créatrices aux origines du vivant. L’infiniment petit s’est imposé pour lui révéler la beauté d’êtres invisibles et lui ouvrir la voie à des grammaires esthétiques et à des matérialités nouvelles. Elle s’est passionnée notamment pour les planches illustrées du biologiste Ernst Haeckel qui mirent en lumière au XIXe siècle les êtres microscopiques. Mêlant les arts et les sciences, elle explore des terrains terrestres ou marins pour en décrypter les architectures et les textures. Dans un corps-à-corps avec la faune et la flore, les robes fusionnent progressivement avec celles qui les portent. Sa préoccupation pour la préservation de l’environnement l’incite à éveiller notre regard sur le monde comme dans sa collection « Earthrise », en collaboration avec l’artiste Rogan Brown, où elle choisit de magnifier le plastique recyclé.

Le squelette incarné

Cabinets de curiosités et galeries d’anatomie sont des creusets fertiles d’inspiration pour Iris van Herpen. Comme Michel-Ange ou Jean-Antoine Houdon qui étudiaient par le biais des écorchés les représentations anatomiques de l’humain, la créatrice analyse squelettes mais aussi muscles, tissus, fascias et réseaux pour proposer plus qu’un vêtement, une peau neuve à ses collections. Ses robes, structures hybrides, deviennent projection de notre constitution intrinsèque, fiction d’un corps renouvelé. Exploitant les frontières entre le vivant et l’inerte, Iris van Herpen redonne vie à la silhouette. Le vêtement, mutation d’anatomies complexes se dessine alors tel un corps en extension. Elle met ainsi en lumière et en perspective ce qui ne se devine qu’à travers la faible transparence de la peau ou le génie de la machine. Elle pratique l’IRM artistique, la radiographie créative des structures de la vie.

Janaina Mello Landini, {Ciclotrama 310} (de la série {Superstrato}), 2023
Janaina Mello Landini, Ciclotrama 310 (de la série Superstrato), 2023
Fils divers (sisal, coton) sur toile en lin
© Les Arts Décoratifs / Christophe Dellière

La dynamique des structures

Grâce à son approche holistique, Iris van Herpen s’intéresse à l’existence de toutes les structures qu’elles soient naturelles ou artificielles, organiques ou architecturales. Le corps devient le composant d’un tout, relié à sa physicalité mais aussi à son esprit et à son âme. Elle puise dans les singularités du vivant pour en extraire des écosystèmes, des processus de croissance, des interconnexions. Les champignons, à eux seuls un des règnes du vivant, composent ce monde à part, tissé d’enchevêtrements de filaments de mycélium, qui séduisent Iris van Herpen tant par la beauté de leurs réseaux que par l’intelligence de leur système génératif. Ode à la nature, ses collections comme « Roots of Rebirth » sont un hommage à cette toile organique inframince et souterraine. Célébration du gothique flamboyant, sa Cathedral Dress réinvente les codes du vêtement.

Synesthésie

Si la matérialité du corps, son anatomie et ses réseaux entrent en résonance avec les créations d’Iris van Herpen, d’autres dimensions de l’être la fascinent et l’inspirent. L’intérêt qu’elle porte au cerveau et plus particulièrement à la synesthésie ou aux phénomènes complexes des états modifiés de conscience, comme le rêve lucide ou l’hypnose, lui permet d’étirer les frontières de la mode au-delà de la simple perception visuelle ou de l’expérience tangible du vêtement. Fascinée par la neurologie, elle cherche à susciter le trouble, à magnifier les sens, à les sculpter par les matériaux qu’elle choisit. Comment diluer les frontières de la perception ? Comment stimuler le cerveau à travers les cinq sens et comment les associer les uns aux autres pour provoquer une nouvelle expérience émotionnelle ?

Atelier alchimique

Le parcours d’Iris van Herpen est aussi exceptionnel que la quiétude dans laquelle elle réalise ses collections à Amsterdam, dans un ancien entrepôt, devant de larges baies vitrées ouvertes sur les reflets de la rivière. Entourée d’une équipe jeune et internationale, chacune de ses collections débutent par des expérimentations autour des matériaux. Cette démarche qu’elle qualifie de « craftolution » s’appuie sur les liens étroits entre artisanat et nouvelles technologies, projetant ainsi la haute couture vers un nouvel avenir. Iris van Herpen ouvre la voie à des alternatives plus durables et responsables grâce à son approche multidisciplinaire, en revisitant les méthodes de fabrication, l’amenant à collaborer avec de multiples experts, tels que Philip Beesley et le Living Architecture Systems Group, Neri Oxman et Studio Drift, ou encore Rogan Brown et Kim Keever. Chacune de ses créations est ainsi reconnaissable par cet équilibre subtil d’inventivité, comprenant un large éventail de techniques allant du moulage en silicone, de l’impression 3D et de la découpe au jet d’eau au plissé ancien et à la sculpture aimantée.

Mythologie ténébreuse

Native du village de Wamel, proche de Den Bosch, la ville du peintre flamand Jérôme Bosch, Iris van Herpen a grandi en examinant avec intensité les figures fantastiques de l’artiste, mêlant alchimie, mysticisme et allégories. Elle en garde un goût certain pour l’hybridation et le foisonnement questionnant pareillement la nature animale et la nature humaine, les fusionnant en des êtres chimériques. À travers ses découvertes faites dans les collections du Embassy of the Free Mind, à Amsterdam, et dans les cabinets de curiosités que l’histoire de l’art a mis en lumière, elle explore les émotions de la peur à l’intérieur de ces mondes imaginaires. Les ressources littéraires des périodes symboliste et surréaliste, lui permettent aussi d’exploiter la métaphore comme un prisme d’expression, renouvelant dès lors les typologies conventionnelles de la mode. Des Métamorphoses d’Ovide à la mythologie japonaise, elle aime réinterpréter les mutations de notre monde.

Ferruccio Laviani, {Good Vibrations Cabinet}, 2013
Ferruccio Laviani, Good Vibrations Cabinet, 2013
Conçu pour Fratelli Boffi. Noyer massif, finitions chêne, sculpté, ciselé et gravé grâce à des procédés numériques
© Les Arts Décoratifs / Christophe Dellière

Nouvelle Nature

Dans de nombreuses collections, les silhouettes d’Iris van Herpen, habillées de lignes de vie, viennent célébrer un nouveau concept de nature futuriste. En présentant des perceptions d’un avenir imaginaire, elle questionne avant tout les distinctions entre nature et artifice face à une société aspirée et fascinée par la présence croissante du virtuel. Mettant à l’épreuve la présence physique du corps dans un monde post-humain, la créatrice invite à observer une société de plus en plus en interversion. Dans les collections « Syntopia », « Escapism » et « Voltage », elle interroge les liens étroits entre sciences et technologie. Fascinée par le monde de demain, Iris van Herpen fusionne les disciplines, les tissent les unes avec les autres, pour donner naissance à une nouvelle définition de la mode. Le vêtement, métamorphosant le corps en être hybride, incarne dès lors une vision futuriste de notre monde.

Iris van Herpen, en collaboration avec Philip Beesley, Robe {Galactic Glitch}, collection « Shift Souls », 2019
Iris van Herpen, en collaboration avec Philip Beesley, Robe Galactic Glitch, collection «  Shift Souls  », 2019
Komon Koubou, mylar. Collection Iris van Herpen
© Dominique Maitre

Voyage cosmique

Iris van Herpen montre, à travers l’exploration du cosmos, combien elle manie l’art de la synthèse, s’inspirant tout autant des dernières découvertes que de l’histoire des arts et des sciences, des cartes anciennes d’Andreas Cellarius que des images du télescope James Webb. Le cosmos et ses mystères entretiennent son imaginaire et avivent sa créativité. Métaphore de son approche holistique, ils incarnent un espace de déploiement sans limites, symbole d’une liberté absolue. Les couleurs flottent, s’animent et offrent de nouveaux horizons pour les corps en lévitation. Appréhender le cosmos, c’est pour elle bouleverser l’ordre des choses et prendre de la hauteur. Le monde devient un tout au-delà de la seule planète Terre. Il ne se développe plus de bas en haut ou de haut en bas mais dans toutes ses dimensions, comme un multivers, sans plus de frontières si ce ne sont celles de l’esprit et de son imaginaire, de l’âme et de ses voyages cosmiques.

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