La personnalité de la marquise Arconati Visconti, née Marie Peyrat, apparaît en effet comme exceptionnelle, tant en raison d’une trajectoire personnelle hors normes que de ses convictions politiques et de ses qualités intellectuelles manifestes. Issue d’un milieu beaucoup plus modeste que celui de son mari, membre de l’aristocratie italienne, elle est élevée par son père, Alphonse Peyrat, journaliste, député républicain puis sénateur de la Troisième République. Femme de lettres et de culture, elle fréquente en auditrice libre les cours de l’École nationale des chartes où elle rencontre son futur mari, Giammartino Arconati Visconti, qu’elle épouse en 1873. Ce mariage est toutefois de courte durée : le marquis meurt en 1876 d’une fièvre typhoïde, laissant sa femme seule héritière de ses biens.
Devenue veuve, la marquise se fixe à Paris où elle tient durant de nombreuses années, dans son hôtel particulier de la rue Barbet-de-Jouy, un salon que fréquentent des hommes politiques de premier plan tels que Léon Gambetta, Émile Combes, Jean Jaurès ou Joseph Reinach, mais aussi des intellectuels, professeurs à l’École nationale des chartes, à l’École des hautes études ou au Collège de France, tels que Gaston Paris, Gabriel Monod, Abel Lefranc ou Joseph Bédier. Dans ce vivier intellectuel, elle côtoie des personnalités qui font partie des premiers soutiens du capitaine Dreyfus, avec qui elle entretient une abondante correspondance.
La marquise reçoit et fréquente de la même manière des conservateurs de musée, des amateurs d’art et des collectionneurs. Elle tisse notamment des relations privilégiées avec Raoul Duseigneur qui la conseille pour ses acquisitions de peintures, de sculptures, de mobilier et d’objets d’art dont un grand nombre vient enrichir les musées français.
Le Musée des Arts Décoratifs est l’un des grands bénéficiaires des dons de la marquise. Les choix de cette dernière témoignent d’un goût éclectique, comme d’un intérêt particulier pour un certain nombre de domaines et de périodes : le Moyen Âge et la Renaissance, le XVIIIe siècle et la Révolution française, et sans doute sur les conseils de Raoul Duseigneur, les arts asiatiques et islamiques.
Ses dons au Musée des Arts Décoratifs comprennent ainsi des boiseries, des objets d’art, des pièces d’orfèvrerie, des porcelaines de Meissen, des bijoux de la Renaissance de même que des bijoux contemporains – dont certains dus à Lalique - des fragments de vitraux médiévaux et des tapisseries du XVIIIe siècle, mais également des œuvres d’art oriental.
« Bienfaitrice des arts et des lettres », ainsi dénommée dans un hommage qui lui est rendu un an après sa mort, la marquise Arconati Visconti s’investit dans de nombreux domaines. Elle contribue de façon marquante au développement de l’enseignement supérieur et de la recherche, tant à Paris qu’en province, à travers la fondation de bourses, de prix ou de chaires et l’octroi de subventions à l’École des chartes, à l’École pratique des hautes études, au Collège de France et à plusieurs universités. Elle fait de l’université de Paris sa légataire universelle. Sa générosité s’est étendue à plusieurs bibliothèques entre lesquelles elle a réparti les ouvrages hérités de son père, de la famille de son mari ou qu’elle avait elle-même acquis ou reçus de ses amis.
Cette exposition réunit pour la toute première fois une sélection d’oeuvres et objets lui ayant appartenu grâce au concours exceptionnel de différentes institutions auxquelles la marquise a apporté son soutien parmi lesquelles le musée du Louvre, le musée des Beaux- Arts de Lyon, la Cité de la céramique – Sèvres et Limoges, la bibliothèque municipale de Lyon. Elle rappelle également le contexte dans lequel elle a exercé son mécénat grâce aux prêts consentis par les Archives nationales, la Bibliothèque nationale de France, la Médiathèque de l’architecture et du patrimoine, la bibliothèque historique de la ville de Paris, la bibliothèque inter-universitaire de la Sorbonne et la chancellerie des universités de Paris.
En mettant en lumière la marquise Arconati Visconti, femme dans un monde d’hommes, collectionneuse et philanthrope d’exception, ayant eu le souci d’enrichir le patrimoine des musées et de soutenir le développement des enseignements supérieurs, le Musée des Arts Décoratifs rend hommage à ses grands mécènes, faisant écho à l’histoire de l’institution, fondée en 1882 sous l’impulsion de collectionneurs, d’industriels, d’artistes et d’artisans.