LOUIS VUITTON (1821-1892)
Louis Vuitton apprend les rouages du métier de « layetier-coffretrier-emballeur » chez « Maréchal » rue Saint Honoré à Paris. Durant dix-sept ans, il peaufine le savoir-faire complexe inhérent à cette profession et en maîtrise tous les aspects : de la fabrication à l’emballage jusqu’à la logistique de la charge. En 1854, il ouvre sa propre enseigne, à quelques centaines de mètres de là, au 4, rue Neuve-des-Capucines, près de la rue de la Paix.
D’emblée, Louis Vuitton se positionne différemment de ses confrères très nombreux à l’époque. Il simplifie l’intitulé de son métier et se redéfinit en tant qu’« Emballeur ». Ses en-têtes apportent une précision décisive : « Spécialité pour l’Emballage des Modes ». Ce choix s’avère à la fois original par rapport à ses pairs et astucieux pour l’avenir. En effet, la Haute Couture parisienne connaîtra bientôt un succès fulgurant grâce à son fondateur Charles-Fréderick Worth, lui-même installé rue de la Paix.
Les premières malles recèlent toutes les techniques d’alors. Elles sont recouvertes d’une grosse toile cirée permettant de les imperméabiliser. Cette toile, dite Trianon, est peinte en gris. Les armoiries et les monogrammes des propriétaires sont ensuite apposés sur cette couche de couleur. Avec les années, Louis Vuitton attache un intérêt toujours plus grand à ces revêtements et brevète des toiles tissées à motifs, lesquelles permettent de le différencier des autres enseignes, et le protègent de la contrefaçon grandissante.
En 1877, il dépose une toile rayée disponible en plusieurs coloris. Onze ans plus tard, il fait un nouveau dépôt de brevet, cette fois-ci pour la « toile Damier » qui, plus sophistiquée, intègre son nom dans le motif décoratif. C’est ainsi que, pour la première fois, son nom apparaît comme une signature sur l’extérieur de ses malles. Poursuivant la logique de son père et quatre ans après sa mort en 1892, son fils Georges Vuitton créera en 1896 le désormais fameux Monogram « LV ».
L’histoire industrielle de la deuxième moitié du XIXe siècle, est jalonnée par les grandes Expositions Universelles. Ces nouveaux temples de la culture internationale où s’illustrent toutes les grandes inventions attirent un public considérable. Saisissant l’opportunité que peut offrir une telle vitrine, Louis Vuitton y présente ses modèles dès 1867 dans une toute nouvelle section « Article de voyage et de campement » et remporte sa première médaille. Ses participations aux expositions de 1867, 1868, 1887 et 1889, structurent le rythme de ses innovations techniques, établissant ainsi sa signature personnelle. En effet, pour chaque événement, il met au point une invention qu’il fait déposer. Il s’assure ainsi avec ingéniosité, une diffusion et une visibilité exceptionnelles tout en protégeant légalement ses créations.
A la perfection de ses réalisations, à l’invention en phase avec les attentes de la bourgeoisie montante avide de voyages et de luxe, s’adjoint la pertinence d’une adresse : lorsque Louis Vuitton aménage en 1872 ses nouveaux locaux au 1 rue Scribe, il se place d’emblée à l’épicentre du Paris métamorphosé par le baron Haussmann.
Le Café de la Paix trône à l’angle de la place de l’Opéra. Les boulevards qui y convergent, récemment percés ou élargis lors des grands travaux, incitent à la promenade et à la flânerie. Le quartier devient un centre commercial à ciel ouvert où plaisir et luxe sont les mots d’ordre. Entre la place de l’Opéra et la colonne Vendôme, la rue de la Paix est une des promenades préférées du Tout Paris. Cette nouvelle artère commerciale draine les plus célèbres noms de la mode et de la couture. Joailliers et parfumeurs y ont pignon sur rue alors que couturiers, modistes et photographes investissent les étages. Worth, Paquin, Doucet, reconnus comme les maisons de couture incontournables de l’époque, donnent définitivement ses lettres de noblesse au quartier. Avec sa première enseigne, rue Neuve-des-Capucines, Louis s’était lié d’amitié avec le désormais fameux Charles-Fréderick Worth. Des malles Louis Vuitton portent encore des plaques de la maison Worth, ce qui atteste l’étroite collaboration entre les deux hommes.
En fondateur de la Haute Couture, Worth impose des nouveaux codes et usages vestimentaires, démultipliant le nombre de pièces dans la garde-robe bourgeoise : tenues d’intérieur, tailleurs du matin, robes de ville, pour l’après-midi, pour le dîner, robes de bal… sans oublier les épaisseurs interminables de sous-vêtements qui structurent les immenses silhouettes à crinolines... sans parler de l’infinie variété de chapeaux et d’accessoires augmentant la quantité faramineuse d’objets nécessaires à la garde-robe. Une aubaine pour Louis Vuitton qui, en tant que spécialiste d’emballages de modes, est aux premières loges pour répondre à la demande exponentielle.
Une pléthore de noms de Barons, Comtes, Marquis et Princesses se succèdent dans ses carnets de commandes, tout comme les vedettes parmi lesquelles Sarah Bernhardt. Il n’était d’ailleurs pas rare pour une actrice d’un tel renom d’acquérir une dizaine de malles à la fois. Rien que pour sa première tournée au Brésil, il lui en a fallu plus de 200 !
Jusqu’au bout, Louis Vuitton restera fidèle aux trois principes qui l’animent : perfectionnement et maîtrise de son savoir-faire, entière satisfaction donnée à la clientèle, perpétuelle recherche de nouveautés.
MARC JACOBS
Tout autant lié aux fluctuations de son époque, le créateur américain Marc Jacobs contribue quant à lui, aux grands chamboulements du système de la mode d’un XXe siècle finissant. Tournée vers l’international depuis les années 80, l’industrie de la mode devient, dans la décennie suivante, un secteur mondialisé, obligeant la génération montante des designers à en réécrire les règles du jeu. L’échelle des valeurs ainsi démultipliée, le rôle du créateur a dû évoluer pour y faire face, répondre à la demande et s’épanouir. Car le talent créatif n’est plus l’unique impératif du cahier des charges exigé par les mega-marques tenant le haut du pavé de la globalisation. Les créateurs de mode doivent désormais être plus performants, à la fois dans le marketing, la direction artistique, sans oublier d’endosser le rôle de maître de cérémonie et d’agir comme porte-parole de la marque. Marc Jacobs est décidément l’homme de la situation.
Diplômé en 1984 de la Parson’s School of Design à New York, Marc Jacobs est nommé créateur de la maison américaine Perry Ellis en novembre 1988. Il a à peine 25 ans. Avec Ralph Lauren et Calvin Klein, Perry Ellis est considéré comme une des marques majeures de l’industrie du prêt-à-porter américain. La nomination de Marc Jacobs à la tête d’une entreprise dont les ventes atteignent 100 millions de dollars par an le propulse d’emblée dans la cour des grands. Tandis que chaque créateur américain rêve d’avoir sa propre griffe, Marc Jacobs se place dans une logique de succession à la française, en dessinant sous le nom d’un autre. Pour autant, le créateur impose sa vision et se libère de tout l’héritage stylistique de la marque. Cependant, en novembre 1992, la collection « Grunge » marque un tournant dans sa carrière.
Plébiscitée par la presse, elle est incomprise par les acheteurs et Marc Jacobs doit se retirer.
À peine trentenaire, Marc est à la recherche de nouveaux associés. Ironie du sort, ce sont les propriétaires de Perry Ellis qui financeront la suite de sa carrière en l’aidant à créer sa propre griffe.
Le 7 janvier 1997, Marc Jacobs est nommé directeur artistique de la maison Louis Vuitton, vieille alors de cent quarante-trois ans. Dans son cahier des charges, Marc Jacobs doit introduire, pour la première fois dans l’histoire de Louis Vuitton, des collections prêt-à-porter homme et femme ainsi qu’une ligne d’accessoires chaussures et sacs. Rompu aux rouages et aux aléas des grosses entreprises, Marc Jacobs aborde la scène parisienne armé de connaissances approfondies du système de la mode.
D’emblée, il envisage de créer un nouvel univers, parallèle à celui très classique de la marque. Un monde à la pointe de la mode côtoie désormais le monde sophistiqué et intemporel de la maison Louis Vuitton. Et plus ils s’éloignent, plus ils se complètent. D’un côté, les campagnes photo d’Annie Leibovitz fidèle à l’attitude historique de Louis Vuitton envers le voyage ; de l’autre les collections de Marc Jacobs, toujours changeantes misant sur le clinquant, le glamour.
Comme à son habitude, Marc Jacobs a une vision juste et pertinente : « Un nom merveilleux. Une griffe célèbre, unique, qui existera après moi. Vuitton n’est pas une maison de mode. On fait des choses « à la mode », on a introduit l’idée de la mode, qui évolue avec les humeurs du temps, les icônes de la culture populaire. Mais le cœur de la marque est inchangé et inchangeable, tant mieux. »
Avec une étonnante finesse, Marc Jacobs gère les subtilités entre direction et design tout en mettant en forme un processus de création collective qu’il assume ouvertement. « Je suis un ‘designer’ qui travaille au sein d’une équipe de designers. C’est ensemble que nous faisons des propositions pour les collections de prêt-à-porter, d’accessoires ou autres produits de la marque Louis Vuitton. Nous présentons nos idées dans le format du défilé de mode, vêtements et accessoires compris. Nous donnons aussi notre avis sur la manière dont les choses sont présentées à tous les niveaux, jusqu’à la publicité. Mais il ne s’agit que d’un avis, car dans la structure Louis Vuitton, nous n’avons pas la possibilité de contrôler jusqu’au bout le merchandising, la publicité et l’image. La création dans la mode, comme dans tout autre domaine, est une série de choix. Mon processus de création naît de l’échange constant au sein d’une équipe. » C’est en toute logique, que Marc Jacobs fait appel à des collaborateurs artistiques, tel Stephen Sprouse, Takashi Murakami ou Richard Prince. Ces associations entre l’art et la mode ont bouleversé les habitudes de tout un secteur pour devenir depuis des cas d’école.
Patiemment élaboré par Marc Jacobs, le style Louis Vuitton oscille de saison en saison pour mieux saisir et définir une femme « LV » toujours en mouvement, toujours dans l’air du temps. Il passe tour à tour d’un point extrême à l’autre, avec, en guise de ligne de conduite, une totale liberté d’expression, sans retenue aucune, sans imposer des idées préconçues. En effet, Marc Jacobs oeuvre « avec des impulsions plutôt qu’avec des chiffres, parce que la mode n’est pas une science. » Il reste toujours ancré dans une réalité ayant à cœur de rendre crédible son propos et accessible son travail. « Pour certains, la vie n’a pas de sens sans la mode, pour moi, c’est la mode qui n’a pas de sens sans la vie. »