En 1800, « informé que beaucoup de femmes [se travestissaient], […] », le préfet de police de Paris ordonne que « toute femme, désirant s’habiller en homme, [devrait] se présenter à la Préfecture de police pour en obtenir l’autorisation ». Les femmes souhaitant enfiler un pantalon souffrent seulement d’un ardent désir de liberté, à une époque où elles étouffent sous les contraintes sociales et vestimentaires que le pantalon permet de contourner. De leur côté, les hommes sont persuadés que leur domination séculaire va se dissoudre par la conquête du vêtement bifide par les femmes. Au début du XXe siècle, et notamment dans les années 1920 l’alibi oriental est utilisé par les vacancières pour porter non pas des pantalons, mais des pyjamas de plage ou de soirée. Adoubés par des personnalités aussi en vue que Gabrielle Chanel, leur succès fut total, à tel point que Juan-le-Pins fut rebaptisé « Pyjamapolis » en 1931 par le journal L’Illustration.
Dans les années 1930, Marlene Dietrich porte des pantalons qui incarnent le renouvellement et la masculinisation, tant à l’écran que dans la rue. Dans Cœurs brûlés (film de Josef von Sternberg, 1930), elle joue le rôle d’Amy Jolly, une chanteuse de cabaret, et est vêtue d’un smoking masculin avec un chapeau haut de forme. L’actrice scandalise Paris lors de son arrivée à la gare Saint-Lazare en 1933, habillée d’un costume masculin, jouant sur l’ambiguïté de son allure, à la fois garçon manqué et vamp glamour. En 1992, sa fille Maria Riva raconte : « La presse avait critiqué l’obstination de Dietrich à porter des vêtements d’homme, écrivant entre autres qu’une dame ne devait pas s’amuser à fouler aux pieds la bienséance. »
Plus tard, c’est au nom d’Yves Saint Laurent que le pantalon féminin est associé. Il affirme qu’ « en portant le pantalon, une femme peut développer son maximum de féminité ». Ainsi, le pantalon féminin investit le domaine de la haute couture grâce au couturier qui lance l’ensemble caban pantalon en 1962. En 1966, dans un contexte d’émancipation féminine, il réinvente pour les femmes le célèbre smoking au féminin qui devient un grand classique de sa maison.
Adulé ou sifflé, le pantalon doit attendre la fin des années 1960 pour faire partie sans véritable heurt du vestiaire féminin. Malgré cette victoire, le préfet de police refuse ouvertement de revenir en 1969 sur l’ordonnance de 1800, qui n’est abrogée qu’en janvier 2013.