La splendeur de Blenheim
Le chantier débute en 1900, lorsque Charles Richard John Spencer Churchill prend possession du domaine sous le titre de neuvième duc de Marlborough. D’abord chargé de la cour, Achille Duchêne réalise ensuite un jardin français et un jardin italien. En 1921, il restaure le grand parterre ouest. Le défi est de taille. Le château, conçu par Vanbrugh au XVIIIe siècle, est entouré d’un vaste parc paysager pensé à la même époque par Capability Brown, considéré alors comme le plus grand jardinier d’Angleterre. La façade qu’il s’agit d’embellir d’un nouveau parterre donne sur un lac. Fidèle aux principes du jardin mixte, Duchêne réussit à relier l’architecture, limitée, et le lac évoquant une nature illimitée. Sur une terrasse, un parterre de broderies scandé de treize plans d’eau se fait miroir du ciel changeant et relie sans heurt jardin régulier et paysager. Blenheim est emblématique du travail d’Achille Duchêne. L’eau y est importante, les jeux de perspective soignés, le jardin est mixte et les références versaillaises ne sont jamais loin. Lucie Nicolas-Vullierme a mis en lumière la similitude du parterre de Blenheim avec le premier projet de Le Brun pour le parterre d’eau de Versailles, daté du début des années 1670, construit sur des formes sinueuses et orné de six plans d’eau. De même, pour les terrasses qui relient le parterre d’eau au lac, Duchêne emploie un vocabulaire classique et symétrique et des effets d’escamotages qui rappellent les jardins de Louis XIV.
Le parc de Voisins
Autre grand chantier de Duchêne, le parc de Voisins pour le comte de Fels illustre un des principes majeurs de l’architecte-paysagiste : il y a autant de jardins que de demeures et de propriétaires. Duchêne se met au diapason de son commanditaire, le comte de Fels, théoricien du style Louis XVII. Ce dernier rêve de ce qu’aurait été le style du successeur de Louis XVI s’il avait prolongé les lignes pures du néoclassicisme et banni le goût anglais promu par Marie-Antoinette. Achille Duchêne s’inspire des travaux de l’architecte Gabriel dans la seconde moitié du XVIIIe siècle afin de créer un jardin aux lignes épurées et aux perspectives soignées. Comme à Blenheim, l’eau joue un rôle majeur pour relier le jardin à la française avec les étangs et les bois du parc, dévolus à la chasse. Gigantesques, les travaux de terrassement requièrent 147 personnes. Le parc est achevé est 1913.
Les fastes de Carolands
C’est lors de sa visite du terrain de Hillsborough en Californie, où Harriett Carolan entend bâtir Carolands Chateau, que Duchêne reçoit un de ses plus fameux surnoms : « J’ai conservé un souvenir exquis de mes randonnées à cheval où l’on s’élançait au galop sur les pentes abruptes à la sortie des canyons où l’on avait peine à passer, les commandements et signaux donnés à une armée de porteurs de balises et fanions dont l’étoffe claquait au vent, ce qui faisait dire à M. Carolan que j’étais le Napoléon du paysage. » De Louis XIV à Napoléon, il n’y a qu’un pas, même si le « prince des jardins » a plus d’affinités avec le Grand Siècle qu’avec l’Empire.
Envisagé à partir de novembre 1912, dessiné au printemps 1913, jamais achevé, le parc de Carolands en Californie devait couvrir plus de 200 hectares et témoigner des fastes d’Harriett Carolan-Pullman, riche héritière américaine des chemins de fer. Pour ce rêve, Achille Duchêne est l’homme idéal. Les Vanderbilt, les Palmer, Elsie de Wolf, les membres de la haute société américaine remplissent son carnet de commandes. Francophile, Harriett Carolan souhaite une demeure et un parc d’esprit versaillais. Le Grand Siècle est à la mode et Duchêne est passé maître dans l’art de renouveler la structure et le vocabulaire du jardin à la française. La fortune sans limite de son commanditaire, l’immensité d’un parc de 200 hectares, l’absence de contraintes (il choisit lui-même l’emplacement de la future demeure confiée à Ernest Sanson) lui permettent de déployer son imagination. Contrairement à ses commanditaires français qui privilégient les effets d’ensemble, les Américains apprécient les effets de surprise. Sur la structure du jardin classique se greffent piscine, orangerie, petits temples, bois sacrés et autres fantaisies qui n’ont que peu de lien avec Le Nôtre.
L’entreprise est titanesque. Les travaux de terrassement coûtent à eux seuls 100 000 dollars. Le chantier commencé en avril 1913 n’est toujours pas achevé dans les années 1940. Progressivement vendu par les héritiers, le parc se réduit à peau de chagrin, avant d’être restauré dans les années 2000. Seuls restent les dessins de Duchêne pour témoigner de cette splendeur évanouie avant que d’être née.
Le département des Arts graphiques du Musée des Arts Décoratifs conserve cinq dessins pour Carolands Chateau. Une vue de l’axe ouest, un projet pour le bois sacré, deux projets pour le mur de fontaine et un projet d’escalier. La vue du jardin donnant sur la façade ouest de la demeure correspondrait au projet définitif. En effet, les éléments constitutifs du jardin se retrouvent sur une autre vue très minutieuse de l’ensemble du parc réalisée par Achille Duchêne. Une grande terrasse devait descendre jusqu’à un monumental mur de fontaine. Au-delà, une pelouse s’élève vers un belvédère permettant d’admirer le domaine dans son ensemble. Plus le promeneur s’éloigne de la maison, plus le jardin se fait paysager, moins géométrique. Dans ces zones plus éloignées, Duchêne imagine un bois sacré, qui devait évoquer un paysage de rêve. Élément clé du jardin, le mur de fontaine a connu de multiples variations. Un de ces projets n’est pas de la main de Duchêne mais de Laurentin, un de ses collaborateurs. Duchêne dirige une agence et s’il donne les plans et les descriptions de ce qu’il souhaite, ses dessins de paysages sont fréquemment cosignés par un tiers, comme Laurentin ou Henri Brabant.