Dans la mode du XXe siècle, le scandale n’a de cesse de gagner en visibilité. La presse spécialisée et généraliste rend compte des défilés qui provoquent incompréhension et malaise, tels ceux des créateurs japonais, Yohji Yamamoto et Rei Kawakubo (Comme des Garçons) en 1983, avec leurs vêtements en apparence non finis ; celui de John Galliano pour Dior avec sa collection inspirée des sans-abris (printemps-été 2000) ou encore celui d’Alexander McQueen, intitulé Highland Rape (automne-hiver 1995), présentant des femmes métaphoriquement violées, pour ne citer qu’eux. Chroniqueurs, journalistes et autres observateurs s’interrogent : le scandale ne serait-il pas une stratégie pour les créateurs contemporains ? N’est-il pas est un moyen pour eux de se différencier les uns des autres ?

Défilés chocs

Comme des Garçon, collection prêt-à-porter printemps-été 1983

Comme des Garçons, Ensemble pull et jupe, collection prêt-à-porter printemps-été 1983
Comme des Garçons, Ensemble pull et jupe, collection prêt-à-porter printemps-été 1983
Jersey de coton. Paris, Musée des Arts Décoratifs, achat grâce au soutien de Louis Vuitton, 2015. Inv. 2015.181.2
© MAD, Paris / photo : Jean Tholance

En 1983, Yohji Yamamoto et Rei Kawakubo (Comme des Garçons) scandalisent les spectateurs parisiens avec leurs vêtements en apparence non finis. Dans Le Jardin des modes, on lit : « deux collections-chocs », d’une « rupture absolue avec notre vision occidentale », opérée par « le bonze et le kamikaze ».

Yohji Yamamoto, collection prêt-à-porter printemps-été 1983

Quelques années après 1983, Yohji Yamamoto avoue avoir voulu mettre en état de choc la couture française à travers sa collection : « Venir à Paris c’était simplement tenter une nouvelle forme de protestation. Je ne pensais pas qu’elle produirait autant d’effets, ni qu’elle pourrait faire école. »

Jean Paul Gaultier, collection prêt-à-porter automne-hiver 1993-1994 « Les rabbins chics »

Jean Paul Gaultier, Ensemble corsage, pantalon, manteau, écharpe et schtreimel, collection prêt-à-porter automne-hiver 1993-1994 « Les rabbins chics »
Jean Paul Gaultier, Ensemble corsage, pantalon, manteau, écharpe et schtreimel, collection prêt-à-porter automne-hiver 1993-1994 «  Les rabbins chics  »
Gaze et velours de soie, satin synthétique, coton matelassé, feutre, fourrure synthétique. Paris, Musée des Arts Décoratifs, don Jean Paul Gaultier, 1996. Inv. PR 2011.24.4
© MAD, Paris / photo : Jean Tholance

Inspirée des vêtements portés par les juifs hassidiques, cette collection ne fut pas comprise. Quelques années plus tard, Jean Paul Gaultier confie que « certaines images ont été mal perçues par les intégristes, qui croyaient que les mannequins avaient été « déguisés » comme eux. Ils étaient aussi heurtés par le fait que des vêtements de rabbins soient portés par des femmes ».

Alexander McQueen, collection prêt-à-porter automne-hiver 1995-1996 « Highland Rape »

De la collection « Highland Rape », les journalistes de The Independent ont estimé que les « robes griffées au sein étaient une blague dégoûtante », portées par des mannequins « victimes de viols collectifs ». Taxé de misogyne, le défilé reste l’un des plus importants et des plus critiqués de la carrière d’Alexander McQueen.

Comme des Garçons, collection prêt-à-porter printemps-été 1997

Comme des Garçons, Robe « Bump dress », collection prêt-à-porter printemps-été 1997
Comme des Garçons, Robe «  Bump dress  », collection prêt-à-porter printemps-été 1997
Jersey synthétique imprimé. Paris, Musée des Arts Décoratifs, achat 2005. Inv. 2005.7.4
© MAD, Paris / photo : Jean Tholance

Dans cette collection, les robes en élasthanne intègrent des structures en ouate créant des déformations. Vogue US classe ces « bump dresses » parmi « les pires créations de 1997 », car « plutôt que de mettre en valeur des parties du corps historiquement perçues comme féminines ou sensuelles […], la bosse fait absolument l’inverse ».

Thierry Mugler, collection haute couture automne-hiver 1997-1998

La collection de Thierry Mugler, parfois intitulée les « Femmes insectes » est ironiquement accueillie par la critique. Le Figaro s’interroge : « […] qui va vouloir s’habiller en scarabée ? » et conclut : « Oui Mugler a du génie mais il le gâche par son goût de la BD, sa passion pour Cruella, ses clins d’œil sadomaso. Et ça gêne ».

Dior par John Galliano, collection haute couture printemps-été 2000

Les tenues déchirées et déstructurées de ce célèbre défilé s’inspirent de celles des sans-abris. « La Belle et le Clochard, version Galliano, fit bondir les éditorialistes, agita les rédacmode, suffoqua les clientes », dit Le Figaro. Le lendemain du défilé, de nombreuses personnes sont venues manifester devant la boutique Dior, avenue Montaigne.

Rick Owens, collection automne-hiver 2015

Une découpe ménagée en partie frontale de la tenue de certains des modèles rendait leur pénis visible aux yeux des spectateurs. « Rick Owens a franchement mis les boules aux dadames du premier rang », pouvait-on lire dans Le Soir. Ce défilé a enflammé les réseaux sociaux.

Épilogue

Ne pas se faire remarquer, ne pas se mettre en valeur, ne pas se travestir, rejeter les formes inconvenantes et les couleurs voyantes, s’habiller selon son âge, son sexe, son milieu, ses activités, tels sont les préceptes de base à respecter si l’on ne veut pas être l’objet de regards inquisiteurs, de moqueries ou d’insultes. Aujourd’hui, les codes se sont assouplis, ce qui n’empêche pas qu’un scandale vestimentaire puisse resurgir à tout moment. Sommes-nous plus libres que nos ancêtres ? Pouvons-nous nous habiller comme nous voulons ? Ne sommes-nous pas nos propres censeurs quand nous n’osons pas porter un vêtement dont parfois un seul détail singulier pourrait défier la convenance, détourner vers soi le regard des autres ? « Fuir ce regard, faire exprès de s’affranchir des codes, des modes, des usages et des morales en cours, c’est bien souvent montrer que l’on est encore et toujours dépendant. La liberté vestimentaire est une illusion », analyse Michel Pastoureau.

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