Créée en 1847 par Louis-François Cartier,
la Maison est initialement spécialisée
en vente de bijoux et d’objets d’art. Son fils
Alfred reprend la direction de l’activité
en 1874 et y associe son fils aîné Louis
en 1898. Cartier conçoit alors ses
propres bijoux tout en poursuivant une
activité de revente de pièces anciennes.
Au début du XXe siècle, Louis Cartier est
à la recherche de nouvelles sources
d’inspiration. Paris est alors le haut lieu
du commerce de l’art islamique et c’est
certainement au travers des grandes
expositions organisées à Paris, au Musée
des Arts Décoratifs en 1903 puis à Munich
en 1910, que Louis découvre avec passion
ces formes nouvelles qui imprègnent
progressivement la société française.
À travers un parcours thématique
et chronologique décliné en deux volets,
l’exposition retrace, dans une première
partie, l’origine de cet intérêt pour les
arts et l’architecture de l’Islam à travers
le contexte culturel parisien du début du XXe
et explore le climat de création autour des
dessinateurs et des ateliers, à la recherche
de leurs sources d’inspiration. La seconde
partie illustre le répertoire de formes
inspiré par les arts de l’Islam depuis
le début du XXe siècle jusqu’à nos jours.
Dès l’introduction, le visiteur est plongé
au cœur des formes et des motifs : trois
créations emblématiques de la Maison
Cartier sont mises en regard de chefs-d’œuvre
des arts de l’Islam. Tout au long
de la galerie nord, l’enfilade de salles
invite à explorer le processus de création,
à la recherche des premières sources
d’inspiration des bijoux. Les ouvrages
conservés dans la bibliothèque de Louis
Cartier et la collection d’art islamique qu’il
a réunie sont autant de ressources rendues
accessibles aux dessinateurs. La collection
personnelle de Louis, reconstituée
grâce aux archives de la Maison, est ici
présentée au travers de plusieurs chefs-d’œuvre
réunis pour la première fois
depuis la dispersion de la collection.
Parmi les dessinateurs, figure au premier
rang Charles Jacqueau, dont le fonds
de dessin est ici présenté grâce au prêt
exceptionnel du Petit Palais, musée des
Beaux-arts de la Ville de Paris.
L’exposition se poursuit avec les
voyages que Jacques Cartier entreprend
notamment en Inde, en 1911, pour
rencontrer les princes de la péninsule.
Le commerce des pierres précieuses
et des perles ouvre à Jacques Cartier
la voie vers ce pays. Ils lui permettent
de développer la clientèle des maharadjahs
et de collecter des bijoux anciens
et contemporains, pour les revendre
en l’état, s’en inspirer ou les recomposer
au sein de créations nouvelles.
Ces différentes sources d’inspiration
et les bijoux orientaux qui enrichissent
les stocks de la Maison contribuent
au renouvellement des formes mais
aussi des techniques de fabrication.
Les aigrettes, les pompons, les bazubands
(bracelet allongé fixé sur le haut du bras)
sont déclinés à l’envi et adaptés dans
leurs formes, leurs couleurs et leurs
matières au goût du jour. La flexibilité des
bijoux indiens donne naissance à des
innovations techniques, de nouvelles
montures et assemblages. L’intégration
de parties de bijoux, de fragments d’objets
islamiques, désignés comme « apprêts »,
et l’utilisation de textiles orientaux pour
créer des sacs et accessoires constituent
également l’une des marques de création
de la Maison en ce début de XXe siècle.
La seconde partie de l’exposition est
entièrement consacrée, dans la galerie
sud, au répertoire des formes inspirées par
les arts de l’Islam, à travers, notamment,
des œuvres du Musée des Arts Décoratifs
et du musée du Louvre. La plupart de ces
œuvres ont été présentées lors des
premières expositions consacrées aux arts
de l’Islam, alors certainement vues par les
dessinateurs de la Maison ou connues par
eux au travers des publications conservées
dans la bibliothèque de Louis Cartier.
Célèbre pour sa production de bijoux
de style guirlande, la Maison Cartier
développe, dès 1904, des pièces dont
les lignes s’inspirent des compositions
géométriques issues des arts de l’Islam
découvertes au travers des livres
d’ornements et d’architecture. Décors
de briques émaillées originaires d’Asie
centrale, merlons à degrés… constituent
les bases d’un répertoire précurseur
qualifié plus tard d’« art déco » –
en référence à l’Exposition internationale
des arts décoratifs et industriels modernes
de Paris en 1925 – et qui très tôt a fait
entrer la Maison dans la modernité.
La production de la Maison sous
la direction artistique de Louis Cartier
est notamment marquée par une
inspiration issue du monde iranien
et des arts du livre. Les motifs qui ornent
les reliures – médaillon central cerné
de fleurons et d’écoinçons – sont repris
parfois en l’état, mais ils sont plus souvent
décomposés et recomposés de manière
à créer un motif dont la source devient
illisible à tout oeil non exercé. C’est le cas
des mandorles, palmettes, fleurons,
rinceaux, sequins, ondulations, écailles…
Louis innove par de nouvelles associations
de couleurs et de matières, mariant le lapis
lazuli et la turquoise, associant le vert du
jade ou de l’émeraude au bleu du lapis
lazuli ou du saphir pour créer son célèbre
« décor de paon ».
Sous la direction artistique de Jeanne
Toussaint, le style de la Maison
laisse place, dans les années 1930,
à de nouvelles formes et associations
de couleurs inspirées essentiellement
du monde indien. Tutti Frutti, sautoirs,
bijoux en volume caractérisent le style
hautement reconnaissable de la Maison
et ses nouvelles productions qui émaillent
la seconde moitié du XXe siècle.
L’espace central de la nef complète
ce parcours avec des dispositifs digitaux
élaborés avec les équipes d’Elizabeth
Diller, du studio DS+R, destinés à apporter
une autre dimension aux bijoux.
Parfois aisément identifiables, d’autres
fois décomposés et recomposés
jusqu’à rendre leur source intraçable,
les motifs et les formes issus des arts
et de l’architecture de l’Islam intègrent
le langage stylistique des dessinateurs
jusqu’à constituer encore à ce jour
une partie du répertoire de la Maison,
qu’illustrent des pièces de joaillerie
contemporaine qui achèvent ce parcours.
Pour la première fois, le processus
de création d’une grande Maison de
joaillerie est mis en lumière. La grande
richesse des archives, les nombreux
dessins et le fonds photographique ont
permis de retrouver la source originelle
de nombreuses créations de Cartier
et de comprendre l’important impact
de la découverte des arts de l’Islam sur
la Maison au début du XXe siècle.
Le Musée des Arts Décoratifs a ouvert
la voie à ces recherches spécifiques
lors de l’exposition « Purs décors ?
Arts de l’islam, regards du XIXe siècle »
en 2007, au moment même où ses
collections rejoignaient celles
du musée du Louvre, pour former,
grâce à un dépôt de grande ampleur,
le département des Arts de l’Islam,
inauguré en 2012. Ces recherches sont
aujourd’hui approfondies dans le domaine
de la bijouterie et joaillerie à travers
l’histoire créative de la Maison Cartier.