Sylvain Tesson, un écrivain voyageur
« Babar, c’est Ulysse chez les éléphants. La paisible Ithaque de Célesteville attend le héros, au bout de l’odyssée. Pour les aventuriers des temps modernes, Babar est un modèle. Ce roi toujours impeccablement mis s’en va de par le monde équipé du minimum. Dans Le Voyage de Babar Jean de Brunhoff a dessiné le sac à dos du roi : un havresac tel qu’en portaient les scouts dans les années 1930. La première qualité du voyageur est la légèreté. Si l’on va battre campagne autant ne pas s’encombrer. Le génie des Brunhoff est d’avoir fait du plus lourd mammifère terrestre un monument de délicatesse. D’avoir poussé l’exercice à transformer le mastodonte en un aérostier, pilote de montgolfière. Et d’avoir demandé à cet animal, incarnant la force aveugle dans les savanes d’Afrique, d’endosser les atours du souverain raffiné. Babar : la pesanteur de la grâce. »
Farid Chenoune, un historien de la mode
« Babar adore être bien habillé, et même « très bien habillé ». Il aime les beaux habits, et les mots qui vont avec : « chic », « élégant ». Il aime être tiré à quatre épingles et a soin des détails : la pochette blanche, le discret liseré de la manche de chemise pointant sous la manche de veste. Babar a pour les vêtements et le prestige qu’ils procurent la passion naïve, dévorante, des primo-arrivants. Sa coquetterie est une addiction, l’addiction de ceux qui ne sont pas et voudraient être, n’ont pas et voudraient avoir, de ceux pour qui la conquête vestimentaire a la profondeur d’une conversion ontologique. Pour le petit éléphant échappé de la brousse découvrant la Ville après avoir fui le chasseur qui a tué sa mère, tout commence par l’abandon de la nudité animale au profit de la parure humaine, par une prise d’habit née du désir instantané, irrépressible, d’avoir lui aussi, comme les « messieurs » qu’il admire baba dans les rues, « un beau costume ». Ce beau costume, ce sera le complet vert.
Michel Pastoureau, un historien des couleurs
L’ours, le cochon, l’hippopotame et l’éléphant : tels étaient les élus de mon bestiaire enfantin (celui-ci n’a guère changé aujourd’hui, seul le corbeau s’y est introduit). En revanche, je détestais déjà les chiens, les lions, les chevaux, ne trouvais guère d’intérêt aux histoires de chats ou de lapins et ne comprenais pas que l’on puisse être captivé par les aventures d’une souris à grandes oreilles, auxiliaire de police et immuablement victorieuse de tous ses ennemis. À tout prendre, à Mickey je préférais Donald. Mais l’univers de Babar était moins agité et moins convenu que celui des héros de Disney. Et surtout, il était en couleurs, de belles couleurs franches, posées en aplat, enfermées dans des lignes claires. Parmi ces couleurs, le vert du costume du roi des éléphants tranchait sur toutes les autres. 60 61 Babar en effet est presque toujours vêtu d’un costume vert, d’une chemise blanche, d’un noeud papillon rouge et de souliers vernis noirs. Seules les cérémonies officielles et quelques épisodes particuliers le montrent habillé autrement. Le vert de ce costume, que j’ai encore dans l’oeil alors que je n’ai pas ouvert un album depuis plusieurs décennies, n’est en rien un vert ordinaire. C’est un vert tendre et sage, une sorte de « vert printemps », parfaitement uni et ne tirant ni vers le jaune ni vers le bleu.