Immeuble, en collaboration avec Emilio Lancia, Milan, via Randaccio 1924-1926
Au cours de la Première Guerre mondiale, le jeune soldat Gio Ponti eut l’occasion de séjourner dans des villas abandonnées d’Andrea Palladio et les dessina abondamment. Cette admiration pour l’architecte de la Renaissance ne devait plus le quitter. (…) Niches, urnes, entablements, tympans, obélisques, ce vocabulaire architectural est transposé avec facétie et légèreté dans l’immeuble de la via Randaccio, premier édifice réalisé par Ponti, qu’il habite avec sa famille de 1926 à 1936. Le plan de l’édifice se déploie en éventail avec quatre façades possédant chacune leur rythme distinctif. La façade concave donnant sur le jardin, la plus ornée, a l’allure d’un petit théâtre palladien(…) Chaque étage a été imaginé comme un appartement en soi, avec des pièces distribuées autour d’une antichambre circulaire, les zones de nuit et les zones de jour étant dissociées. (…) Ponti se souviendra plus tard de cette première construction, réalisée dans l’esprit du Novecento, comme d’une « architecture d’après l’architecture ». Par Sophie Bouilhet-Dumas.
Immeuble Borletti, en collaboration avec Emilio Lancia, Milan, via San Vittore, 1928
Avec l’immeuble de la via Randaccio à Milan en 1924-1926 et la villa L’Ange volant à Garches en 1927-1928, l’immeuble Borletti figure parmi les toutes premières réalisations architecturales de Gio Ponti. Ce luxueux bâtiment de huit étages, destiné aux Borletti, une des grandes familles de la bourgeoisie entrepreneuriale milanaise, réinterprète avec audace le répertoire stylistique néoclassique, dans l’esprit du Novecento. Obélisques, oculi, niches, panneaux et balcons ornent la façade avec une certaine sobriété formelle, tout comme la cour intérieure à laquelle une importance égale est accordée. Par Sophie Bouilhet-Dumas.
Maison Laporte, Milan, via Benedetto Brin, 1935-1936
La maison Laporte est subdivisée en trois appartements se répartissant sur quatre étages. Chaque appartement possède un plan unique qui respecte la division pontienne des espaces en trois quartiers : jour, nuit et services. La double hauteur de l’appartement du dernier étage permet de ménager de multiples points de vue sur les lieux de vie, notamment sur le vaste volume ouvert du salon-salle à manger.
(...)
Enfin, faisant écho aux considérations de Le Corbusier sur le toit-jardin et revisitant la structure des jardins des villas pompéiennes, Ponti conçoit une vaste terrasse sur le toit qui occupe la moitié du dernier étage. Avec son bassin, son petit potager et son bac à sable, elle est considérée comme pièce à part entière. Ceinte alternativement par des murs et des pergolas et équipée de stores rétractables à l’italienne, elle a « le ciel pour plafond ». « La maison devient une création, une composition unique d’espaces, de lumières qui, mis en rapport les uns avec les autres, nous procurent des émotions plus belles, plus fraîches, plus proches de l’architecture et de notre vision de la vie », écrit Ponti au sujet de cette maison dont il occupa le dernier étage de 1936 à 1943. Par Sophie Bouilhet-Dumas.
Case tipiche, Milan, 1931-1938
Les case tipiche (« maisons typiques ») désignent un ensemble d’immeubles d’habitation conçus par Gio Ponti pour plusieurs maîtres d’ouvrage et disséminés dans différents quartiers de Milan. (…) Selon lui, la maison est un lieu ordonné, un réceptacle des joies de la vie et des beautés du monde, qui doit pouvoir refléter au plus haut point la civilisation. Bien que reprenant de nombreux éléments traditionnels de l’architecture italienne, leurs lignes essentielles les rapprochent de l’esthétique moderniste rationaliste. Les maisons ont été conçues pour former des unités de quartier et composer un paysage urbain harmonieux, moderne et coloré. Des jardins assurent la transition entre les immeubles et la rue. Si les variations en matière de volume et de typologie sont réduites, chaque immeuble conserve cependant sa propre originalité. Les balcons, les terrasses, les loggias et les baies vitrées constituent l’ornement minimaliste des façades et rappellent la conviction de l’architecte que les toits et les façades sont faits pour être habités comme le reste de la maison. Par Sophie Bouilhet-Dumas.
Premier immeuble Montecatini, Studio Ponti-Fornaroli-Soncini, Milan, largo Stati Uniti d’America, 1936-1938
Réalisation exemplaire du rationalisme milanais des années 1930 imaginée dans les moindres détails par Gio Ponti pour le groupe de chimie Montecatini, cet immeuble de bureaux constitue une véritable révolution dans le monde de l’architecture et du travail et contribue à l’avènement du design industriel en Italie. Commandé par le président du groupe, Giudo Donegani, et construit en un temps record (moins de deux ans), il témoigne aussi des mutations économiques et sociales profondes que connaît Milan. En effet, avec le développement du secteur tertiaire émerge la figure de l’employé de bureau dans une ville qui voit sa population doubler en moins de vingt ans. (…) Des locaux de services à disposition du personnel après le travail (bibliothèque, vestiaires, salon de coiffure, pharmacie, bar, épicerie, boutique de mode) se trouvent au sous-sol. Enfin, toujours dans l’idée de valoriser le travail, une paroi vitrée permet de voir les cuisiniers à l’œuvre dans la cantine.
Par Sophie Bouilhet-Dumas.
Tradition et modernité à l’université de Padoue
La première intervention de Gio Ponti au Bo a lieu à titre amical. (...) Ponti a conçu et réalisé une voie magistrale, la Scala del Sapere (l’escalier du Savoir), qui permet d’accéder aux salles qu’il a recréées, sans souffrir d’aucune intrusion de l’éblouissante clarté de la cour de Fagiuoli. La montée jusqu’à l’étage noble donne toute son ampleur au projet. Là encore, le traitement de l’architecture repose sur l’emploi de la couleur : non seulement en raison des fresques mais de l’escalier monumental tout entier, où les marbres précieux qui ornent les parois offrent une tonalité de base à partir de laquelle le cycle pictural se déploie dans une parfaite harmonie. Cette montée, au rythme des conquêtes de la connaissance, prépare en réalité aux couleurs méditerranéennes et douces du rectorat, qui fait le tour de la cour. (...) En réalité, l’architecte discute avec le recteur du moindre choix, l’accompagnant pour visiter les ateliers des artistes avec lesquels, souvent, il a partagé l’expérience de la Triennale milanaise. Pourtant, c’est surtout dans les salons d’honneur que l’on peut apprécier pleinement l’acuité de son regard, car il refuse de concevoir séparément contenu et contenant. Pour Ponti, l’architecture est design et vice versa : ainsi, dans la grande salle Basilica, le motif en losange qui caractérise le plafond est repris avec élégance sur les dossiers des banquettes et le rouge des colonnes, à double rétrécissement, magnifie les gigantesques murs peints de Pino Casarini.
Cet espace, que la peinture pourrait écraser ou annihiler, se fait structure-couleur : il imprègne le visiteur, qui pénètre de cette manière au cœur du récit héroïque déployé autour de lui et y participe. Ce parti d’envelopper le volume se retrouve aussi dans les espaces anciens où Ponti intervient : dans la salle de médecine, ses bancs reprennent les moulures des consoles qui soutiennent le plafond du XIVe siècle, un peu comme si celles-ci en reflétaient la quintessence esthétique sur le pourtour des murs. La modernité de Ponti est certes fonctionnelle, mais soucieuse aussi de s’insérer dans la trame compliquée des mémoires du passé ; son classicisme est indéniable, mais comme point d’équilibre parfait entre les nécessités pratiques et les aspirations de l’imaginaire. Une leçon qui ne s’oublie pas. Par Marta Nezzo.
Tour Pirelli, Studio Ponti-Fornaroli-Rosselli en collaboration avec Giuseppe Valtolina, Egidio Dell’Orto, Arturo Danusso et Pier Luigi Nervi, Milan, piazza Duca d’Aosta, 1956-1960
Symbole du dynamisme économique de Milan et de l’euphorie de l’après-guerre, cette tour est érigée pour Pirelli, société spécialisée dans les pneumatiques et les articles en caoutchouc, à l’emplacement des ateliers de production détruits pendant la guerre. Haute de 127 mètres et de 31 étages, située en plein coeur de Milan, face à la gare centrale, elle est au moment de son inauguration un des plus hauts édifices d’Europe. Sa construction est le fruit de la collaboration de Gio Ponti et de son studio avec l’ingénieur Arturo Danusso, puis dès 1954 avec Pier Luigi Nervi, tous deux grands spécialistes du béton précontraint, qui conseillent Ponti sur la forme et la structure. À la suite de l’expérience de l’immeuble Montecatini, Gio Ponti concrétise à travers ce projet sa théorie de la forma finita (forme achevée) en optant pour un volume n’admettant ni ajout ni retrait. (…) Par Sophie Bouilhet-Dumas.
Aménagement intérieur de l’hôtel Parco dei Principi, Studio Ponti-Fornaroli-Rosselli avec Emmanuel Ponzio, Rome, 1961-1964
Après avoir invité Gio Ponti à aménager le Royal Continental Hotel de Naples, son propriétaire, Roberto Fernandes, le sollicite à nouveau pour intervenir sur le bâti de l’hôtel Parco dei Principi à Sorrente (1960), puis sur celui de son pendant à Rome (1961-1964). Par ces commandes, l’architecte renoue avec ses recherches des années 1930 sur l’habitat méditerranéen et sur les hôtels. À l’instar du Danois Arne Jacobsen, qui conçut le Radisson Blu Royal Hotel de Copenhague quelques années auparavant, Gio Ponti y met en œuvre sa conception de l’hôtel comme œuvre d’art totale. (...)
Ponti opte pour une solution chromatique immersive en bleu et blanc, de manière à pouvoir inviter l’extérieur à l’intérieur. Il élabore, avec la complicité de Ceramica D’Agostino de Salerne, trente carreaux de 20 centimètres de côté ornés de motifs bleus et blancs qui, assemblés et orientés de différentes manières, permettent d’obtenir une centaine de sols différents, un nombre suffisant pour rendre chaque chambre unique.
Les plaques de céramique qui accueillent les visiteurs à l’entrée sont réalisées par Fausto Melotti et les galets de céramique par Ceramica Joo. Ces derniers évoquent les parois des grottes des jardins baroques ; cette métaphore est filée dans le parc de l’hôtel où Ponti imagine une piscine « comme un miroir d’eau pour nymphes des bois », d’où émerge un plongeoir sur un îlot au milieu du bassin. (...) Par Sophie Bouilhet-Dumas.
Projet pour une maison familiale, 1964
En 1964, Gio Ponti publie dans les pages de Domus un projet de maison familiale, un prototype baptisé Lo Scarabeo sotto una foglia (Le Scarabée sous une feuille) dont il offre aux lecteurs les plans détaillés à l’échelle 1/50. Cette petite maison ovale est entièrement revêtue de carreaux de céramique blancs et verts, à l’intérieur comme à l’extérieur, toiture comprise. Grâce à l’éclat des carreaux et au choix des coloris, son enveloppe doit absorber le paysage environnant et s’y fondre, à la manière de la carapace d’un coléoptère. Imaginé comme une feuille tombée au sol, son toit saillant protège les façades de la pluie et du soleil.
En 1966, le collectionneur d’art d’avant-garde Giobatta Meneguzzo fait construire sa version du Scarabée à Malo, dans la province de Vicence. Sur les conseils de Ponti, il fait appel à la designer Nanda Vigo pour l’aménagement de l’intérieur. Entièrement carrelé de blanc et célèbre pour son escalier en spirale recouvert de fourrure grise, il a abrité une collection importante d’art contemporain, avec des œuvres de Lucio Fontana, Agostino Bonalumi, Julio Le Parc et Raymond Hains. Un monochrome blanc monumental d’Enrico Castellani a été conçu spécifiquement pour orner les murs de l’entrée. Peu après son inauguration, cette maison devient un lieu de ralliement pour les artistes, critiques d’art et galeristes de l’époque. Par Sophie Bouilhet-Dumas.