Parlez-nous de votre parcours
Enfant, je rêvais de devenir artiste. Je voulais faire les Beaux-Arts et être peintre. J’ai passé le concours des arts appliqués à Paris. Mais j’ai du prendre une autre voie pour gagner ma vie. Pour des raisons familiales, je me suis orienté dans le domaine du jouet.
Dès l’obtention de mon diplôme de l’Ecole supérieure des arts appliqués Duperré à Paris en juin 1976, j’ai commencé à vendre des jouets sur la route avec une camionnette R4 bleue achetée d’occasion. Quand j’arrivais chez les clients, on me prenait pour le préposé au gaz !
De 1975 à 1985, j’ai découvert le monde du jouet sur la route et en voyageant. J’ai retrouvé des jouets de mon enfance et ceux que je n’avais pas eus. J’ai ainsi commencé une collection de jouets en bois.
Je me suis aperçu qu’en France, dans les années 1980, même si le discours était « le jouet de bois, c’est terminé », « les petits magasins, c’est fini, maintenant, c’est la grande distribution ou les supermarchés », il y avait de réelles opportunités sur le marché international, notamment au Japon où le jouet en bois est encore très présent. Je savais aussi que cet équilibre restait fragile.
Quelle était l’histoire de Vilac quand vous avez pris la direction de cette société et qu’avez-vous voulu faire ?
L’entreprise d’avant-guerre était un petit atelier de sifflets, quilles, bilboquets, crécelles, cordes à sauter. Narcisse Villet était un artisan en tournerie et travaillait les différents types de bois de la région (aulne, buis, hêtre, charme). Puis en 1951, ses fils Paul et Raymond reprennent l’atelier et le baptise Les Etablisements Villet Frères. Ce sont eux qui commencent à produire des jouets en bois laqué, inventifs, colorés et solides, à côté des jouets traditionnels.
Quand j’ai pris la direction de Vilac en 1985, j’ai voulu implanter la marque dans les endroits les plus prestigieux du monde pour avoir une image de marque : vendre au MoMA de New York, San Franscisco… Là où existait un marché de niche, de façon à donner à Vilac une image haut de gamme, de qualité et inattendue.
Aujourd’hui, il faut créer des tendances. Il faut renouveler les gammes très vite de façon à renouveler le marché. Il faut aussi exporter, c’est ce qui a permis à Vilac de tenir.
Comment a évolué Vilac depuis 100 ans ?
Vilac, au cours de ces années, a surtout connu des changements de mentalité, avec l’explosion de l’export, et le fonctionnement de l’entreprise. Depuis vingt-cinq ans il y a des machines plus sûres, plus modernes et l’arrivée des commandes numériques a révolutionné la production.
Mais en ce qui concerne le laquage, il s’agit plutôt d’une amélioration que d’un changement, c’est toujours très délicat. Nous avons également conservé la tradition jurassienne de l’assemblage à domicile. Une dizaine de familles travaille pour nous.
Leurs ateliers sont équipés comme des ateliers d’usine, avec des machines modernes et la même sécurité.
Fabriquer des jouets en bois reste de l’artisanat industriel. J’aime bien cette association de l’artisanat et de manufacture.
Aujourd’hui, Vilac reste un des rares fabricants de jouets du Jura. Comment expliquez-vous sa renommée nationale et internationale ?
Si Vilac est toujours là, cela tient du miracle. Car les entreprises jurassiennes sont dans les années 1980 peu nombreuses. Je n’ai pas eu de formation de chef d’entreprise mais j’ai cru en ce que je faisais. Mes grands-parents qui étaient ouvriers m’ont toujours dit qu’il fallait que je me préoccupe de l’avenir des gens avec qui je travaillais. Je me suis appuyé sur mon équipe. Je n’étais jamais tout seul.
Avez-vous des souvenirs de vos jouets en bois ?
Quand j’étais enfant, mes grands-parents, qui avaient peu d’argent, m’avaient offert un camion en bois. Je l’adorais et il suffisait à me rendre heureux. Cependant, le plus beau jouet de mon enfance reste le jeu de cubes Castelbloc. Il m’a appris à comprendre les vides, les pleins, les équilibres. Le jouet en bois est essentiel pour le développement de l’enfant.
Comment naissent tous ces jouets ?
Les jouets sont un éternel recommencement, ce sont des principes simples.
Un jouet en bois ne se vend pas ou ne s’achète pas parce qu’il est en bois. Il s’achète parce qu’il est beau, coloré, qu’il a du charme, qu’il est sensuel, parce qu’on a envie de l’avoir. Transformer la matière en un objet que l’on a envie de posséder ou avec lequel on a envie de jouer est un art. C’est notre travail.