Toulouse-Lautrec réalise sa première affiche en 1891 pour le Moulin Rouge. Cette création magistrale le propulse d’emblée au premier rang et contribue à changer le regard sur l’art de l’affiche, considéré, malgré les apports de Jules Chéret et de nombreux artistes, comme un art mineur. Ses affiches s’inscrivent dans le grand mouvement artistique qui pose le principe de l’unité de l’art, où les distinctions entre les arts majeurs et les arts dits mineurs s’estompent.
Les nouvelles revues artistiques et littéraires qui fleurissent dans les vingt dernières années du siècle ouvrent leurs colonnes aux critiques passionnés par l’affiche. Ils voient dans ce nouveau domaine de l’art, le symbole de la modernité du siècle, l’alliance de l’art, de l’industrie et du commerce. La passion des collectionneurs, les expositions, les publications décuplent cet engouement qui devient sous la plume du critique Octave Uzanne « l’affichomanie ».
Parmi ces revues, La Plume, revue littéraire et artistique fondée par Léon Deschamps (1863-1899) occupe une place majeure. Le premier numéro paraît le 15 avril 1889, son ambition est d’encourager les jeunes talents littéraires et artistiques, toutes les formes d’art, sans distinction d’école par un contenu éditorial d’une grande diversité. La revue éclectique d’avant-garde fait notamment la promotion de l’affiche et de ses artistes lui consacrant de longues critiques, des numéros spéciaux. Pour amplifier l’écho de la revue qui connaît un grand succès et mieux soutenir les artistes, Léon Deschamps multiplie les activités annexes, organisant des conférences, des concours et des expositions. C’est ainsi qu’il imagine « Le Salon des Cent » dans le hall de la revue où il réunit cent artistes, sans jury ni médaille sur le modèle du Salon des Indépendants. La première exposition a lieu en 1894. Toujours dans le souci de diversifier les moyens de diffusion de son action, Deschamps commande des affiches pour faire la promotion des expositions. Il s’adresse à Pierre Bonnard, Alphonse Mucha, Eugène Grasset, Georges de Feure, Paul Berthon, Adolphe Willette, Henri-Gabriel Ibels et Henri de Toulouse-Lautrec en 1896, entre autres. Parallèlement, elles sont vendues aux collectionneurs par le biais de la revue alimentant ainsi le commerce de l’affiche illustrée. Dès lors, ces quarante-trois affiches constituent les incontournables de toute collection d’affiches ; aujourd’hui elles restent des must par leurs signatures prestigieuses.
Si comme le regrette déjà Thadée Natanson dans la Revue Blanche à la fin du XIXe siècle « Personne ne verra plus le prodige qu’aura fait éclater sur les murs de Paris, à la fin du siècle dernier, l’apparition des affiches de Lautrec. Ce n’est rien, d’en considérer des exemplaires sauvés ou des reproductions. Voir d’en tapisser des murs chez soi. Il faut en avoir vu vivre. Les affiches ne sont pas faites pour jaunir dans les herbiers, dans les portefeuilles des bibliothèques. Il leur faut la doublure et le vernis de la colle et les accrocs leur vont » c’est malgré tout, grâce à la passion des collectionneurs « cueilleurs et recueilleurs » des feuilles de ce magnifique herbier que nous pouvons aujourd’hui les faire revivre.
Ils ont rassemblé, outre les affiches, des exemplaires rares, avec des variantes, avant la lettre (Babylone d’Allemagne, 1894), avec des remarques, ces précieux petits ajouts en marge que l’artiste destine au tirage réservé à quelques amis (le joueur de banjo de May Milton, 1895), des états d’impression qui nous permettent de suivre le processus d’impression lithographique (La Vache enragée, 1896).
La production de Toulouse-Lautrec est très limitée en quantité (31) et dans le temps (1891-1900), comparée à celle de Jules Chéret par exemple qui dessine plus de mille affiches en trente ans. Les Arts Décoratifs en conservent 26, sans compter les variantes.
Contrairement aux autres affichistes, il travaille dans des conditions « artistiquement plus confortables », choisissant ses commandes, sans la pression économique de l’annonceur. Il travaille pour ses amis, Aristide Bruant, Jeanne Avril, Caudieux, offre des affiches à de jeunes artistes inconnues May Milton ou May Belfort. Ce qui ne l’empêche pas d’essuyer des refus, comme avec Yvette Guilbert qui n’accepte pas son projet et s’adresse à Steinlen, ou d’être interdit d’affichage aux portes des café-concert comme ce sera le cas aux Ambassadeurs où il faudra l’intervention de Bruant pour replacer l’affiche retirée par le directeur.
En 2001, pour marquer le centenaire de la mort de l’artiste, le club des partenaires du Musée Toulouse-Lautrec d’Albi, à l’initiative de l’imprimerie Escourbiac à Toulouse, sur une idée du graphiste hollandais Anthon Beeke, commande en hommage à l’héritage de Lautrec, une affiche à cent graphistes les plus représentatifs dans le monde, recréant ainsi un « Nouveau Salon des Cent ».
Philippe Apeloig, Michal Batory, André François en France, Paul Davis, Milton Glaser aux Etats-Unis, Waldemar Swierzy, Stasys Eidrigevicius en Pologne, Shigeo Fukuda, Ikko Makoto Saito au Japon sont parmi les cent qui répondront à l’appel démontrant la vitalité de l’affiche. Variations graphiques infinies, les créations contemporaines se concentrent sur le personnage de Toulouse-Lautrec, portrait ou silhouette, son goût du spectacle et des femmes, l’humour, les références à ses œuvres.
L’imprimerie Escourbiac sponsorise l’impression des cent affiches sur un papier offert par le fabricant papetier allemand Job Scheufelen à 250 exemplaires, cette série a pu être acquise en 2002 grâce à au mécénat de Triodis-Campari.
Ces affiches ont été exposées dans de nombreuses institutions culturelles à travers le monde.