(…) Ce pays de la révolution numérique a connu en à peine trente ans une véritable success story et a su s’adapter aux exigences de la mondialisation. L’exposition se propose d’étudier ce que l’on pourrait appeler un « design d’auteur » : un mobilier manufacturé produit en petite série, un art appliqué qui s’étend à la céramique mais aussi au domaine du bijou. Art et pratiques artisanales en Corée ne connaissent pas les mêmes oppositions dialectiques qu’en France. Dans toutes les catégories artistiques, la modernité ne s’oppose pas à la tradition, mais l’adapte en la réinterprétant. Dans la culture coréenne, comme dans beaucoup de pays asiatiques, tradition et modernité se côtoient ; les jeunes artistes coréens reconnaissent aujourd’hui la richesse et la singularité de leur patrimoine tout en avançant pas à pas vers un futur innovant.
Une esthétique ancrée dans la tradition
Dans le domaine du mobilier, les matériaux naturels comme le bois, la laque, le papier et la pierre sont utilisés en étant associés à de nouvelles formes.
Song Seung-yong (né en 1978), (…) est l’un des créateurs les plus prolifiques de sa génération, sa réflexion s’orientant sur la communication entre l’objet et l’homme. Il aime à marier des matériaux traditionnels à des formes contemporaines, visible dans la chaise Object-O : en bois de bouleau, coiffée d’une énorme boule en papier coréen (hanji), elle est conçue comme une cachette secrète et cherche à reproduire les sensations liées à l’enfance. Elle fait écho à un autre projet, la cabane hybride Salanbang : à la fois lieu de repos et de réflexion, celle-ci évoque la maison traditionnelle coréenne où extérieur et intérieur communiquent. (…)
Dans la même lignée, le designer Lee Kwang-ho (né en 1981) propose une réinterprétation du tissage, travail simple et répétitif qu’il nomme Obsession. Il part de matériaux de récupération humbles – canapés, sièges, mais aussi tabourets ou luminaires –, qu’il tresse avec des câbles ou des tuyaux d’arrosage ou, plus luxueusement, avec un épais fil de soie ou de cuir, recherches qu’il a menées pour l’industrie Nylon Kolon et pour une récente commande de la maison Fendi. (…)
Il vient de dessiner une série de petits sièges en bronze revêtus d’une laque ottchil aux couleurs vives, New Armor. Lee Kwang-ho s’est inspiré de fouilles archéologiques ayant révélé des armures de guerre en papier (hanji) de l’époque Joseon (1392-1910), en bon état de conservation car recouvertes de plusieurs couches de laque. Lorsque l’artiste a enduit ses petits sièges d’appoint de laque, le métal a réagi, créant des filets d’or répétés de manière aléatoire qu’il a conservés comme motif décoratif. (…)
D’une autre génération, Choi Byung-hoon (né en 1952), diplômé de l’école des beaux-arts de la Hongik University, est considéré comme le père du design contemporain coréen. Il a créé en 1977 la Société des arts décoratifs et appliqués modernes avec la volonté de favoriser la rénovation des arts décoratifs coréens, principalement fondés sur la fonction. (…) C’est en sculpteur qu’il aborde le mobilier. Ses formes organiques très épurées font l’objet de petites maquettes inspirées par les dolmens des sites de Gochang, Hwasun et Ganghwa, situés au sud de la péninsule. Il a recours à des matériaux simples, comme le bois, la céramique, le basalte et la pierre, ou plus élaborés, comme le métal et la laque. Son approche se réfère à la philosophie et à la religion taoïste en quête d’une harmonie entre l’homme et la nature (…) Choi Byun-hoon a formé de nombreux jeunes designers, tel Bae Se-hwa (né en 1980), qui cherche avec la série Steam une harmonie entre la forme et la fonction. Ce dernier dessine un mobilier en bois courbé façonné à la vapeur, généralement du noyer. La nature et le paysage montagneux environnant Séoul sont la principale source de ses créations tout en courbes avec l’idée que l’homme doit vivre en parfaite harmonie avec elle. (…)
La référence au mobilier coréen des XVIIe et XVIIIe siècles de la période Joseon est au centre des créations de Bahk Jong-sun (né en 1969). Il privilégie des pratiques artisanales liées au travail du bois : le noyer, le cerisier, mais aussi l’érable sont utilisés pour son mobilier minimaliste, alternant des zones de vides et de pleins. (…)
Un design appliqué à la porcelaine qui s’émancipe
La tradition céramique coréenne est vieille de plusieurs siècles. La Seoul National University, l’un des rares établissements publics, est la plus prestigieuse dans ce domaine. (…) Elle a formé de nombreux céramistes réputés, plusieurs d’entre eux y sont devenus professeurs consacrant une grande partie de leur temps à l’enseignement. Le cursus de la section céramique, (…) est particulièrement performant dans les techniques du design appliqué à la porcelaine, associé à une recherche pointue en émaillage. La galerie LVS, installée à Séoul, ne s’est pas trompée en signant des contrats d’exclusivité avec les meilleurs étudiants. Nombre d’entre eux partagent le même atelier, voire le même four.
La céramiste Lee In-hwa réalise des vases cylindriques aux dégradés subtils dans des tons émaillés jaunes ou orange, tandis que Kim Deok-ho oriente ses recherches sur la technique des terres mêlées. Autre artiste phare, Lee Min-soo, avec la série +,- Trace, produit des contenants minimalistes qui rendent compte d’une technique parfaitement maîtrisée. (…) On observe la même perfection chez la jeune artiste Park Seo-yeon (née en 1982), dans ses décors de lignes courbées polychromes en léger relief qui célèbrent la beauté de la matière, la pureté de la forme et la discrétion du décor. La pratique du céladon est une technique ancienne connue et développée sous la dynastie Koryo (918-1392), que réinterprète Lee Ka-jin (née en 1985) avec sa série Water Drop : elle applique une couche d’émail très épaisse et cuit la poterie à haute température pour faire ressortir les teintes bleutées. (…)
Le bijou contemporain, une scène active
(…) La majorité de ces bijoutiers sont diplômés de la Kookmin University, école très réputée dans le domaine des arts appliqués, notamment pour son département métal et bijoux. (…)
Artiste confirmée, Kim Seung-hee (née en 1947) associe à l’argent toutes sortes de pierres comme le jade, l’onyx ou l’ambre, assemblées en structures géométriques avec l’idée d’évoquer des paysages. Après avoir étudié trois ans à Stockholm, Woo Jin-soon (née en 1948) a été influencée par le bijou scandinave. Elle privilégie l’argent qu’elle associe à des formes géométriques qui tendent aujourd’hui à devenir plus figuratives. À ces parcours déjà confirmés se juxtaposent des propositions de plus jeunes talents, comme Chung Jee-min (née en 1983), qui dessine des pendentifs « vivants » car mobiles, symbolisant la croissance et la mort de la plante.
Certains jeunes créateurs ont recours à des matériaux naturels comme le travail du hanji (papier) ou du ramie (plante textile), visible chez Kang Mi-na, qui revisite la feuille de ramie dans des couleurs vives et un esprit naturaliste. Chez Kim Hee-joo (née en 1983) le cuir est privilégié et donne lieu à un univers poétique inspiré par le monde végétal et animal (…). L’artiste Yoon Sang-hee redonne un nouveau souffle au travail de la laque (ottchil) avec un torque aux formes audacieuses.
Le silicone et les matériaux synthétiques sont prétextes à de nouvelles expérimentations formelles. Kwon Seul-li (née en 1983) explore par un jeu de transparence et de formes organiques le côté éphémère de la nature tandis que Cho Sung-ho (né en 1975) assemble des matériaux hétéroclites dans des compositions narratives. Plus expérimentales sont les recherches de Kim Kye-ok (née en 1977), qui questionnent l’identité et la contrainte du bijou par un jeu d’empreintes sur la peau, ou celles de Yoon Dok-no (né en 1970), qui conçoit de petites sculptures cinétiques portables dont le mécanisme crée un lien intime avec le corps.
(…) Si la jeune génération tente de trouver un juste équilibre en intégrant à son héritage culturel un nouveau répertoire de formes et de décors, l’histoire encore récente du design coréen recèle quelques faiblesses : éditeurs, lieux de diffusion et collectionneurs restent rares pour ces créateurs indépendants.