La variété des trois propositions a exigé de Louis Vuitton d’ingénieuses réponses industrielles afin de respecter d’une part les orientations esthétiques de chaque artiste et de répondre d’autre part aux impératifs de la maison en terme de qualité de produits, c’est-à-dire pour composer des revêtements aussi beaux que résistants. Or la toile Monogram, qui sert le plus souvent de support aux décors ainsi mis au point, est par nature très difficile à imprimer en sérigraphie (elle est habituellement imprimée en héliogravure). À la différence du papier et des étoffes, elle n’absorbe pas les dépôts de couleurs, et l’on doit constamment veiller à l’épaisseur, aux séquences et aux temps de séchage de ces derniers. Cette difficulté de départ est en outre amplifiée par l’originalité des objectifs successifs faisant de chaque projet un défi technique.
Au-delà de l’intérêt pour les techniques et méthodes suscitées, ces collaborations se distinguent par l’abord qu’elles ont chacune de la lecture du Monogram par un niveau graphique spécifique. Ce niveau peut être assimilé à une couche dans l’empilement des couleurs du décor. L’intervention de Sprouse porte essentiellement sur la surface. Il superpose ses graffitis monochromes au dessin de la toile Monogram, faisant de celle-ci le contre-fond de motifs placés en cartouches. Ce principe de composition décorative est courant dans l’impression sur étoffe au XIXe siècle. Le déploiement des graffitis sur toutes les faces des sacs évoque aussi une autre expression décorative traditionnelle : les marquages de personnalisation, peints à la main sur tous les côtés des bagages finis, tels qu’ils sont encore pratiqués dans le magasin Louis Vuitton. Murakami feuillette la profondeur ultra-mince du motif. Il propose des motifs d’une polychromie complexe plaqués en surface (toile Monogram Cherry Blossom et sujets placés comme LV Hands). Il explore les positions relatives et très précises des motifs alternés avec les monogrammes et rosaces (Eye Love Monogram ou petites cerises étonnées), et glisse sous la toile Monogram un motif de contre-fond (toile Monogramouflage). Par le jeu des tonalités chaudes ou froides, saturées, claires, pures, en mélanges, etc, il suggère surtout dans la toile Monogram Multicolore de multiples plans de valeurs flottant sur fond noir ou blanc. La vision de Richard Prince réunit toutes ces strates possibles en une seule matière riche en transparence et en surcharges liées, dans le cas de la toile Monogram Pulp notamment, à l’interpénétration des graphismes en plein, en réserve ou en « out-line » dans une composition ouverte.
De 2001 à 2008, l’enchaînement de ces collaborations entre Marc Jacobs et Stephen Sprouse, Takashi Murakami puis Richard Prince est centré sur les ressources de la sérigraphie. Cette technique résume un héritage artistique et permet une relecture et une réécriture de la toile Monogram. Ces collaborations ont ainsi exprimé, dans un langage contemporain, les valeurs que ce revêtement recouvre. Or, ces valeurs ne sont autres que celles de la malle Louis Vuitton, aujourd’hui illustrées par des sacs de mode : impact graphique, concept industriel, dimension esthétique, échappée romanesque.