Il a semblé important de mettre à l’honneur aujourd’hui au MAD une cinquantaine de talents, émergents ou confirmés, afin de mieux faire connaître les expérimentations, tant au niveau des matières que des formes, menées par ces bijoutiers et orfèvres-plasticiens. Ceux-ci cherchent à inclure le domaine du bijou dans le champ de l’art contemporain, comme une pratique conceptuelle à part entière. Cette volonté les amène à rompre avec les conventions du bijou classique. Formés dans des écoles d’art, ils nourrissent une réflexion personnelle et critique, où l’observation des mutations dans les codes sociaux, les questions de valeur, de statut social, de destination, de genre, d’intimité, va prendre le pas sur les impératifs purement commerciaux ou la simple notion d’accessoire.
Les bijoutiers contemporains sont ceux que le public connaît le moins bien, ces derniers produisant essentiellement des pièces uniques, réalisées entièrement à la main, exposées seulement dans quelques galeries spécialisées, dans des musées d’arts appliqués ou d’art contemporain, en l’absence d’un appareil critique adapté et d’une couverture médiatique efficace. Ces créateurs consacrent toute leur vie artistique au domaine du bijou… Ainsi, leur production se démarque de celle qu’on englobe habituellement sous la dénomination « bijoux d’artistes », ces termes concernant des sculpteurs ou peintres souvent de grand renom, ayant dessiné ponctuellement des bijoux. Il en est de même pour les bijoux de designer qui jamais ne creusent aussi intimement et sur le long terme un vocabulaire personnel autour des multiples références historiques et symboliques du bijou.
« Dans la ligne de mire » consacre également une place à des créateurs liés au domaine du bijou de couture et de mode, activité fondamentale dans l’histoire des industries du luxe en France, qui constitue un creuset de créativité et d’innovation sans équivalent hors de France. Cet apport original de la création hexagonale dans le domaine élargi de la parure (accessoires, broderies…) est représenté essentiellement par des ateliers semi-industriels de haute-technicité, par des artisans travaillant seuls sachant transmettre avec virtuosité des savoir-faire traditionnels rares, au service d’expérimentations incessantes.
Ces deux domaines, l’un délibérément conceptuel et l’autre conçu comme un art appliqué, sont habituellement assez distanciés, leurs acteurs ne se croisant que rarement dans les mêmes lieux d’expositions. « Dans la ligne de mire » est l’occasion de montrer que ces scènes parallèles convergent dans un même imaginaire de la métamorphose complète du corps, liées par un idéal de réinvention perpétuelle des approches techniques, mues par des défis esthétiques visant pareillement à émerveiller, intriguer, voire choquer… Dans tous les cas, c’est la diversité des matériaux pauvres ou riches, la signification symbolique et le parti pris spectaculaire des œuvres qui priment alors.
Enfin, trois maisons de haute bijouterie ou de haute joaillerie ont été sollicitées pour la qualité d’innovation et de renouvellement des codes traditionnels de la joaillerie qu’elles ont su engager. La maison Boucheron, pour fêter ses 150 ans d’existence, a rencontré l’anglais Shaun Leane pour la création d’un collier exceptionnel. La maison Hermès développe quant à elle le concept de haute-bijouterie, imaginé par le designer Pierre Hardy. Enfin, chez Chanel Joaillerie, c’est l’épure esthétique d’une « joaillerie blanche » (primauté du diamant) qui prévaut, influencée par la radicalité de la grande Coco Chanel.
« Dans la ligne de mire » a été conçue comme un parcours de créations contemporaines, disséminées dans l’ensemble des salles du musée, placées dans les vitrines au sein des objets, du mobilier et des period-rooms qui constituent les différents départements chronologiques, du Moyen Age à nos jours. Les bijoux entrent ainsi en résonance avec le vaste répertoire ornemental des arts décoratifs : ils seront regardés avec plus d’acuité que s’ils avaient été présentés dans une salle vide uniquement réservée à leur intention. Quelques projets, hors-norme au regard de leur taille ou de leurs matériaux non précieux, sont présentés hors vitrines. Ces installations surprennent le visiteur par un rapport d’échelle et d’espace inattendu dans ce domaine du bijou. Certaines salles sont réinvesties par des artistes associant habituellement le bijou à un scénario (image ou texte) avec des propositions spécifiques mêlant bijoux, vidéos ou photographies.
Pour compléter le parcours, un projet intitulé « Bijoux de parade / Bijoux de combat », déployé à la manière d’un tableau vivant, prend place dans la galerie d’Actualité du département contemporain. On y retrouve certains artistes déjà présents dans d’autres endroits du parcours, avec des créations inspirées par l’armure, l’uniforme militaire ou le camouflage, imprégnées d’une certaine violence liée à l’affirmation d’un pouvoir.
Enfin, plusieurs interventions du designer Arik Levy, inspiré de son précédent projet Crystal Palace pour Swarovski, jalonnent également ce parcours du bijou contemporain au sein du musée : ce sont de grandes sculptures-cages évoquant la taille du diamant et des pierres.
Liste des créateurs invités dans le projet "Dans la ligne de mire"
Créateurs indépendants
Marianne Anselin, [Brune Boyer, Christophe Burger, Monika Brugger, Faust Cardinali, Taher Chemirik, Cathy Chotard, Cathy Coëz, Florence Croisier, Marion Delarue, Eric de Gésincourt, Marie-Aimée Grimaldi, Joanne Grimonprez, Sophie Hanagarth, Elie Hirsch Buchwald, Marie Masson, Evelie Mouila, Gilles Jonemann, Emmanuel Lacoste, Catherine Le Gal, Florence Lehmann, Patricia Lemaire, Benjamin Lignel, Géraldine Luttenbächer, Christophe Marguier, Aude Medori, Astrid Meyer, Julia Moroge, Jean-François Pereña, Galatée Pestre, Agathe Saint-Girons, Annie Sibert, Maud Traon, Patrick Veillet, Laurence Verdier, Claire Wolfstirn, Nelly Zagury
Installations
Frédéric Braham, Gaëlle Chotard, Arik Levy, Alexandre Keller, Aoi Kotsuhiroï, David Roux-Fouillet, Elene Usdin
Bijoux de couture et métiers de la parure
Maison Chanel, Maison Lanvin, Erik Halley, Annabelle d’Huart, Aurélie Lanoiselée, Camille Lescure, Mouton Collet, Aude Tahon, Natalia Brilli
Haute-bijouterie et haute-joaillerie
Maison Hermès (par Pierre Hardy), Maison Boucheron (par Shawn Leane), Chanel joaillerie