La soie, le velours, les Grands Halls
éclatants de lumière, les cliquetis
des orfèvreries et des fleurs sous
les lambris dorés, les habits rouges
et le déploiement des grandes livrées
des fêtes de la Vénétie ; voilà son
domaine et ses éléments. (Catalogue
d’aquarelles et dessins par Eugène
Lami…, vente après décès, Hôtel Drouot,
jeudi 26 février 1891, maître Sarrus,
introduction de Charles Yriarte, p. 8)
Ses aquarelles, véritables portraits
d’intérieurs, traduisent ses recherches
pour mettre en scène cet extrême
raffinement que l’on nomme aujourd’hui
le « grand goût Rothschild ». Au sein
d’un historicisme savant conjuguant
la Renaissance, le Grand Siècle et le style
Louis XV, Lami déploie une chatoyante
polychromie des marbres, des dorures,
des peintures murales et des textiles,
pour théâtraliser des espaces devenus
écrins des collections précieuses
de ses commanditaires, tout en ayant
souci, au sein de ce luxe inégalé,
du confort moderne.
Éclipsant les architectes de ces palais,
Lami inaugure dès les années 1840
le métier de décorateur d’intérieur
dont la figure devient essentielle
au siècle suivant.
Après une enfance parisienne marquée
par les revues militaires de l’Empire, Lami
apprend la peinture à l’École des Beaux-
Arts, dans l’atelier d’Horace Vernet puis
du baron Gros où il rencontre l’Anglais
Richard Parkes Bonington qui lui enseigne
l’aquarelle. Accueilli à la cour de Charles X
par la duchesse de Berry, il est ébloui par
l’esthétique néo-Renaissance de ces bals
qu’il traduit en des œuvres graphiques
colorées dès ces années 1820.
Les séjours qu’il réalise en Angleterre
à cette période le sensibilisent
au décor intérieur, fruit de ses visites
dans les demeures aristocratiques, les
country houses. Romantique et libéral,
il se rapproche de la famille d’Orléans
et devient à partir de 1832 le peintre
officiel du roi Louis-Philippe mais aussi
le professeur de dessin de ses enfants.
Reconnu pour ses élégantes scènes
de genre et ses peintures de bataille,
Lami s’affirme sous la monarchie de Juillet,
par ses dessins et ses lithographies,
comme le chroniqueur attitré des soirées
mondaines et des célébrations officielles.
« Poète du dandysme officiel » selon les
mots de Baudelaire au salon de 1846,
il y déploie son goût pour les décors
et les costumes.
En 1844, il réalise les projets pour
l’aménagement des appartements
des fils de Louis-Philippe, le duc
et de la duchesse de Nemours aux
Tuileries, puis de son frère le duc
d’Aumale à Chantilly. Lami pose dès
lors les principes de décoration qu’il
développe à peine dix ans plus tard pour
les Rothschild : à la fois décorateur,
scénographe et agent artistique doté
d’une savante culture d’antiquaire,
il mêle meubles anciens et créations
contemporaines inspirées des styles
du passé déployés au sein d’une
profusion de textiles empruntant leurs
chaudes couleurs et leurs motifs au siècle
de Louis XIV. En 1852, de retour de son
exil en Angleterre où il avait suivi les
Orléans, Lami est sollicité par le banquier
James de Rothschild qui cherche
à affirmer sa puissante réussite financière
et sociale. La rencontre de ce mécène
collectionneur lui permet de tirer son
talent vers son apogée et de réaliser des
œuvres d’art total dont témoignent les
aquarelles du musée des Arts décoratifs.
Sur ces feuilles, des recherches
rapidement croquées côtoient des mises
au net à l’aquarelle destinées à séduire
James de Rothschild et à lui proposer
des choix pour l’aménagement des
décors de ses châteaux. Le premier est
Boulogne-sur-Seine, résidence d’été
de la famille que Lami décore autour
de 1855, suivi de Ferrières, en Seine-et-
Marne, grand œuvre de Lami au début des
années 1860. Décorateur favori de James
de Rothschild, il travaille sa vie durant
pour la famille.
Le musée des Arts décoratifs conserve
près de quarante aquarelles de Lami dont
la majorité a été acquise en 1890, juste
avant le décès de l’artiste. Des dons
de grands collectionneurs comme
Robert de Rothschild ou David David-
Weill, complétés par quelques achats
menés au XXe siècle ou encore l’an passé
avec la Réunion entre les Rothschild
et les Pereire, font du musée un fonds
de référence pour les décors composés
par Eugène Lami.
Grâce au mécénat de la dessinatrice
contemporaine Christelle Téa qui, à l’instar
de Lami, aime à traduire sur le papier
l’atmosphère qui se dégage d’un lieu
en captant les décors et les émotions sur
le vif, quelques feuilles de cet ensemble
viennent d’être restaurées.