Le thème choisi est celui du rapport à l’intime et de ses transformations
au cours des siècles. Chambre, lits, fauteuils et canapés, paravents,
coiffeuses, bourdaloues, chaises percées, baignoires, sex-toys, objets
connectés et applications peuplent cette exposition qui explore divers
thèmes liés à l’intimité : le sommeil, l’érotisme, la sexualité, la beauté,
la toilette, la façon d’être ensemble, la promiscuité ou le désir d’isolement.
À travers douze thématiques, l’exposition s’ouvre sur
un gigantesque trou de serrure. Dans une
ambiance intimiste, cinq thématiques
se déploient dans la galerie côté jardin
autour du thème de la femme et l’intime,
la chambre, les lieux de commodités,
la toilette et la beauté, jusqu’au parfum.
Les lieux de commodité
Des objets du XVIIIe siècle comme
le bourdaloue, pot pour uriner en public
utilisé par les femmes, chaise percée
ou bidets, sont mis en regard d’urinoirs
et de de WC récents, comme le dernier
modèle de Toto. L’invention moderne
de l’hygiène et de l’intimité a modifié
les lieux d’aisance qui deviennent l’objet
d’interdits au XIXe siècle, dont les artistes
comme Judy Chicago ou Sarah Lucas
se jouent au XXe siècle.
Le femme et l’intime
Au XIXe siècle avec l’émergence d’une
classe bourgeoise, la vie professionnelle
et familiale se séparent : la femme
est alors maîtresse du domestique
et de l’intime. Les peintres,
essentiellement masculins, tel Edouard
Vuillard, ouvrant le parcours,
les représentent souvent dans leur
intérieur. Ce n’est que progressivement,
grâce aux révolutions féministes, que
la « femme mystifiée » dont témoigne
le livre de Betty Friedan, se dissocie
de l’espace clos.
Une chambre à soi
Le mot « chambre à coucher » apparaît
seulement au xviiie siècle. Une grande
bibliothèque d’ouvrages liés à la chambre,
de Marcel Proust à Michelle Perrot, est
présentée. De Ramon Casas à Martine
Locatelli, émergent de nouvelles
représentations, de la sieste à la chambre
d’adolescent. Le lit devient un lieu de vie
pour Un homme qui dort de Georges
Pérec, de travail ou de création,
pour l’écrivaine Colette comme pour
l’artiste Ben. De nos jours, chacun aspire
à avoir « un lit à soi ».
Au bain
L’eau a longtemps été associée aux
miasmes, avant que n’apparaissent les
recherches modernes sur l’hygiène.
La salle confronte d’anciens brocs
et tables de toilette, le tub en métal
du xixe siècle, représenté par Edgar Degas
ou Alfred Stevens, avec la baignoire
en céramique, lorsqu’apparaît la salle
de bain, qui se généralise dans les années
1950. Le luxe d’hier est devenu la banalité
d’aujourd’hui.
Beautés intimes et parfums
La construction de l’apparence se prépare
le plus souvent à l’écart des regards
extérieurs. Certains objets qui y sont
associés n’ont cessé de changer,
voire de disparaître selon les modes,
révélateurs de tournants sociologiques.
Poudriers, miroirs et rouges à lèvres
dénotent une uniformité de l’apparence
féminine jusqu’aux années 1960.
La période récente ouvre à plus
de diversité, d’inclusivité, et de fluidité
des genres. Le parfum se dévoile soit
dans une très grande proximité physique,
soit à travers un sillage qui se partage plus
volontiers. Ces deux typologies signifient
donc beaucoup du rapport à l’autre que
l’on souhaite instaurer, du sentir bon
à l’appel à la volupté. De l’eau de Cologne
au parfum Opium d’Yves Saint Laurent
en passant par Tabac blond de Caron,
le parfum, comme son contenant,
nous révèle.
Promiscuité et isolement
L’exposition se poursuit dans la nef avec
une scénographie spectaculaire centrée
sur vingt-cinq chefs-d’œuvre du design
du xxe siècle autour du thème du nid
et de l’intimité partagée. Le design des
années 1950 à aujourd’hui, à travers
des sièges, canapés ou lits, illustre une
dialectique constante entre un désir
d’isolement et une promiscuité choisie.
Des pièces comme la Womb Chair
d’Eero Saarinen témoignent du repli
protecteur des années 1950-1960,
tandis que des créations de Superstudio,
Archizoom ou Memphis reflètent le désir
de rassemblement typique des années
1960 et 1970.
Le parcours continue au fond de la nef
et dans les galeries de la rue de Rivoli,
abordant six thématiques qui explorent
les changements les plus contemporains,
de la sexualité aux réseaux sociaux,
en passant par la création de contenus
et les techniques de surveillance.
Il interroge également la question
de l’intimité en temps de précarité
et s’achève sur une salle consacrée
au plus précieux de l’intime, cette
conversation avec soi qu’offre le journal
intime. Enfin, une œuvre de Thomas
Hirschhorn, citant la philosophe Simone
Weil, invite à réfléchir sur les possibilités
des réseaux sociaux et à envisager
un nouvel humanisme.
Intimité et sexualités
Du Verrou de Fragonard aux livres
licencieux du XVIIIe
, les œuvres révèlent
le « male gaze » ou regard de l’homme
sur la femme. L’homosexualité, quant
à elle, est alors rarement représentée
et jugée négativement. Au XXe siècle,
des représentations de toutes les
sexualités apparaissent au grand
jour de David Hockney à Nan Goldin
ou Zanele Muholi. De nouveaux objets,
les vibromasseurs et les sex-toys,
de Matali Crasset à Tom Dixon, rencontrent
un succès grandissant sont présentés
dans une large vitrine au fond de la nef.
La chambre connectée
Les nouvelles technologies ont largement
contribué à modifier la définition et le vécu
de l’intime. Ainsi sont exposés le walkman
SONY de la fin des années 1970, le Minitel
rose des années 1980, les téléphones
mobiles apparus dans les années 1990,
la téléréalité avec Loft Story, au début
des années 2000, et le lit connecté
d’Hella Jongerius qui rend compte
de la nouvelle chambre connectée.
Des réseaux sociaux à l’influence
Un film de 1947 du réalisateur
J.K Raymond Millet imagine déjà
la naissance d’un monde multi-écrans
avec une prescience saisissante.
Des créateurs de contenus exposent
leurs comptes Instagram comme leur
conception de l’intime, de Lena Situations
à Sophie Fontanel, tandis que les
photographies d’Evan Baden alertent
sur le danger de l’exposition de soi.
Surveillance et protection
Les nouvelles technologies
de surveillance et de protection ont
engendré de profondes modifications
de notre rapport à l’intime et à la vie
privée, que ce soit dans l’espace
public ou privé. Cette salle présente
caméras de surveillance, techniques
de géolocalisation et de traçage, objets
de reconnaissance faciale, drones
et objets connectés, qui génèrent des
possibilités comme des risques.
L’intime précaire
Que reste-t-il de l’intime et comment
le préserver lorsqu’on se trouve
en situation précaire, privé d’un espace
à soi, qu’il s’agisse du sans-abri,
du migrant, du prisonnier ou du malade ?
C’est la question à laquelle répond
le design de survie de Kosuke Tsumura.
Quand l’abri vient à manquer, c’est le banc
public et la couverture de fortune,
qui permettent de reconstituer le nid
nécessaire au sommeil, comme
en témoigne Mathieu Pernod.
L’intime ultime
L’intime consiste, au-delà de l’intimité,
en ce que l’on conserve à l’intérieur
de soi, les pensées, les rêves
et l’imaginaire qui nous habitent.
Un intime ultime qui ne peut nous être
ôté. L’idée même d’une conversation
avec soi-même connaît son apogée
au XIXe siècle avec la pratique du journal
intime qui perdure sous d’autres formes
comme le blog, dont témoignent un choix
de plusieurs journaux du XIXe siècle
à aujourd’hui.