La technique de densification du bois consiste en un traitement complexe qui permet la transformation du bois sans avoir recours à une substance chimique particulière, simplement de la chaleur, de l’humidité et de la pression.
Sa composition reste entièrement naturelle. Ce procédé permet à des bois tendres et courants, tels l’épicéa ou le sapin, de devenir aussi durs que certains bois tropicaux. Plus étonnant encore, ses fibres suivent la forme de l’objet et sa texture offre la douceur d’un polissage parfait. La possibilité de contrôler les propriétés techniques, l’état de surface et les processus de mise en forme comme le cintrage et le moulage en font un défi scientifique et technologique majeur. L’EPFL + ECAL Lab, dévoile son nouveau projet au Musée des Arts Décoratifs à Paris : révéler le potentiel du bois densifié en lui donnant un statut d’objet avec les créations des cinq designers. Chacun d’eux a expérimenté ce nouveau processus et a proposé un objet emblématique ayant une perspective inédite.
L’exposition, divisée en deux sections, revient tout d’abord sur le contexte historique avec les évolutions techniques autour du bois, matériau ancestral et composite constitué essentiellement de fibres et de résine. Depuis des siècles on a tenté de l’apprivoiser pour lui faire jouer des rôles toujours plus variés. On l’a d’abord taillé puis, au XIXe siècle, les perspectives se sont multipliées : avec la découverte du cintrage qui implique l’apport de l’humidité, mais aussi du bois durci, qui fait apparaître, grâce aux moulages, des motifs complexes. Le XXe siècle verra, lui, le développement d’autres procédés : le contre-plaqué, le lamellé-collé puis, au XXIe siècle, le bois rétifié. Le visiteur est ainsi invité à découvrir une sélection de pièces de mobilier, datée du XIXe siècle aux années 1960, issue du fonds du Musée des Arts Décoratifs. Des œuvres de Thonet Gebrûder, de Alfred Latry & Cie, de Alvar Aalto, de Charles Eames et de Grete Jalk lui permettent ainsi d’appréhender l’évolution des techniques du bois.
La seconde section dévoile les créations des designers avec le bois densifié. Cinq grandes boîtes fixées sur un panneau mural présentent chaque projet à travers son processus de fabrication : du moule en métal avec le morceau de bois initial, tel qu’il va être introduit dans la machine, jusqu’à la réalisation de l’objet final en bois densifié.
L’exploration par le design, menée par l’EPFL + ECAL Lab a ouvert des perspectives d’usage concrètes et démontré la force d’expression de ce matériau. Il reste désormais à industrialiser le procédé pour que le bois densifié puisse conquérir notre quotidien avec des applications inédites, afin de préserver les espèces les plus rares.
La scénographie très raffinée, signée par Normal Studio, s’appuie sur deux matériaux : un nid d’abeille, assurant la transparence, et un contre-plaqué opaque recouvert d’un film qui sert de support aux œuvres. L’espace s’organise autour d’une très grande cimaise, dans l’espace central, permettant la séparation du propos historique de celui des objets actuels en bois densifié.
Une vidéo, réalisée spécialement pour l’exposition présente la fabrication du casse-noix par le designer Chris Kabel avec le concepteur de la machine, Fred Girardet, et l’instigateur du projet « Sous pression, le bois densifié », Nicolas Henchoz.
La recherche sur la densification du bois a été menée au début des années 2000 par le laboratoire des matériaux de construction de l’EPFL, sous la direction de Parviz Navi, qui a réussi à produire des échantillons de 4 cm en bois densifié. C’est en 2010, que l’EPFL+ECAL Lab, dirigé par Nicolas Henchoz, a repris les recherches afin d’accéder à une nouvelle étape : traduire ses résultats en perspectives d’usage et d’expression avec, comme objectif, d’augmenter la taille des objets et mettre en évidence la diversité des textures et des formes possibles. Avec la collaboration de l’ingénieur, Fred Girardet, l’EPFL+ECAL Lab a ainsi pu proposer à des designers d’explorer le potentiel de ce matériau et de lui conférer les premiers usages. Parmi ceux-ci figurent les suisses Big-Game (Grégoire Jean Monod, Eric Petit et Augustin Scott de Martinville), mais également les français Normal Studio à Paris (Jean-François Dingjian et Eloi Chafaï), la jeune designer française, Léa Longis, l’anglais Paul Cocksedge et le néerlandais Chris. Ces objets ont tous été fabriqués à l’EPFL+ECAL Lab dans la machine construite initialement pour la recherche scientifique.
Les designers
Big Game (fondé en 2004), Suisse
Une simple plaque suffit à créer cette poignée à la forme complexe : totalement densifiée près de l’axe pour atteindre la plus grande résistance et finesse possible, moins densifiée plus loin pour créer un volume en relation avec le creux de la main.
Normal Studio (fondé en 2006), France
Réalisé en deux parties à partir de lames plates ce casque, repousse les limites de la densification avec une transformation extrême de forme et de texture. Il réussit à définir une nouvelle relation entre le bois et notre corps, à jouer avec la matière et les fibres pour ouvrir un univers de formes inédit.
Léa Longis (née en 1984), France
Trois boites, inspirées par la période romantique, convoquent les langages de matériaux nobles pour donner un statut et exprimer la valeur du bois densifié. Le couvercle du miroir en bois densifié comporte par exemple des facettes typiques du cristal. Le bois n’a subi aucun usinage ni polissage autre qu’une simple découpe de l’objet dans la plaque sortie du moule.
Paul Cocksedge (né en 1978), Grande-Bretagne
Ces escarpins explorent les variations de propriétés que l’on peut obtenir dans une même pièce : densifiée à 100%, la pointe du talon offre une rigidité, une dureté et une finesse extrêmes. La partie supérieure n’est en revanche densifiée qu’à 20% pour assurer stabilité et confort. Le motif organique de l’impression du cuir provient des images de la structure du bois prises au microscope avant et après la densification.
Chris Kabel (né en 1975), Pays-Bas
L’idée même du casse-noix en sapin illustre la transformation fondamentale du bois pour atteindre la dureté et la résistance nécessaire à sa fonction. Ce projet s’intéresse également au processus de production : le bois est densifié sous forme de plaques dans lesquelles il suffit de scier deux bandes pour avoir les deux parties du casse-noix.