Memphis, Tawayara Boxing Ring conçu par Masanori Umeda, 1981
© Memphis
Le thème choisi est celui du rapport à l’intime et de ses transformations
au cours des siècles. Chambre, lits, fauteuils et canapés, paravents,
coiffeuses, bourdaloues, chaises percées, baignoires, sex-toys, objets
connectés et applications peuplent cette exposition qui explore divers
thèmes liés à l’intimité : le sommeil, l’érotisme, la sexualité, la beauté,
la toilette, la façon d’être ensemble, la promiscuité ou le désir d’isolement.
Evan Baden, Emily, 2010
© Evan Baden
À travers douze thématiques, l’exposition s’ouvre sur
un gigantesque trou de serrure. Dans une
ambiance intimiste, cinq thématiques
se déploient dans la galerie côté jardin
autour du thème de la femme et l’intime,
la chambre, les lieux de commodités,
la toilette et la beauté, jusqu’au parfum.
Edouard Vuillard, L’intimité Personnages dans un intérieur, 1896
© Paris Musées / Petit Palais, musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris
Les lieux de commodité
Des objets du XVIIIe siècle comme la bourdaloue, pot pour uriner en public
utilisé par les femmes, la chaise percée ou les bidets, sont mis en regard d’urinoirs
et de WC récents, comme le dernier modèle de Toto. L’invention moderne
de l’hygiène et de l’intimité a modifié les lieux d’aisance qui deviennent l’objet
d’interdits au XIXe siècle, dont les artistes comme Judy Chicago ou Sarah Lucas
se jouent au XXe siècle.
Zanele Muholi, Bona, Charlottesville
Galerie Kvasnevski
La femme et l’intime
Au XIXe siècle avec l’émergence d’une classe bourgeoise, les vies professionnelle
et familiale se séparent : la femme est alors maîtresse du domestique et de l’intime. Les peintres, essentiellement masculins, tel Edouard Vuillard, ouvrant le parcours, les représentent souvent dans leur intérieur. Ce n’est que progressivement,
grâce aux révolutions féministes, que la « femme mystifiée » dont témoigne
le livre de Betty Friedan, se dissocie de l’espace clos.
Une chambre à soi
Le mot « chambre à coucher » apparaît seulement au XVIIIe siècle. Une grande
bibliothèque d’ouvrages liés à la chambre, de Marcel Proust à Michelle Perrot, est
présentée. De Ramon Casas à Martine Locatelli, émergent de nouvelles représentations, de la sieste à la chambre d’adolescent. Le lit devient un lieu de vie
pour Un homme qui dort de Georges Perec, de travail ou de création, pour l’écrivaine Colette comme pour l’artiste Ben. De nos jours, chacun aspire à avoir « un lit à soi ».
Anonyme, Bidet, XVIIIe siècle
Chêne, cuir, faïence
© Les Arts Décoratifs
Au bain
L’eau a longtemps été associée aux miasmes, avant que n’apparaissent les
recherches modernes sur l’hygiène. La salle confronte d’anciens brocs et tables de toilette, le tub en métal du XIXe siècle, représenté par Edgar Degas ou Alfred Stevens, avec la baignoire en céramique, lorsqu’apparaît la salle de bain, qui se généralise dans les années 1950. Le luxe d’hier est devenu la banalité d’aujourd’hui.
Opium, Parfum, 1977 Yves Saint Laurent
Beautés intimes et parfums
La construction de l’apparence se prépare le plus souvent à l’écart des regards
extérieurs. Certains objets qui y sont associés n’ont cessé de changer,
voire de disparaître selon les modes, révélateurs de tournants sociologiques.
Poudriers, miroirs et rouges à lèvres dénotent une uniformité de l’apparence
féminine jusqu’aux années 1960. La période récente ouvre à plus de diversité, d’inclusivité, et de fluidité des genres. Le parfum se dévoile soit dans une très grande proximité physique, soit à travers un sillage qui se partage plus
volontiers. Ces deux typologies signifient donc beaucoup du rapport à l’autre que
l’on souhaite instaurer, du sentir bon à l’appel à la volupté. De l’eau de Cologne
au parfum Opium d’Yves Saint Laurent en passant par Tabac blond de Caron,
le parfum, comme son contenant, nous révèle.
Gaetano Pesce, La Mamma, 1969
© Les Arts Décoratifs
Promiscuité et isolement
L’exposition se poursuit dans la nef avec une scénographie spectaculaire centrée
sur 25 chefs-d’œuvre du design du XXe siècle autour du thème du nid
et de l’intimité partagée. Le design des années 1950 à aujourd’hui, à travers
des sièges, canapés ou lits, illustre une dialectique constante entre un désir
d’isolement et une promiscuité choisie. Des pièces comme la Womb Chair
d’Eero Saarinen témoignent du repli protecteur des années 1950-1960,
tandis que des créations de Superstudio, Archizoom ou Memphis reflètent le désir
de rassemblement typique des années 1960 et 1970.
Le parcours continue au fond de la nef et dans les galeries de la rue de Rivoli,
abordant six thématiques qui explorent les changements les plus contemporains,
de la sexualité aux réseaux sociaux, en passant par la création de contenus
et les techniques de surveillance. Il interroge également la question de l’intimité en temps de précarité et s’achève sur une salle consacrée au plus précieux de l’intime, cette conversation avec soi qu’offre le journal intime. Enfin, une œuvre de Thomas
Hirschhorn, citant la philosophe Simone Weil, invite à réfléchir sur les possibilités
des réseaux sociaux et à envisager un nouvel humanisme.
Eric Berthes X Sonia Rykiel, Oh my god, 2006
Intimité et sexualités
Du Verrou de Fragonard aux livres licencieux du XVIIIe siècle, les œuvres révèlent
le « male gaze » ou regard de l’homme sur la femme. L’homosexualité, quant
à elle, est alors rarement représentée et jugée négativement. Au XXe siècle,
des représentations de toutes les sexualités apparaissent au grand jour, de David Hockney à Nan Goldin ou Zanele Muholi. De nouveaux objets, les vibromasseurs et les sex-toys, de Matali Crasset à Tom Dixon, rencontrant un succès grandissant, sont présentés dans une large vitrine au fond de la nef.
La chambre connectée
Les nouvelles technologies ont largement
contribué à modifier la définition et le vécu
de l’intime. Ainsi sont exposés le walkman
SONY de la fin des années 1970, le Minitel
rose des années 1980, les téléphones
mobiles apparus dans les années 1990,
la téléréalité avec Loft Story, au début
des années 2000, et le lit connecté
d’Hella Jongerius qui rend compte
de la nouvelle chambre connectée.
Compte instagram, Lena Situations @lenamahfouf, 29 mai 2024
Des réseaux sociaux à l’influence
Un film de 1947 du réalisateur
J.K. Raymond Millet imagine déjà
la naissance d’un monde multi-écrans
avec une prescience saisissante.
Des créateurs de contenus exposent
leurs comptes Instagram comme leur
conception de l’intime, de Lena Situations
à Sophie Fontanel, tandis que les
photographies d’Evan Baden alertent
sur le danger de l’exposition de soi.
Drone, Anafi Al, 2021
© Les Arts Décoratifs
Surveillance et protection
Les nouvelles technologies
de surveillance et de protection ont
engendré de profondes modifications
de notre rapport à l’intime et à la vie
privée, que ce soit dans l’espace
public ou privé. Cette salle présente
caméras de surveillance, techniques
de géolocalisation et de traçage, objets
de reconnaissance faciale, drones
et objets connectés, qui génèrent des
possibilités comme des risques.
L’intime précaire
Que reste-t-il de l’intime et comment
le préserver lorsqu’on se trouve
en situation précaire, privé d’un espace
à soi, qu’il s’agisse du sans-abri,
du migrant, du prisonnier ou du malade ?
C’est la question à laquelle répond
le design de survie de Kosuke Tsumura.
Quand l’abri vient à manquer, c’est le banc
public et la couverture de fortune,
qui permettent de reconstituer le nid
nécessaire au sommeil, comme
en témoigne Mathieu Pernod.
L’intime ultime
L’intime consiste, au-delà de l’intimité,
en ce que l’on conserve à l’intérieur
de soi, les pensées, les rêves
et l’imaginaire qui nous habitent.
Un intime ultime qui ne peut nous être
ôté. L’idée même d’une conversation
avec soi-même connaît son apogée
au XIXe siècle avec la pratique du journal
intime qui perdure sous d’autres formes
comme le blog, dont témoignent un choix
de plusieurs journaux du XIXe siècle
à aujourd’hui.