Shocking ! Les mondes surréalistes d’Elsa Schiaparelli
du 6
juillet 2022
au 22 janvier 2023
Le musée des Arts décoratifs met
à l’honneur l’œuvre audacieuse
et inspirante d’Elsa Schiaparelli,
créatrice italienne, dont l’inspiration
s’est nourrie d’une relation privilégiée
avec les artistes du milieu de l’avant-garde parisienne des années 1920
et 1930. Près de 20 ans après
la rétrospective qui lui a été consacrée
en 2004, le musée a souhaité revisiter
son œuvre afin de faire redécouvrir
au public sa fantaisie novatrice, son goût
du spectacle et sa modernité artistique.
« Shocking ! Les mondes surréalistes
d’Elsa Schiaparelli » réunit 520 œuvres
dont 272 costumes et accessoires
de mode, mis en regard de 248 peintures,
sculptures, bijoux, flacons de parfum,
céramiques, affiches et photographies
signées des plus grands noms
de l’époque, de Man Ray à Salvador Dalí,
de Jean Cocteau à Meret Oppenheim
ou encore d’Elsa Triolet. Cette grande
rétrospective met également en lumière
l’héritage du style Schiaparelli avec des
silhouettes interprétées par de célèbres
couturiers lui rendant hommage :
Yves Saint Laurent, Azzedine Alaïa,
John Galliano, Christian Lacroix.
Daniel Roseberry, directeur artistique
de la maison Schiaparelli depuis 2019,
interprète l’héritage d’Elsa Schiaparelli.
L’exposition est présentée dans les
galeries de la mode Christine & Stephen
A. Schwarzman dans une scénographie
poétique et immersive confiée
à Nathalie Crinière.
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Restauration des œuvres conservées au musée des Arts décoratifs : avec la participation de Marina Kellen French et de The Anna-Maria & Stephen Kellen Foundation
« Travailler avec des artistes tels que Bébé Bérard, Jean Cocteau, Salvador Dalí, Vertès
et Van Dongen, avec des photographes comme Honingen-Huene, Horst, Cecil Beaton et Man Ray,
avait quelque chose d’exaltant. On se sentait aidé, encouragé, au-delà de la réalité matérielle
et ennuyeuse, qu’est la fabrication d’une robe à vendre. » Shocking life, Elsa Schiaparelli – 1954
Elsa Schiaparelli en collaboration avec Salvador Dalí, Robe du soir, 1937
Dans notre époque contemporaine qui
conçoit le dialogue étroit entre mode
et art comme une évidence, plus que
jamais Elsa Schiaparelli semble de notre
temps, en couturière « inspirée » comme
elle aimait à se définir elle-même. Élevée
dans un milieu humaniste et érudit,
Elsa Schiaparelli (1890-1973) a embrassé
la mode en ne reniant jamais sa profonde
fascination pour l’art et pour les artistes,
tout en devenant autant créatrice que
femme d’image, s’amusant de la haute
couture comme d’un kaléidoscope, robes
du soir, tenues de ville, modèles sport,
accessoires, et parfums. Esquivant les
pesanteurs d’un milieu social, elle lui
offre la liberté d’explorer les formes et les
inspirations, celles qu’elle construit avec
fougue et humour avec ses amis artistes,
dont nombre la considère pleinement
artiste elle-même.
Mêlant approches thématiques
et chronologiques, l’exposition s’organise
sur deux niveaux autour des moments-
clés de l’œuvre d’Elsa Schiaparelli,
enchaînant les collections les plus
remarquables, d’année en année, dont
certaines, en lien avec les artistes
complices, fonctionnent telles les sources
sensibles de sa créativité. Irriguant
le parcours de l’exposition, ces thèmes
artistiques rythment les étapes de la vie
d’Elsa Schiaparelli. La salle d’introduction,
espace spectaculaire, immersif, plonge
le visiteur dans un environnement total
dédié aux dessins des collections
de Schiaparelli conservés par centaines :
ils mettent en évidence l’étendue
de l’œuvre de la couturière. L’éveil
de l’artiste à la mode et à la modernité
est exploré ainsi que le rôle déterminant
du couturier Paul Poiret dont elle fait
la connaissance en 1922. Véritable mentor,
il révèlera sa vocation de couturière.
Scénographie de l’exposition
Daniel Roseberry, Veste Spencer, Collection haute couture printemps-été 2022, Satin double faille brodé de fils lamés, tubes, perles dorées et de strass Swarovsky
Elsa Schiaparelli confectionne alors des
sweaters à motifs en trompe-l’œil, idée
aussi géniale que radicale, et s’éveille
parallèlement au goût de l’Art déco
notamment au contact de Jean Dunand
qui signe pour elle une robe raffinée
dont les plis sont peints à la laque.
Puis elle inaugure une riche série
de collaborations qui illuminent une
constellation d’artistes : ainsi Elsa Triolet,
Jean Cocteau et Salvador Dalí pour ses
collections de mode et d’accessoires.
Jean Clément, Collier, 1938
Métal doré monté sur tissu. Musée des Arts Décoratifs
Elle développe son sens aigu du détail
à travers des modèles largement inspirés
par l’esthétique surréaliste, détournant
motifs et matériaux les plus étonnants :
plastiques transparents, boutons
en forme d’écrevisse, « poches tiroirs »,
homards. Elle inspire tout autant Man Ray
et devient son modèle : de nombreuses
photographies témoignent de cette
complicité fructueuse.
L’exposition se poursuit avec les
collections thématiques qu’Elsa
Schiaparelli initie seule autour des
sources d’inspirations qui lui sont chères :
l’Antiquité italienne, la nature et la musique.
La collection « Païenne » est un clin
d’œil à l’Antiquité en référence aux
métamorphoses d’Ovide, la collection
« Papillon » est une ode aux insectes
(source d’inspiration partagée avec
les artistes surréalistes), la collection
« Musique » de 1939 semble étirer
et allonger à l’infini la silhouette
de la femme moderne.
Le tandem
mythique formé par Elsa Schiaparelli
et Salvador Dalí, mué par un goût
piquant du scandale et de la provocation
artistique, est mis en lumière dans une
salle qui lui est dédiée révélant l’iconique
« robe homard » ou le célèbre « chapeau
chaussure », sorte de bibi surréaliste.
Le second étage s’ouvre sur une
reconstitution des salons de couture
d’Elsa Schiaparelli, alors situés au 21 place
Vendôme à Paris qu’elle inaugure en 1935.
Pour l’aménagement et la décoration
des intérieurs, elle fait appel à Jean-
Michel Frank pour ses lignes épurées,
ultra chic et élégantes. Elle y habille les
extravagantes de la planète et y acquiert
une renommée internationale.
Leonor Fini et Fernand Guéry-Colas, Flacon de parfum Shocking, 1937
La « cage aux parfums » révèle l’écrin
de ses originales créations olfactives
dont le fameux « Shocking » qui deviendra
un succès mondial, donnant tout son
sens au génial sens du marketing
de la créatrice.
L’accent est également mis sur l’art
complexe et luxueux de la broderie :
Elsa Schiaparelli fait en effet appel
à la maison Lesage pour la réalisation
des broderies sur mesure comme le font
de nombreuses maisons de couture
depuis 1924. Les collections des années
1938 et 1939 convoquent l’imaginaire
de la « commedia dell’arte », s’inspirant
des personnages de la comédie italienne
du XVIIIe siècle, haute en couleurs,
la collection dite « astrologique » à laquelle
elle mêle des références baroques
liées à Versailles et au Roi Soleil, avec
la célébration du XVIIe siècle français,
et enfin la collection « Cirque » avec ses
somptueux boléros brodés de chevaux,
d’acrobates et d’éléphants. Les créations
d’avant-guerre montrent une silhouette
cigarette plutôt étroite tandis que celles
de l’après-guerre sont plus amples
et plus construites.
Marcel Vertès, Schiaparelli, 21 place Vendôme, 1953
Le parcours s’achève sur les silhouettes
contemporaines réalisées par Daniel
Roseberry avec un final spectaculaire
traduisant avec sensibilité et force
l’inspiration surréaliste de son éminente
fondatrice.
En vingt-cinq ans, Elsa Schiaparelli fait
de la mode une respiration naturelle
de l’avant-garde, un terrain de jeux
où réinventer autant la femme que
la féminité, l’allure autant que l’esprit,
en une œuvre qui reste d’une actualité
saisissante. Elle incarne une vision
d’un Paris éclatant et vibrant, curieux
de tout, s’amusant de chaque nouveauté.
C’est cette incroyable liberté de création
que l’exposition souhaite offrir aux
visiteurs, liberté de surprendre, liberté
de dialoguer, liberté d’être soi-même,
à travers modèles, dessins et bijoux dont
nombre d’entre eux, des milliers pour les
dessins en particulier, ont été donnés
en 1973 par Elsa Schiaparelli à l’Union
française des Arts du costume, dont
le Musée des Arts Décoratifs conserve les
fonds. Comme un dernier geste moderne,
celui de préserver son héritage artistique
pour le transmettre et permettre ainsi que
l’histoire continue, intemporelle, celui
d’avoir vécu son art comme le lieu fécond
des croisements les plus inattendus et les
plus fertiles.
10 septembre 1890 Naissance d’Elsa Schiaparelli à Rome dans
une famille d’intellectuels et d’aristocrates
italiens habitant au palais Corsini.
1913 Elsa découvre Paris et Londres, où elle
fait la connaissance de son futur mari,
le comte William de Wendt de Kerlor.
Ils se marient en 1914.
1916 Le couple s’installe aux États-Unis, à New
York puis à Boston, et donne naissance
à une fille, surnommée Gogo.
1920 Elsa Schiaparelli rencontre Marcel
Duchamp et Man Ray, qui la photographie
dans son studio.
1922 Séparée de son mari infidèle, Elsa
Schiaparelli rentre en Europe avec Gogo
et se lie d’amitié avec les dadaïstes
à Paris.
1927 Elle présente sa première collection
de sweaters ornés de nœuds
et de cravates en trompe-l’œil et connaît
un début de notoriété.
1935 En janvier, elle déménage son salon
de son appartement exigu de la rue
de la Paix et l’installe dans un hôtel
particulier au 21, place Vendôme,
qu’elle demande à Jean-Michel Frank
de moderniser.
1936 Elle collabore pour la première fois avec
Salvador Dalí pour créer des pièces
de mode.
1937 Le 29 avril, la Maison Schiaparelli lance
le parfum Shocking, dont le flacon rose
est dessiné par Leonor Fini.
1940 En juillet, Schiaparelli quitte la France
en guerre et s’installe aux États-Unis,
confiant la direction du salon place
Vendôme à Irène Dana en son absence.
1945 Elsa rentre en France et présente
sa première collection d’après-guerre.
1947 Elsa fait appel à Hubert de Givenchy, âgé
de 19 ans, pour être son premier assistant
avant de le nommer directeur artistique
de la boutique.
1954 Le 3 février, la maison présente
sa dernière collection de couture.
Le 13 décembre, faute de succès depuis
la fin de la guerre, le salon du couture
Schiaparelli ferme ses portes. La créatrice
se consacre à écrire ses mémoires avant
de finalement se retirer de la scène.
13 novembre 1973 Elsa Schiaparelli a 83 ans et meurt dans
son sommeil, chez elle à Paris.
Elsa Schiaparelli, Manteau du soir, Hiver 1938-1939
Laine, soie et porcelaine. Musée des Arts Décoratifs
D’Elsa Schiaparelli, on aura usé tous les
adjectifs, les formules toutes faites,
les silhouettes crayonnées au pas
de course, ou les portraits savamment
posés et composés par les plus grands
photographes, dilection particulière pour
ceux de Man Ray. Les pages qui suivent
la décrivent et la remettent en perspective
d’une manière magistrale ; elles offrent
non pas un paysage impressionniste
par touches, mais comme un panorama
en kaléidoscope, des fractions
de visages posées les unes à côté des
autres, comme un collage qui hésiterait
entre les keepsakes réunissant les
gravures d’élégantes victoriennes ou les
cadavres exquis de ses amis surréalistes.
Une femme résolument entre deux
siècles, campée avec vigueur entre
deux mondes bordés de palais romains
et d’immeubles louis-quatorziens, grandie
à l’ombre d’un humanisme généreux, celui
de son père et des siens, patiemment
cultivés et brillants. De cette brillance
de l’esprit, Elsa Schiaparelli a fait une
œuvre et une vie, ce qui n’est pas donné
à tout le monde. [...]
Elsa Schiaparelli, Détail de la veste Papillon, Été 1937
En quelque quinze ans, cette fille de lettré
orientaliste aura posé avec rigueur
et fantaisie les bases strictes d’une
grammaire construite et d’un vocabulaire
libre, en tout point reconnaissable,
illustrant avec panache cette dernière
danse sur un volcan que semble dérouler
implacablement la décennie 1930.
Énergique et créative, elle aura esquivé
le rôle de muse, auquel on adore réduire
les femmes, pour se concentrer sur
les partitions les plus essentielles : être
cliente, devenir créatrice, ne jamais
abdiquer, être soi-même. On la perçoit
piquante, elle sait l’être, parfaite « jolie
laide », le comble du chic des femmes
du monde, Diana Vreeland en tête, mais
elle est aussi travailleuse, visionnaire,
tendre quand elle parle de l’enfant
qu’elle fut, de ceux et celles qu’elle
aime, la dernière page de ses mémoires
lie à tout jamais sa vie à celle de ses
petites-filles, Marisa et Berry, et les mains
qui se croisent, ou les lignes de vie qui
se brouillent. Elle sait écrire, son Shocking
paru en 1954 en témoigne de manière
singulière ; elle sait choisir les mots, ceux
de ses accroches fulgurantes ou de ses
noms de parfums insolents d’humour. [...]
Daniel Roseberry, Look 25, Automne-Hiver 2021-2022
Aujourd’hui cette histoire Schiaparelli
continue, autrement, et avec le talent
immense de Daniel Roseberry qui,
avec humilité et élégance, exprime
la pertinence toute contemporaine
de ce qu’est Schiaparelli depuis près
d’un siècle. Elle qui aimait habiller les
femmes, non pas pour les déguiser mais
pour les porter, les exhausser, aurait
été fière de voir une femme dans une
robe portant son nom, un jour particulier
et insigne de l’histoire américaine, donner
de la voix devant le Capitole. [...]
Une fois n’est pas coutume, il est
toujours merveilleux de conclure par
le commencement, les premiers mots
de son autobiographie : « Je ne connais
Schiap que par ouï-dire. Je ne l’ai vue que
dans un miroir. Pour moi, elle représente
quelque chose comme la cinquième
dimension. »
« La beauté comme brisure », conversation avec Daniel Roseberry par Hanya Yanagihara
Daniel Roseberry, Bella Hadid en Schiaparelli au Festival de Cannes 2021 2021
Hanya Yanagihara (HY.) J’ai toujours pensé que ce qui
distingue ton travail, c’est la puissance
avec laquelle il transmet de l’émotion.
Dans ta vie privée aussi, tu n’as pas peur
d’exprimer tes émotions. Tu as facilement
accès à un large éventail de sentiments,
de la tristesse à – merveilleusement –
la joie. C’est réducteur, mais si nous
considérons les créateurs de mode comme
étant soit cérébraux, soit intuitifs, je te
considère largement comme un intuitif.
Comment évalues-tu les créateurs que
tu admires, comme Alexander McQueen
ou Yves Saint Laurent ?
Daniel Roseberry (DR.) Je pense que chaque créateur doit
choisir une voie. Quand ça marche, c’est
parce que son travail et sa voie sont
cohérents avec son identité profonde.
Quand on sent que le créateur essaie
d’être quelqu’un d’autre, ou bien même
d’être une meilleure version de lui-même,
son travail en devient moins fort.
Les créateurs que j’admire, tels que
McQueen, Yves Saint Laurent ou Karl
Lagerfeld, faisaient tous un travail qui
reflétait ce qu’ils étaient avec harmonie
et fidélité. Le romantique. Le génie.
Le showman.
HY. Certaines de tes créations les plus
fortes et les plus emblématiques jouent
autour de l’idée du détournement
anatomique et de l’exagération : les
nez migrent vers les lobes d’oreille, les
mamelons se fraient un chemin en rasde-
cou, la poitrine arbore des proportions
pyramidales. Jusqu’à quel point cela
constitue-t-il – ou pas – une projection
de ta propre relation au corps ?
Daniel Roseberry, Look 06, Automne-Hiver 2021-2022
DR. (…) C’est seulement vers l’âge
de trente ans que j’ai commencé
à appréhender et à apprécier mon corps.
Il y a quelque chose d’inexplicablement
glorieux dans le corps humain. (…) Dans
mes créations, j’essaie de traiter les
parties du corps avec un certain niveau
d’équité. Les seins sont aussi précieux
que les yeux, les orteils que les fesses.
C’est une manière de célébrer le corps
sans le sursexualiser pour autant.
HY. Parle-moi de ce que signifie le fait
de créer au sein d’un héritage comme
celui de Madame Schiaparelli tout
en faisant quelque chose de personnel.
Le fantôme d’Elsa te semble-t-il parfois
écrasant ?
DR. Au début de ma présence chez
Schiaparelli (…) j’essayais de susciter
la même réaction émotionnelle que
celle que l’on aurait pu avoir à l’époque
en regardant son travail. (…) Après
quelques années à ce poste, je me sens
beaucoup plus à l’aise avec son héritage
et avec les archives de la Maison, et plus
enclin à en embrasser certaines parties
chaque saison. Mais je ne me suis
jamais senti écrasé par son héritage, que
j’ai toujours maintenu un peu à distance.
(…) Je ne suis pas sûr qu’elle aimerait voir
son travail reproduit à l’infini, un siècle plus
tard. Je pense qu’elle défendrait plutôt
la nouveauté, et je ne peux qu’espérer que
cela m’inclurait.
HY. Quel sont le but et la fonction d’une
robe en 2022 ? (…) Peux-tu nous parler
de ta philosophie ?
DR. Je pense qu’il y a une raison au fait
que la robe soit un vêtement éternel,
et c’est pour cette raison que le tailleur
est intemporel lui aussi. C’est parce que
ce vêtement a été conçu pour mettre
en valeur les plus belles parties du corps
féminin, et aussi créer une certaine
aisance autour des parties du corps qui
ont parfois besoin d’un coup de main.
Je pense qu’une belle robe se définit par
sa générosité. Quelle confiance en vous
vous donne-t-elle ? (…) Les robes peuvent
être sublimes portées par des hommes,
et les tailleurs absolument magnifiques
sur des femmes. Je crois qu’on se rend
compte aujourd’hui que ces règles
vestimentaires sont encore plus belles
lorsqu’on les enfreint.
HY. Le terme « surréaliste » est souvent
utilisé aujourd’hui comme un raccourci
pour tout ce qui semble absurde, ridicule
ou étrange. Et pourtant, ce mot, défini par
André Breton en 1924, avait un sens bien
précis : c’est l’espace entre la vie rêvée
et la vraie vie, et la lutte qui s’impose
entre les deux. Comment cette croyance
s’exprime à travers tes créations ?
Daniel Roseberry, Look 02, Automne-Hiver 2021-2022
DR. (…) Quelque chose entre le rêve
et la réalité, entre l’obscurité et la lumière.
Le refus d’être seulement l’un ou l’autre
est révélateur d’un travail surréaliste.
Je pense aussi que cela doit susciter
la curiosité chez le spectateur. (…)
Le surréalisme paraît hors de portée,
mais son impact émotionnel est viscéral,
urgent même parfois. On parle toujours
de contradiction au studio : comment
est-ce qu’on peut faire quelque chose
de baroque et de minimaliste à la fois,
par exemple. Ou lorsque l’on veut
créer quelque chose qui soit à la fois
féminin et masculin, doux et dur, pop
et couture. Les deux extrêmes ont
besoin l’un de l’autre, et qui plus est ils
se désirent l’un l’autre.
HY. Abordons plus largement la question
de l’univers de la mode et de son
industrie. J’ai pour habitude de dire qu’il
n’existe pas d’autres métiers au monde
dans lequel l’écart entre la perception
glamour du métier et sa réalité quotidienne
est plus grand. Cette dissonance est-elle
parfois difficile à gérer ?
DR. C’est une chose qui me préoccupe
et que je dois gérer (…) un jour sur deux.
Mais ces jours sont rares, et je pense
que quiconque travaille dans la mode,
et surtout les créateurs, doit être
en mesure de l’accepter. Le plus difficile,
c’est la fréquence à laquelle on est
censé produire des idées dignes d’être
partagées avec le monde. Les réseaux
sociaux ont rendu cela encore plus
exigeant, plus frénétique, et c’est pour
cela qu’il y a autant de mode conservatrice
et rassurante sur le marché – il n’est
tout simplement pas possible pour
un même studio ou pour un même
créateur de produire des idées magiques
et révolutionnaires à la chaîne quatre fois
par an. (…) Dans d’autres industries, ces
périodes peuvent durer des années. Mais
dans la mode, on n’a que deux semaines
entre chaque collection, et encore,
si on a de la chance. Si on s’arrête plus
de deux semaines, on est déjà en retard.
C’est ce qui attire les gens. Mais c’est
aussi l’exception qui confirme la règle.
HY. Avant ton arrivée au sein de la Maison
en 2019, tu as travaillé pendant dix ans
pour la marque américaine Thom Browne,
jusqu’à devenir le directeur du studio pour
les collections homme et femme. Tu as dit
que tu avais remarqué que les jeunes
aujourd’hui espèrent passer directement
d’une école de stylisme à la tête de leur
propre marque. Et pourtant, tu as toujours
soutenu qu’il y a de bonnes raisons à être
le numéro deux d’une maison de mode.
Dis-moi lesquelles, et parle-moi de ce que
tu as appris de tes années passées chez
Thom Browne.
DR. La première chose que j’ai réalisée
en travaillant chez Thom Browne est à quel
point je ne savais rien du tout. Je faisais
plein d’erreurs, heureusement Thom
était là pour me guider et m’entraîner.
Il y a tellement de manières d’échouer
dans cette industrie. Les opportunités
manquées, la surexposition ou la sousexposition,
et toutes les réalités
incessantes et impitoyables autour des
délais, des fenêtres de livraison, des
ventes, etc., etc. On peut très bien passer
à côté de la personne que l’on est censé
devenir. La mode est un domaine très
dangereux pour un jeune qui apprend
qui il est, ou plutôt, qui il devient, tout
en devant supporter les pressions de
l’industrie. (…) Je serai éternellement
reconnaissant d’avoir été un second
couteau pendant plus d’une décennie.
La seule chose que l’on n’apprend pas
en étant un numéro deux, c’est à quoi
ressemblera son propre processus
de création lorsqu’on se lancera tout seul.
Lorsque j’ai commencé chez Schiaparelli,
j’ai dû (…) apprendre à faire usage
de ma propre vision : ma propre façon
de construire une collection. Cela peut
être très traumatisant à faire en public.
Mais ça fait partie du processus. Tout
ce que l’on peut espérer en échange,
c’est un peu de patience – de la part
de l’industrie, mais surtout, de soi-même.
« Quand Dalí découvre la mode », par Jean-Louis Gaillemin
Apparu sur la tête d’un étrange espion
dans le tableau Gala et L’Angelus de Millet
en 1933, le homard vient également
orner la tête de Gala Portrait de Gala
avec homard, 1933) et, en 1934, Dalí
imagine pour American Weekly son
premier téléphone homard, un homme
effaré s’apprête à mettre la main sur
un homard putrescent mis à la place
de l’écouteur. C’est l’année suivante,
dans la vitrine de Bonwit Teller à New
York où il a mis en scène sa Femme
à tête de roses, qu’est improvisé son
premier téléphone homard juché sur une
console anthropomorphe. Des fissures
ménagées dans les murs de la boutique
émergent les bras de ses soupirants, les
mains chargées de cadeaux ou d’objets
menaçants. Si les allusions érotiques
des tiroirs étaient finalement passées
inaperçues, il n’en est pas de même
de la robe homard de Schiaparelli
de l’été 1937. Le crustacé sortant
du ventre de « la minotaure » castratrice
surgit ici de l’entrejambe du modèle sur
la soie immaculée. Certes, ce nouveau
homard est moins terrifiant que celui
de la minotaure, mais sa position est sans
équivoque comme le montre une des
photographies de Wallis Simpson par Cecil
Beaton pour Vogue quelque temps avant
son mariage.
La future duchesse de Windsor avait-elle
été assez naïve pour ne pas percevoir, au-delà
de la cocasserie du modèle, l’arrière-plan
érotique ? Ou aurait-elle au contraire
profité de l’occasion pour affirmer
sa réputation de femme indépendante
et manipulatrice ?
Le chapeau soulier
Prendre son pied, trouver chaussure à son
pied, les bons mots et les métaphores
ne manquent pas qui font du soulier
féminin un des objets favoris des
fétichistes. [...]
Dans son article « Objets à fonctionnement
symbolique » de 1931, [Dalí] décrit son
Objet scatologique à fonctionnement
symbolique (Le Soulier de Gala) comme
« Un soulier de femme, à l’intérieur
duquel a été placé un verre de lait tiède,
au centre d’une pâte en forme ductile
de couleur excrémentielle ». [...] Le soulier
de femme apparaît à cette date dans
la peinture, furtif, caché, comme s’il faisait
peur. On le devine ici et là sous les
linceuls dont se drape un jeune homme
honteux que Dalí va incarner à l’été 1933
sous l’objectif de Man Ray : porté sur
sa tête, ou sur son cou lors d’une pose
« à l’envers », les souliers sont objets
de désir et de honte. Les propositions
dessinées par Dalí pour le chapeau soulier
jouent avec les courbes et les cambrures
sans aucun détail réaliste, allusion
purement formelle qui se retrouve dans
l’objet définitif de Schiaparelli, tout en noir.
Si le chapeau eut beaucoup de succès
comme image, peu de clientes eurent
l’audace de le porter. Nous retrouvons
le chapeau soulier dans sa version peau
de panthère sur la tête de Katherine
Helmond dans le film Brazil (1985)
de Terry Gilliam, exemple même d’un
monde à l’envers.
Sa parfaite maîtrise des techniques
de la couture permet toujours à Elsa
Schiaparelli de tempérer les délires
daliniens qui disparaissent derrière
l’objet final, même si certains, comme
le rappelle la couturière, servirent surtout
à sa publicité : « Il y avait aussi un autre
chapeau qui ressemblait à une côtelette
d’agneau avec un tulle blanc au bout
de l’os ; celui-ci, plus que tout, contribua
à assurer la réputation d’excentricité
de Schiap. Elle le porta sans sourciller
et certains chroniqueurs ne l’ont
jamais oublié. »
La donation faite par Elsa Schiaparelli
à l’Union française des arts du costume
en 1973 comprend 6 387 dessins
de collection, datés de 1933 à 1953,
répartis dans 55 albums reliés
ou isolés. Ces dessins non signés ont
été réalisés au graphite, au crayon
de couleur, à l’encre, au feutre,
à l’aquarelle ou à la gouache sur
du papier à dessin. C’est à l’issue
de la présentation de la collection dans
les salons de la maison de couture
que les dessinatrices, employées par
la maison Schiaparelli, reproduisent,
rapidement et avec soin, la silhouette
du mannequin portant le modèle. […]
À la différence des dessins signés par les
illustrateurs des revues de mode, ceux-ci
ne sont pas destinés à être publiés.
Avec le programme remis aux invités
qui indique le thème et les tendances
de la collection, ils sont des outils
d’information technique et de promotion
commerciale auprès des clientes qui
ne se sont pas déplacées et qui peuvent
ainsi passer leurs commandes. […]
Les dessins de collection constituent
ainsi la mémoire conforme et essentielle
des nombreux modèles de la couture
de Schiaparelli, durant une vingtaine
d’années, selon le rythme des quatre
collections annuelles : printemps,
été, automne et hiver. Ils en restituent
les riches variations de la ligne d’une
collection et le pouvoir de séduction
toujours actif des créations
d’Elsa Schiaparelli.
La silhouette Schiaparelli se compose
d’un vêtement, d’accessoires que sont
le chapeau, les gants, et de bijoux qui sont
la touche ornementale et harmonieuse
de l’ensemble, œuvre d’artisans
bijoutiers. Appelés paruriers, ceux-ci
travaillent dans l’ombre de la couturière,
sans signer leur production. Le thème
de chaque collection est transmis
à l’artisan, qui fait des propositions
de modèles de bijouterie. Elsa s’entoure
de fournisseurs ayant une personnalité
forte, capables de partager sa fantaisie
et de l’étonner. C’est Jean Schlumberger
qui interprète avec élégance l’esprit
surréaliste de la couturière. Les bijoux
des artistes Alberto Giacometti et Meret
Oppenheim l’étonnent également. Dans
ses mémoires, Elsa fait l’éloge d’autres
collaborateurs : le fidèle Jean Clément,
« génial dans sa partie », Elsa Triolet,
femme du poète Louis Aragon, pour ses
colliers en forme de cachets d’aspirine,
et l’orfèvre François Hugo, arrière-petit neveu
de Victor Hugo, pour ses boutons.
Jean Cocteau, le trait poétique
Elsa Schiaparelli, Manteau du soir, Automne 1937
Tricot de rayonne, broderies de fils de soie, de lames et application de fleurs en soie par Lesage
Comme preuve de leur amitié, le poète
Jean Cocteau offre deux dessins à Elsa
Schiaparelli qu’il considère « comme
le plus excentrique de tous les créateurs ».
La couturière les reporte sur un manteau
du soir et sur une veste de tailleur
de la collection de l’automne 1937.
Le trait continu du dessin brodé au dos
du manteau produit l’illusion d’une double
image, celle de deux profils se faisant face
et celle d’un vase posé sur une colonne
cannelée et couronnée par un bouquet
de roses. Cette collaboration, qui exalte
l’imagination poétique, se traduit aussi sur
la veste de soirée. C’est la ligne traçant les
contours d’un visage féminin à la longue
chevelure de fils d’or brodée sur
la manche. Le prénom de Jean ponctué
d’une étoile constitue le monogramme
de Cocteau. Dans ses mémoires, Elsa
cite son film Le Sang d’un poète (1930)
qu’elle qualifie de surréaliste, malgré
le déni permanent du cinéaste pour cette
appellation. Selon l’artiste, il s’agit plutôt
d’imiter la mécanique du rêve sans dormir
qui permet, comme par magie, de passer
de l’autre côté du miroir.
Le papillon et sa métamorphose
Donnant un thème à chacune de ses
collections, Elsa Schiaparelli choisit
le papillon pour celle de l’été 1937.
Selon le programme de la présentation,
c’est une farandole dans laquelle un chant
d’oiseaux, un bourdonnement d’abeilles
et la gaieté des papillons s’unissent
en harmonie dans les imprimés d’été.
Pour la couturière, comme pour les
surréalistes, le papillon est source
d’émerveillement et d’émotion esthétique.
Il est le symbole de la beauté fragile
et de la brièveté de la vie puisqu’il naît
d’un œuf devenu chenille, changée
en chrysalide à la laideur ingrate. Ce bel
insecte animé aux formes fluides
insaisissables et aux battements d’ailes
veloutées est comparé, sous la forme
du conte, à la femme et à son inconstance
amoureuse. Il est à l’origine d’un conte,
celui de la belle Psyché (mot grec
signifiant à la fois âme et papillon de nuit)
tombant sous le charme d’un monstre
divin, rapporté au IIe siècle par Apulée
dans les Métamorphoses.
Meret Oppenheim, artiste surréaliste
Artiste suisse-allemande arrivée à Paris
en 1932, elle se lie avec André Breton,
chef de file des surréalistes, et avec
le photographe Man Ray. Au printemps
1936, elle vend à Elsa Schiaparelli
le dessin d’un bijou. Il s’agit d’un bracelet
en laiton recouvert de fourrure animale
qu’Elsa inclut dans sa collection de l’hiver
1936-1937. Meret porte ce bracelet
au Café de Flore en compagnie de Pablo
Picasso et de Dora Maar qui admirent
l’accessoire. Au cours de leur conversation
naît le projet de recouvrir de fourrure tout
objet sur la table. Le thé ayant refroidi,
ils commandent au serveur « un peu plus
de fourrure » ! Invitée en mai par Breton
à faire partie de l’exposition surréaliste
d’objets à la galerie Charles Ratton, Meret
présente Le Déjeuner en fourrure qui est
une tasse, sa soucoupe et sa cuillère
revêtues de fourrure. Cet objet surréaliste
est acheté par Alfred H. Barr pour les
collections du Museum of Modern Art
de New York.
Leonor Fini, la féminité triomphante du parfum Shocking
Peintre d’origine italienne, née à Buenos
Aires, provenant de Trieste, elle arrive
à Paris en 1931. Présentée à Christian
Dior par Max Jacob, elle expose ses
peintures dans la galerie Bonjean dirigée
par Dior. Schiaparelli découvre son
univers fantastique empreint de visions
oniriques peuplées de figures féminines
mythologiques. En 1936, elle peint
le portrait de Gogo Schiaparelli, fille
d’Elsa. À la demande de la couturière,
elle dessine le flacon du parfum Shocking.
Au milieu des années 1930, Elsa
Schiaparelli s’impose avec succès
comme une couturière de premier plan.
Elle ouvre une succursale à Londres
en 1933 et, en janvier 1935, elle quitte
ses locaux du 4, rue de la Paix, devenus
trop petits. Elle choisit de s’installer dans
un hôtel particulier au 21, place Vendôme,
dont la façade date du XVIIe siècle […]
Au rez-de-chaussée du bâtiment, elle
installe la Boutique Schiap qui propose,
selon la formule « prêt-à-porter », des
sweaters pour le soir, des jupes, des
blouses et des accessoires. Elle fait
appel à Jean-Michel Frank pour décorer
à l’étage les trois principaux salons
de couture dont les boiseries d’époque
Louis XV sont repeintes en blanc. Selon
la définition de Frank, l’élégance signifie
l’élimination pour atteindre la simplicité.
Celui-ci s’associe avec Alberto Giacometti
pour le dessin des rares objets
du mobilier, comme des colonnes
surmontées de coquilles en plâtre blanc
où se niche l’éclairage. L’espace dépouillé
et monochrome des salons théâtralise
au moyen de draperies abondantes
se fondant avec le mur, la présentation
des modèles par les mannequins.
Le rôle fondamental de la lumière pour
modeler l’espace contribue à créer une
dimension irréelle et étrange, à la manière
d’un paysage de Dalí. La présence
centrale de la colonne Vendôme
se retrouve dans le collage que Marcel
Vertès offre à Elsa en 1953, l’année
précédant la fermeture de sa maison.
Véritable résumé de ses créations les plus
emblématiques, cette œuvre de l’artiste
d’origine hongroise est un hommage
vibrant aux inventions de la couturière.
La cage des parfums
Marcel Vertès, Publicité pour le parfum Sleeping de Schiaparelli, 1945
En février 1934, Elsa Schiaparelli,
superstitieuse, lance trois parfums :
Soucis, Salut et Schiap dont les noms
commencent par la lettre S. Le flacon
trapézoïdal du parfum Salut et sa boîte
en liège sont dessinés par Jean-Michel
Frank. En juin 1935, au rez-de-chaussée
de la maison de couture, s’installe la cage
aux parfums imaginée par Jean-Michel
Frank. Sa structure en bambous dorés
et en métal noir, permettant de présenter
les lignes de parfums et de cosmétiques,
est spectaculaire. La boutique Schiap
est une curiosité touristique animée
par un couple de mannequins en bois,
Pascal, « à la beauté purement grecque »,
et sa compagne Pascaline. En avril 1935,
le parfum Shocking, au flacon dessiné par
l’artiste Leonor Fini, devient la signature
à succès de la maison. En janvier 1947,
la société des Parfums Schiaparelli
emménage dans un laboratoire moderne
à Bois-Colombes. Le parfum Le Roy Soleil,
dont le flacon en cristal de Baccarat est
dessiné par l’artiste surréaliste Dalí, y est
produit en tirage limité.
La commedia dell’arte
Nepo Arik, Elsa Schiaparelli dansant avec un homme portant une jacquette Schiaparelli lors d’un bal de Fath à Corbeille 1952
Le thème de la commedia dell’arte
définit la collection du printemps
1939. Cette forme de théâtre comique
trouve son origine au XVIe siècle dans
la culture populaire italienne. Le principe
de la représentation donnée par une
troupe de personnages masqués,
identifiables par leurs costumes
familiers, repose sur des dialogues
improvisés provoquant les éclats de rire
et les exclamations du public. L’habit
d’Arlequin constitué d’une mosaïque
de losanges colorés est repris avec
élégance par Elsa Schiaparelli sur des
manteaux du soir. Grande amatrice
de bals costumés et de fêtes masquées,
organisés avec faste par ses clientes,
Elsa développe dans cette collection son
goût pour le travestissement amusant.
Ses références théâtrales sont partagées
par le peintre André Derain qui traite avec
mélancolie Arlequin et Pierrot. Le titre,
probablement ironique, de cette collection
fait écho à la comédie trompeuse
et inquiétante de l’actualité européenne,
à la suite des accords de Munich signés
en septembre 1938.
Le palais du Soleil
Salvador Dali et Baccarat, Flacon de parfum Le Roy Soleil, 1946
En observant le visage d’Elsa Schiaparelli,
son oncle Giovanni Schiaparelli,
astronome, compare les grains de beauté
de sa joue gauche au groupe des sept
étoiles de la constellation de la Grande
Ourse. Elle en fait son emblème personnel
qui décore ses créations, parmi d’autres
motifs célestes. La collection de l’hiver
1938-1939 brille de l’éclat des signes
du zodiaque, des planètes et des
constellations. Le thème est élargi
aux règnes de Louis XIV et de Louis
XV et à leur lieu de pouvoir, le château
et le parc de Versailles. En effet, selon
une vision héritée de l’Antiquité, les
rapports harmonieux entre les saisons
et les planètes sont représentés dans
les décors du château et des jardins.
Une cape est brodée d’une figure
de Phœbus en référence au Roi-Soleil,
tandis que la Manufacture de Sèvres,
créée par Louis XV, inspire le décor d’un
manteau. Une veste décorée de fragments
de miroirs, dans des cadres dorés de style
baroque, est peut-être inspirée des portes
des salons de la Guerre et de la Paix.
Cirque
Elsa Schiaparelli, Boléro Cirque, Été 1938
Broderie de ganse
de soie sur crêpe de soie,
broderie de fils de soie,
lacets, cabochons, perles
et miroirs par Lesage.
Musée des Arts décoratifs
Le thème de la collection de l’été 1938
est consacré au cirque. Sa présentation
le 4 février 1938 dans les salons
de la place Vendôme est l’occasion
d’un spectacle burlesque qui enchante
les invités. Elsa Schiaparelli écrit dans
ses mémoires qu’il s’agit de « la collection
la plus tumultueuse, la plus audacieuse »
lorsque les clowns furent lâchés en une
folle sarabande. Des éléphants, des
acrobates trapézistes et des chevaux
ornent des boléros du soir. Composée
de 132 modèles, cette collection inventive
et animée associe l’univers du cirque
à celui du mouvement surréaliste. En effet,
la date de son défilé coïncide avec
l’Exposition internationale du surréalisme,
organisée à Paris par André Breton et Paul
Éluard, à laquelle participent, entre autres,
les artistes Marcel Duchamp, Man Ray,
Pierre Roy et Salvador Dalí. Le numéro
de cirque qu’est l’homme-squelette est
à l’origine du squelette osseux brodé
sur une robe du soir, d’après un dessin
de Dalí.
L’art de la broderie
À partir de 1936, Elsa Schiaparelli
demande à Albert Lesage d’embellir
ses créations vestimentaires par des
motifs brodés à la main illustrant les
thèmes de ses collections. Fournisseur
reconnu pour son talent créatif et son
savoir-faire prodigieux, Albert Lesage
propose à la couturière des broderies
fidèles à sa fantaisie inventive et à son
humour alerte. Il s’agit d’un échange
stimulant puisqu’un échantillon brodé peut
être source d’inspiration pour la forme
d’un vêtement. Lors de la collaboration
avec Cocteau en 1937, Lesage brode les
dessins du poète, en particulier celui
représentant une femme à la splendide
chevelure dorée sur une veste en lin.
L’atelier Lesage fabrique aussi les petits
bouquets de fleurs ornant le flacon
du parfum Shocking. La maison
Lesage poursuit sa collaboration avec
la maison Schiaparelli pour les créations
contemporaines de Daniel Roseberry.
Elsa Schiaparelli, Détail de Boléro Cirque, Été 1938
Broderie de ganse de soie sur crêpe de soie, broderie de fils de soie, lacets, cabochons, perles
et miroirs par Lesage. Musée des Arts décoratifs