Pendant les années 1920, Yeshwant Rao Holkar II (1908-1961), plus connu sous le nom de maharajah d’Indore, est envoyé très jeune faire ses études à Oxford en Angleterre. Un précepteur francophone, le Dr. Marcel Hardy, aiguise sa curiosité en l’introduisant au milieu culturel européen. Sous la coupe de son mentor, il fait la connaissance de deux personnalités qui seront déterminantes dans sa démarche : l’architecte berlinois Eckart Muthesius, proche de l’avant-garde, et Henri-Pierre Roché, conseiller artistique et écrivain. Des séjours en Angleterre, en Allemagne et en France essentiellement, où il fréquente les différents salons, expositions et ateliers d’artiste, font naître en lui un réel intérêt pour les arts modernes.
En 1929, peu de temps après sa rencontre avec l’éminent couturier et collectionneur Jacques Doucet et la visite de son studio et collection, il décide d’ériger un palais dans son Inde natale, où se mêleraient luxe, confort et modernité. Le maharajah confie à Eckart Muthesius la réalisation de ce projet : transformer les fondations d’un bâtiment préexistant pour en faire une nouvelle résidence privée pour la maharani Sanyogita Devi et lui-même.
Agencé selon leurs besoins quotidiens, le palais est pourvu d’un décor et d’un mobilier glorifiant les matériaux novateurs pour l’époque, tels le métal, le cuir synthétique ou encore le verre, avec une prédominance accordée à la couleur se déclinant dans chacun des espaces à vivre. Afin d’aménager ces intérieurs, près de vingt créateurs soigneusement sélectionnés sont sollicités, dont les réalisations sont devenues aujourd’hui des œuvres iconiques de cette période.
Parmi les plus emblématiques citons : le fauteuil Transat d’Eileen Gray, la paire de fauteuils en cuir synthétique rouge avec lampes intégrées d’Eckart Muthesius, les spectaculaires lits en métal et verre de Sognot et Alix, conçus pour les chambres respectives du couple royal, ou encore les tapis d’Ivan Da Silva Bruhns qui occupent les sols du palais comme de vastes tableaux colorés abstraits.
L’exposition est une invitation à découvrir cet univers novateur, synonyme d’un moment marquant dans l’histoire des arts décoratifs. Dans la galerie côté rue de Rivoli, le visiteur est introduit aux personnalités phares que sont le maharajah et la dynastie des Holkar à laquelle il appartient, puis aux échanges et rencontres entretenus par le souverain, notamment pour la construction du palais et de ses aménagements.
En effet, les premières salles proposent de contextualiser l’histoire de ces commanditaires, en décrivant la façon dont le couple a procédé pour mener à bien ce projet ambitieux mais également le rôle de toutes les figures qui l’ont rendu possible. Elles mettent en exergue les prémices de cette construction palatiale et sur les différentes commandes passées à l’architecte durant sa collaboration avec le maharajah : un train aménagé, un avion, une caravane ainsi que des projets non réalisés à l’image d’une péniche et d’une maison d’été. On découvre également les portraits magistraux du maharajah et de son épouse, tous deux capturés dans une veine moderniste par le peintre Bernard Boutet de Monvel. Dans un contexte plus intimiste, les clichés du couple réalisés par Man Ray reflètent les dernières recherches expérimentales de l’artiste.
Dans l’espace central de la Nef, des projections de films inédits réalisés par Eckart Muthesius animent l’exposition en révélant notamment le maharajah et son épouse dans leur palais, mais aussi lors de cérémonies traditionnelles à Indore. La galerie latérale, côté jardin des Tuileries, dévoile les aménagements intérieurs de la demeure : le cabinet de travail, les chambres à coucher du maharajah et de la maharani et la bibliothèque. Les activités de collectionneur du souverain font l’objet d’une section entièrement consacrée aux salons et aux expositions des années 1920 et 1930, à l’instar du Salon de l’Union des Artistes Modernes et du Salon d’Automne à Paris. Le maharajah y fait l’acquisition de nombreuses pièces de mobilier et d’objets mais aussi de luminaires, notamment chez la Maison Desny. Il passe également d’importantes commandes pour ses services de table auprès de Jean Luce et de Jean Puiforcat qui réalise, le monogramme du maharajah et de la maharani figurant à l’entrée du palais Manik Bagh.
L’exposition évoque également l’intérêt marqué du maharajah pour les arts des grands Joailliers. Van Cleef & Arpels, Harry Winston mais aussi Chaumet réalisent à sa demande de majestueuses parures pour son épouse et lui-même. Parallèlement à ces différents aspects de sa collection, l’exposition donne à voir les projets préparatoires de Constantin Brancusi, incluant des dessins pour un projet de Temple de la Méditation à Indore et un plâtre de l’Oiseau dans l’espace dont le souverain commande trois exemplaires entre 1933 et 1936.
Cette exposition est ainsi l’occasion unique de pouvoir admirer ces créations, initialement unies au sein d’un palais, telle une œuvre d’art totale, qui témoigne avant tout d’un goût affirmé du maharajah d’Indore pour la modernité. Elle remet en pleine lumière la personnalité touchante et mystérieuse d’un jeune prince qui est allé du respect d’une tradition ancestrale à la rupture la plus radicale avec l’Inde traditionnelle. Cette exposition rend hommage à une figure majeure trop longtemps méconnue de l’art de son temps.
Après avoir étudié l’Esprit de Bauhaus en 2016 et l’œuvre de Gio Ponti, archi-designer en 2018, le Musée des Arts Décoratif, dont les collections Art déco et Moderniste comptent parmi les plus belles au monde, poursuit son exploration des années 1920-1930 en proposant une lecture nouvelle de l’histoire de la modernité européenne grâce au regard d’un immense amateur des arts.