C’est la première fois que Barbie ® fait l’objet d’une véritable invitation dans une institution muséale française. Connu pour ses collections de design et de mode, de jouets et de publicité, le Musée des Arts Décoratifs est le lieu idéal pour mettre à l’honneur cette poupée iconique dont l’histoire se nourrit de sources multiples, en l’inscrivant pleinement dans une histoire culturelle et sociale du jouet aux XXe et XXIe siècles.

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Commissariat
• Anne MONIER, conservatrice du département des jouets
assistée d’Aurore BAYLE-LOUDET

Scénographie
• Nathalie Crinière

PARTENAIRES DE L’EXPOSITION

L’ensemble des collections Mode et Textile du Musée des Arts Décoratifs bénéficie du soutien du DEFI.

Présentation
Barbie candidate à la présidentielle, 2000
© Mattel

Puisant également dans les archives inédites de la maison Mattel®, mettant en valeur un patrimoine historique encore méconnu, l’exposition s’efforce d’offrir deux lectures possibles, pour les enfants en évoquant la pure jubilation d’un jouet universellement connu, pour les adultes en replaçant cette figure phare depuis 1959 dans une perspective historique et sociologique.

Au-delà d’être un jouet, Barbie est le reflet d’une culture et de son évolution. On l’a d’abord associée à l’American way of life avant d’incarner une dimension plus universelle, épousant les changements sociaux, politiques, culturels. Elle évolue dans le confort moderne tout en épousant de nouvelles causes, questionnant les stéréotypes, haïe pour ce qu’elle représenterait d’une femme idéalisée, et pourtant autonome et indépendante, adoptant toutes ambitions de l’époque contemporaine.

Dès son lancement en 1959, Barbie et sa longue silhouette galbée sont une révolution dans un monde de poupons et autres baigneurs. C’est en regardant sa fille Barbara jouer avec des poupées de papier, lointaines descendantes des gravures de mode de la fin du XVIIIe siècle et des premières poupées en papier pour adultes du XIXe siècle, que Ruth Handler, l’une des fondatrices de Mattel, se met à rêver d’une poupée de mode en trois dimensions, d’une poupée mannequin. Dans leurs jeux, Barbara et ses amies ne sont pas du tout intéressées par les poupées représentant des enfants mais uniquement par celles représentant des femmes. Elles s’imaginent plus dans leur vie future de jeunes femmes, que dans celle de mères ou de femmes au foyer.

Barbie astronaute, 1965
© Mattel

La détermination de Ruth a fini par convaincre les équipes de Mattel, alors exclusivement composées d’hommes, de fabriquer une telle poupée. Inspirée de la poupée publicitaire allemande Lili, Barbie est lancée, accompagnée d’une mythologie : originaire du Wisconsin, Barbara Millicient Roberts a une famille et des amis clairement identifiés. Son âge reste volontairement flou afin de pouvoir incarner aussi bien une adolescente qu’une jeune femme. Elle est tout à la fois lycéenne, étudiante, nurse ou jeune hôtesse de l’air avant d’embrasser plus de 150 métiers, des plus classiques aux plus avant-gardistes. Barbie a été vétérinaire à plusieurs reprises, mais aussi paléontologue, et informaticienne, pilote de course, professeur, médecin, danseuse étoile, officier de police… et on l’oublie peut-être mais Barbie a été candidate à la présidence quatre fois, comme elle a été astronaute en 1965 alors que Neil Armstrong a attendu 1969. A ses côtés, son petit ami Ken, apparu en 1961, est tout aussi célèbre.

Ses silhouettes, ses coiffures, ses costumes, sont le fruit de quelques secrets de fabrication dont certains sont révélés pour l’occasion à travers maquettes ou témoignages de ceux qui font le succès de Barbie. Un succès qui tient à la capacité de la poupée à suivre l’évolution de son époque pour se renouveler tout en restant la même. Un succès qui imprègne la culture populaire depuis sa création jusqu’à nos jours, mais qui inspire aussi les artistes. Certains, comme Andy Warhol, en ont fait le portrait quand d’autres l’ont largement détourné.

Nombreux sont les créateurs qui ont croisé son chemin de passionnée de mode, pour laquelle chacun a déjà imaginé les tenues les plus extravagantes ou les plus élégantes. Quelques-unes de ses robes de collections sont ainsi signées par des couturiers, parmi lesquels Thierry Mugler, Christian Lacroix, Jean Paul Gaultier, Agnès B, Cacharel ou encore Christian Louboutin. Sa garde-robe déployée pour l’occasion sur plusieurs mètres de cimaises n’est autre que le reflet de la mode dont le musée sortira en contrepoint quelques-unes des pièces les plus parlantes.

« Une histoire des poupées de mode », par Denis Bruna

(…)
Ces trois exemples montrent qu’au XVIIIe siècle le mot « poupée » désigne trois objets apparemment distincts : le jouet des fillettes, la poupée de mode à proprement parler – qui porte en miniature le modèle réduit d’un costume destiné à être réalisé à taille humaine – et le mannequin de boutique. Toutefois, il est difficile de discerner la poupée-jouet de la poupée de mode, voire même du mannequin, d’autant plus que les trois objets sont simplement nommés « poupée » dans les documents de cette époque.

William Hoare, « Christopher Anstey avec sa fille », vers 1775
© The National Portrait Gallery, Londres

Quand on sait que les mêmes bimbelotiers fabriquaient aussi bien des poupées-jouets que des poupées de mode, il n’est pas étonnant que leurs usages aient pu être indistincts. Au XVIIIe siècle, un jouet, tout autant qu’un de ces mannequins articulés utilisés par les artistes, peuvent être investis d’une mission au service de la mode. Quoi qu’il en soit, la poupée n’est qu’un support ; ce qui importe alors, ce sont les habits qu’elle porte.

Dans sa précieuse description de « la poupée de la rue Saint-Honoré », Louis-Sébastien Mercier précise le rôle essentiel de l’objet qu’il appelle aussi mannequin : « [Il] passe de Paris à Londres tous les mois, et va de là répandre ses grâces dans toute l’Europe, il va au Nord et au Midi ; il pénètre à Constantinople et à Pétersbourg ; et le pli qu’a donné une main française se répète chez toutes les nations, humbles observatrices du goût de la rue Saint-Honoré. » Telle est la réelle mission de la poupée habillée : être expédiée par monts et par vaux, pour diffuser les modes.
(…)

Barbie Moschino, 2015
© Mattel

« Pour apprendre la mode de la cour de France »

Dans la France du XVIIIe siècle, et plus encore dans la seconde moitié du siècle, la mode est une industrie, un acteur privilégié de l’économie et joue un rôle essentiel dans la pensée des Lumières. Jacques Savary des Bruslons, dans son Dictionnaire universel de commerce, paru en 1723-1730, évoque ces « belles poupées qu’on envoie toutes coëffées, et richement habillées, dans les Cours étrangères, pour y porter les modes françoises des habits » ; plus loin, il cite encore ces « figures proprement habillées et coîfées, soit d’homme, soit de femme, qu’on envoye dans les Païs étrangers pour y apprendre les modes de la Cour de France ». Notons aussi qu’elles permettent aux habilleuses de comprendre l’ordre des vêtements à enfiler, les laçages, etc. À la fin du siècle, Louis-Sébastien Mercier dit à son tour que c’est de Paris que les marchandes de modes « donnent des lois à l’univers ».

De Versailles, Marie-Antoinette envoie elle aussi des poupées habillées à ses sœurs Marie-Christine, restée à Vienne, et Marie-Caroline, reine de Naples. Dans une lettre datée du 7 janvier 1771, la reine dit à la première : « J’ai sur le champ ordonné à une de mes femmes […] de faire exécuter votre double commande. Vous aurez une poupée avec les étoffes de Lyon. » Dans une autre lettre du 17 avril 1786, la reine dit à nouveau à Marie-Christine : « Je vous envoye les étoffes les plus nouvelles de Lyon ; que je voudrais vous voir parée de tout cela ! Je viens d’envoyer à notre sœur de Naples une cargaison de poupées coiffées et habillées, c’était superbe. »

Barbie Versace, 2004
© Mattel

À Venise, Carlo Goldoni clame dans « Quelques observations sur les modes » de ses Mémoires, écrits entre 1784 et 1787 : « La mode a toujours été le mobile des François, et ce sont eux qui donnent le ton à l’Europe entière, […] en habillemens, […] en coêffure, en toute espèce d’agrémens ; ce sont les François que l’on cherche par-tout à imiter. » Et peu après, l’homme de théâtre dit précisément que le ton français est donné par celle que l’on appelle à Venise la piavola di Franza (la poupée de France), qu’il décrit en ces termes : « À l’entrée de chaque saison, on voit à Venise, dans la rue de la Mercerie, une figure habillée [un manichino abbigliato], qu’on appelle la Poupée de France ; c’est le prototype auquel les femmes doivent se conformer. »

En 1788, à Vienne, le baron Risbeck, dans son Voyage en Allemagne, écrit : « On suit généralement ici les usages françois. On fait venir des poupées de Paris, afin que les dames puissent en imiter le costume. »

En 1791, on retrouve même une poupée de Paris en Amérique. Dans un texte attribué à William Livingstone, premier gouverneur du New Jersey, l’auteur s’interroge sur les modes, regrette les vêtements confortables qu’il portait dans le comté de Bergen et se plaint de « la rage inextinguible pour les parures étrangères ». Il évoque alors « la poupée complètement accoutrée pour montrer la nouvelle mode », envoyée de Paris à Londres, puis de Londres en Amérique, comme étant responsable de ces bouleversements vestimentaires.
(…)

Barbie s’inscrit ainsi dans une longue histoire. Toutefois, si elle a porté des toilettes, parfois remarquables, c’est dans le but de renouveler sans cesse le succès de la poupée. Telle est la véritable différence entre la figurine américaine et la poupée de mode du XVIIIe siècle, bien que toutes deux soient ancrées dans une volonté de marketing : chez Barbie habillée, c’est la poupée qui joue le rôle majeur ; aux siècles précédents, c’est l’inverse : les habits somptueux doivent être vus, admirés et achetés ; la poupée n’est qu’un support.

« Barbie et l’histoire du jouet », par Anne Monier

Une petite histoire de la poupée

(…)

Barbie Sonia Rykiel, 2009
© Mattel

La poupée de Marguerite, que décrit la comtesse de Ségur dans Les Petites Filles modèles en 1857, si belle et richement parée, est une poupée de mode typique du XIXe siècle, rêve de toutes les petites filles, mais piètre compagne de jeu. Trop précieuse, trop fragile, trop sophistiquée et trop éloignée du monde de l’enfance, la poupée de mode vit sa popularité décliner à la fin du XIXe siècle, après un très long règne sur le marché de la poupée.

Perchée sur une étagère ou rangée dans une armoire, « objet d’admiration muette », comme l’écrit Charles Baudelaire dans Morale du joujou, la poupée de mode était rarement confiée aux mains des enfants – à la différence de Barbie, habillée, déshabillée et manipulée, à la merci de l’imagination des plus petits. Le lien entre Barbie et ses ancêtres du XIXe siècle réside dans leur relation avec la mode, fil conducteur de l’histoire de la poupée. Barbie, poupée mannequin par excellence, s’inscrit en effet dans une longue tradition de la poupée de mode. Héritières des poupées destinées, au cours du XVIIIe siècle, à présenter la mode féminine parisienne à travers l’Europe, les rares poupées pour enfants du XVIIIe siècle, ainsi que celles du début du XIXe siècle, représentaient des femmes très richement parées. À cette époque, la mode pour enfant n’existait pas et les enfants portaient, comme leurs poupées, des vêtements d’adulte en miniature. Les corps des poupées n’étaient pas réalistes, mais s’adaptaient à la forme des vêtements à la mode dont la poupée était habillée.

Barbie day to night, 1985
© Mattel

Les poupées dont il est question ici, et dont l’évolution sera étudiée, sont des poupées manufacturées et vendues. Au XIXe siècle, elles étaient peu nombreuses et réservées aux familles aisées. Les enfants des classes plus populaires jouaient avec des poupards ou des poupées de chiffon fabriquées à la maison, par eux-mêmes ou par leurs parents, dont la réalisation était très éloignée des considérations sur la mode de l’époque.

Si les poupées servant à promouvoir les créations des marchands de mode cédèrent majoritairement leur place, à la fin du XVIIIe siècle, aux gravures de mode, plus faciles à diffuser, certaines ont subsisté. Ainsi, au début du XIXe siècle, la frontière était fine entre la poupée mannequin, la poupée jouet très bien habillée et la poupée de mode destinée aux femmes adultes. Ces distinctions s’avéraient poreuses, une poupée mannequin passée de mode pouvant être donnée comme jouet à un enfant.

Barbie Lancel, 2013
© Mattel

La métamorphose des poupées, qui à partir du milieu du XIXe siècle prirent progressivement des visages d’enfants, répond à deux évolutions. Tout d’abord, la disparition des poupées chez les couturiers, liée à l’invention de la haute couture par Charles Worth, qui ouvrit sa maison à Paris en 1858. Le couturier, devenu créateur et non plus simple exécutant de la volonté de ses clientes, faisait porter ses robes à sa femme, pour leur donner plus de vie et de dynamisme. Le succès des toilettes ainsi mises en valeur marqua la naissance du mannequin en chair et en os. Parallèlement, les parents commencèrent à manifester leur mécontentement face aux frivoles poupées parisiennes, autre nom de ces précieux jouets accusés d’encourager les fillettes à devenir des femmes superficielles.

Barbie Sophia Webster, 2014
© Mattel

Si le Second Empire représente l’âge d’or des poupées de mode, dont les luxueuses garde-robes aux innombrables accessoires n’avaient rien à envier aux élégantes de l’époque, les années 1870 et 1880 virent l’apparition de poupées à la morphologie et aux visages plus juvéniles, habillées comme des enfants, suivant la mode enfantine plus pratique et moins contraignante qui se développe durant ces décennies.

Les poupées et leurs toilettes ne perdirent pas pour autant leur caractère luxueux. Des maisons comme Jumeau, Bru ou Huret commercialisaient ces précieux articles aux têtes de porcelaine, qui s’exportaient comme témoignages du raffinement et du savoir-faire français.

La révolution Barbie

(…)
Ruth et Eliott Handler avaient créé Mattel avec Harold Matson en 1945. La marque, qui fabriquait de petits jouets en plastique, boîtes à musique, pistolets factices, etc., connaissait un certain succès. Ruth n’arrivait cependant pas à convaincre le reste de l’équipe de réaliser son idée de poupée mannequin en trois dimensions, alors même que Mattel cherchait un créneau novateur et original pour entrer sur le marché de la poupée. La raison invoquée officiellement était celle du coût de réalisation d’une telle poupée, qui aurait nécessité de la faire produire en Asie, ce à quoi Mattel n’était pas prêt. Les réticences d’une équipe exclusivement masculine à réaliser une poupée ressemblant à une adulte et dotée de seins constituent néanmoins certainement la vraie raison expliquant les difficultés rencontrées avant la naissance de Barbie. Il ne faut pas oublier que, dans les années 1950, être une femme d’affaires signifiait être une pionnière, et que Ruth Handler était la seule femme dans un milieu masculin.

Ruth et Eliott Handler, années 1960
Photo des archives Mattel
© Mattel

(…) Barbie, nommée d’après Barbara Handler, fit ses premiers pas à la Foire du jouet de New York le 9 mars 1959.

La réception de Barbie

Ruth Handler entourée de poupées Barbie et Ken, années 1960
Photo des archives Mattel
© Mattel

À cette foire, Barbie ne connut pas le succès escompté, les professionnels du marché du jouet semblant, tout comme les cadres de Mattel, gênés par les seins de la poupée, et penser que les petites filles se contenteraient des poupées à materner déjà disponibles.

Une fois Barbie en magasin, le succès fut en revanche immédiat, sans même l’appui de la campagne publicitaire qui avait été prévue. L’optimiste Ruth Handler, qui avait prévu de faire fabriquer 20 000 poupées par semaine, dut tripler sa production, sans pouvoir pour autant réussir à satisfaire la demande avant 1962. Barbie était par ailleurs le premier jouet à se vendre aussi bien, voire mieux, après Noël qu’avant.

Rapidement, Mattel dut mettre en place un secrétariat pour Barbie, afin de répondre à ses nombreux admirateurs, Barbie recevant autant de courrier qu’une star hollywoodienne. La création du fan club suivit. Ce succès vint en partie de la mythologie créée autour du personnage de Barbie, présentée avec son histoire racontée dans des petits romans publiés dès les années 1960, sa famille, ses amis, son petit ami (dont les jeunes filles ont réclamé la création auprès de Mattel quelques années après l’apparition de Barbie), ses activités, etc. Sa personnalité n’est pas assez forte pour empêcher l’enfant de projeter sur Barbie tout ce qu’il souhaite, mais cette histoire fait de Barbie plus qu’un simple jouet et explique qu’aucune de ses rivales n’a réussi à la détrôner. Car Barbie a fait de nombreuses émules : Sindy, son alternative britannique sortie dans les années 1960, Petra, vendue en Allemagne au même moment à un prix moins élevé que celui de Barbie, Perle, concurrente française des années 1980, etc.

Barbie Instagram @Barbiestyle, Passage des panoramas, 2015
© Mattel

Barbie s’est également imposée par la publicité et la télévision. Dès 1956, Mattel fut sponsor de l’émission américaine pour enfants The Mickey Mouse Club ; la marque peut ainsi s’adresser directement aux enfants, devenus prescripteurs et consommateurs, alors que les jouets étaient auparavant choisis par les parents, sur les conseils de vendeurs. Cette stratégie permet également de doper les ventes de jouets et de résoudre le problème de la saisonnalité des ventes autour de Noël. Les publicités rythment la vie de Barbie, en mettant en avant chaque nouveau personnage de son entourage, ou chaque nouvelle activité.

Si la diffusion de Barbie fut rapide aux États-Unis, son succès international fut plus lent.

« Barbie, Miroir de son temps », par Anne Monier

L’évolution générale de Barbie

« How we see, Lindsay (gold) », Laurie Simmons, 2015
© DR

Barbie, en tant que symbole de la société de consommation, a dû essuyer de nombreuses critiques, les principales portant sur l’essence même du jeu avec Barbie, c’est-à-dire l’identification et la projection. Barbie étant le support grâce auquel la fillette imagine, par le jeu, sa future vie d’adulte, certains adultes ont pu s’émouvoir de voir des enfants s’identifier à une poupée aux mensurations irréalistes (rappelons que le corps de Barbie n’a pas été pensé pour être réaliste, mais pour pouvoir être facilement habillé, tout comme celui des poupées de mode du XIXe siècle), oubliant que la puissance imaginative des enfants leur permet d’animer dans leurs jeux de nombreux objets, sans pour autant croire que ces objets sont réels ou vivants. Souvent attaquée, Barbie a beaucoup évolué pour répondre à ces critiques, et présente une évolution générale semblable à celle de notre société.

En 1959, Barbie détone dans le paysage des poupées, qui proposent à la petite fille un rôle de maman. Ruth Handler souhaite faire de Barbie un modèle de jeune femme glamour et refuse donc que Barbie soit mariée ou mère de famille. Barbie s’inscrit ainsi en marge des rôles offerts aux femmes à cette époque, et certains craignent que la poupée ne remette en cause l’importance du rôle maternel pour les femmes. Barbie peut même incarner, à sa naissance, une alternative à l’image omniprésente de la femme esclave des corvées ménagères.

Barbie change parallèlement à l’évolution du rôle de la femme. Dès le début des années 1960, elle a des carrières (infirmière, hôtesse de l’air, employée de bureau), qui se diversifient au cours de la décennie (astronaute, professeur). En choisissant leur poupée Barbie, les petites filles ont donc la liberté de choisir qui elles souhaitent être.
(…)

Barbie, 1959
© Mattel

Barbie est le témoin de l’évolution du rôle de la femme, mais également celui de la place que prennent progressivement les loisirs dans la société. Après la Seconde Guerre mondiale, la logique de l’articulation entre temps libre et travail s’inverse. La seconde moitié du XXe siècle voit triompher les loisirs, désormais considérés comme du temps gagné sur le travail, du temps à chérir et à mettre à profit. Le fait que la première Barbie soit en maillot de bain et que le thème de la plage ait autant d’importance dans son univers va de pair avec la démocratisation des vacances d’été à la fin des années 1950 dans les pays occidentaux. Au cours des décennies, Barbie est ainsi commercialisée occupée à toutes sortes d’activités : tennis, camping, bateau, ski, etc.

Progressivement, Barbie se met également à célébrer la diversité. Dès 1967, une version afro-américaine de Francie, la cousine de Barbie, est commercialisée.
(…)

Barbie et le Zeitgeist

Barbie vit un nouveau changement majeur en 1977, avec un nouveau corps, un visage souriant et amical, qui vont perdurer pendant une vingtaine d’années. Il s’agit de Barbie Superstar, qui annonce les supermodels des années 1980 et 1990, et représente le moment où le monde de la mode et celui du divertissement se mélangent définitivement. Barbie Superstar possède un corps conquérant, lié à une image de féminité puissante qui domine dans les médias à cette époque. C’est également le moment où s’impose le fameux rose Barbie, répertorié par Pantone sous la nuance 219C. L’influence de Barbie Superstar est telle qu’elle finit par incarner l’image même de Barbie dans l’imaginaire populaire, gommant ainsi les nombreux autres aspects de la poupée.
(…)

Chloé Ruchon, « Barbiefoot », 2009
Collections du musée des Arts décoratifs
© MAD / photo : Jean Tholance

En l’an 2000, Barbie connaît un rajeunissement pour mieux coller à l’air du temps. Alors qu’en 1959 la Teenage Fashion Model de Mattel jouait à être une femme plus âgée, comme le rêvait alors les jeunes filles, au tournant de l’an 2000 c’est la société entière qui rêve d’être adolescente. Le nouveau corps de Barbie, plus mince et juvénile, la rapproche des stars de l’époque, comme Britney Spears, qui n’a pas encore vingt ans. La jeunesse devient une obsession.

Parallèlement, de nombreuses poupées Barbie font référence à des films mettant Barbie en scène, très souvent dans des rôles de princesse. Cette multiplication des Barbie princesses fait également écho à la tendance du monde du spectacle et de la mode à se tourner vers le fantastique et le merveilleux, afin de contrer la morosité de l’époque, dominée par la crise économique. Les stars se déguisent, les super-héros reviennent sur le devant de la scène, et la fantasy envahit le cinéma et la télévision.
(…)

Barbie source d’inspiration

En tant qu’icône, Barbie est très souvent représentée, voire détournée dans la culture populaire. De la même façon, Barbie fait de nombreux clins d’œil à la culture populaire, avec des éditions limitées comme Barbie & Ken Star Trek en 1996, Barbie Marilyn Monroe dans 7 ans de réflexion en 1997, Barbie & Ken X Files en 1998, Barbie Sandy de Grease en 2004, la série de poupées sur le thème du Magicien d’Oz en 2009, etc.

Barbie et Ken « Star Trek », 1996
© Mattel

Il est impossible de recenser toutes les apparitions de Barbie dans les médias, tant elle est omniprésente. Quelques exemples soulignent qu’il s’agit d’un aller-retour permanent entre Barbie et la culture populaire. Lorsque le groupe Aqua sort en 1997 son titre Barbie Girl, succès planétaire, Mattel attaque la maison de disque en justice pour son utilisation de Barbie. En 2009 cependant, le titre est repris, avec des paroles modifiées, dans des publicités pour Barbie, signe que Barbie est capable d’une autodérision typique de l’époque.

De même, en 2009, pour fêter les cinquante ans de Barbie, le designer Jonathan Adler réalise du mobilier inspiré de son univers pour une poupée en édition limitée, des objets à taille humaine prenant Barbie comme source d’inspiration, ainsi qu’une suite au Palms à Las Vegas offrant l’illusion d’une nuit dans la maison de Barbie.

Enfin, Barbie est présente à plusieurs reprises dans la série américaine Mad Men, où elle apparaît comme un cadeau important à faire à un enfant. En parallèle, une série limitée de Barbie inspirée par Mad Men est commercialisée en 2010.

Barbie est également un moyen d’exprimer des problématiques autour des enfants. En tant que jouet incontournable, souffrant parfois des préjugés liés à son image de poupée mannequin, elle peut être utilisée pour traiter de sujets se rapportant au genre ou à l’éducation, comme dans Niels, Barbie et le problème du pistolet de Kari Tinnen (2011). Pour son anniversaire, Niels peut choisir le jouet qu’il veut dans le magasin. Il désire une Barbie, mais son père préférerait qu’il choisisse un pistolet… Pourquoi les petits garçons ne pourraient-ils pas, aussi, jouer avec Barbie ? Dans un épisode de la bande-dessinée Phoebe and the Pigeon People de Jay Lynch et Gary Whitney (1980), des parents progressistes expliquent qu’au lieu de la Barbie que leur fille désirait, ils lui ont offert une boîte à outils, afin de lui permettre de dépasser les stéréotypes liés au genre. La petite fille ne se sent pas concernée par les préoccupations de ses parents, et rejoue avec ses outils une scène classique de séduction entre Barbie, en clé à molette, et Ken, en marteau.

Barbie « Grease », 1996
© Mattel

L’icône Barbie est ainsi une source d’inspiration, au premier comme au second degré. L’importance qu’elle a dans la culture populaire explique également qu’elle soit tournée en dérision. Des multiples interprétations de Barbie sans maquillage aux poupées victimes de violences conjugales de Sam Humphrey, en passant par les poupées arrangées par Marianela Perelli et Emiliano Paolini pour leur série Plastic Religion (2014), chaque nouveau détournement de Barbie défraie la chronique et fait le tour d’Internet. La photographe Mariel Clayton, par exemple, met Barbie en scène dans des situations bien éloignées de l’univers habituel de la poupée (suicide, meurtres, scènes de sexe avec ou sans accessoires), mais qui ne sont pas non plus sans rappeler les tortures que les enfants peuvent parfois faire subir à Barbie pendant leurs jeux. De même, dans sa série In the dollhouse (2012), Dina Goldstein raconte la longue descente aux enfers de Barbie, de ses premiers doutes quant à l’homosexualité de Ken jusqu’à la confirmation de ses soupçons et sa fin tragique. Jocelyne Grivaud, quant à elle, traite Barbie avec affection dans Barbie, ma muse (2013), en réinterprétant d’importantes œuvres de l’histoire de l’art, avec notre icône comme sujet principal.

Barbie inspire également de nombreux artistes, comme en témoigne son portrait par Andy Warhol en 1986. C’est de façon détournée que Barbie aurait intégré le cercle des icônes américaines déjà représentées par le pape du pop art, telles Marilyn Monroe, Elizabeth Taylor ou la bouteille de Coca-Cola. Alors qu’Andy Warhol voulait faire le portrait de son ami le styliste et grand collectionneur de Barbie BillyBoy, celui-ci lui aurait répondu : « Si tu veux faire mon portrait, fais celui de Barbie, car Barbie, c’est moi ». BillyBoy qualifie le portrait de Barbie de motif warholien ultime : un objet de grande consommation à visage humain. Cette œuvre, l’une des dernières de l’artiste, fait de Barbie une icône absolue.
(…)

« Les coulisses de Barbie », par Aurore Bayle-Loudet

Interview de Robert Best, directeur en chef du design de Barbie.

Comment s’organise votre travail sur Barbie ?

Making of, Mattel
© Mattel

« Je suis directeur de la conception de Barbie (Barbie design), mon équipe conçoit les différentes lignes de la collection Barbie, de celles pour enfants aux éditions limitées pour collectionneurs. Pour les poupées de collection, nous collaborons régulièrement avec des licences et des marques extérieures, sur proposition de la franchise en question, ou bien après une demande de notre part. Dans chacun des cas, il s’agit d’un travail collaboratif, tant au sein de l’équipe chez Mattel qu’avec la marque qui accepte de travailler pour Barbie. De manière générale, pour décider ce que Barbie portera, nous effectuons un travail de veille et de repérage en amont : nous constituons des panneaux d’inspiration avec des images puisées dans l’actualité culturelle, les dernières tendances, etc. C’est un travail qui se rapproche vraiment de ce qui se fait dans la mode ; cette première étape constitue une base à partir de laquelle nous réalisons des croquis qui contiennent des idées brutes de ce que la poupée portera, la manière dont elle sera coiffée et maquillée. Nous nous inspirons de tendances globales – un motif, une couleur, une coupe –, mais sans jamais imiter exactement les modèles que nous avons sélectionnés. Nous devons sentir l’air du temps, non le dupliquer. Les propositions évoluent, puis vient l’étape de la mise en volume : nous collaborons avec des fabricants de tissus, enfin nous créons des échantillons miniatures des vêtements de la poupée. Ce premier modèle peut être plus ou moins abouti ; il n’est accepté qu’une fois validé par tous les maillons de la chaîne, aux États-Unis comme dans les usines à l’étranger. C’est vraiment une responsabilité partagée. Barbie doit être représentative de son époque mais surtout nous devons garder à l’esprit qu’il s’agit avant tout d’un jouet pour enfants. »

Vous maîtrisez parfaitement les rouages du monde de la mode : cela vous aide-t-il dans votre travail pour Barbie ?

Barbie Instagram @Barbiestyle, Palais de Tokyo, 2015
© Mattel

« Je travaille chez Mattel depuis vingt ans et auparavant j’étais assistant de conception dans une maison de mode à New York. Je voulais changer et j’ai intégré Mattel. Je pensais n’y rester qu’une année puis faire autre chose. Dès mon arrivée, mon expérience dans la mode m’a donné envie de ramener Barbie à la réalité. J’aimais son univers rose et un peu excessif mais elle semblait avoir glissé dans un univers plus fantastique. Ces évolutions se justifiaient par ce que cherchaient les petites filles, mais il me paraissait intéressant de trouver un plus juste équilibre entre réalité et rêve. C’est ce qui est passionnant dans mon parcours chez Mattel : mon travail a évolué au cours des années, et aujourd’hui j’ai la chance d’avoir une vue d’ensemble sur le processus de conception de Barbie. À travers ses tenues, nous dessinons ses carrières, les étapes de sa vie, et plus largement toute l’histoire de Barbie. Par exemple, c’est quelque chose que nous mettons aujourd’hui en œuvre sur Instagram (@Barbiestyle). C’est un défi passionnant car, après tout, ce n’est qu’une poupée, elle a des limites physiques que nous essayons de masquer le plus possible, et c’est cela qui rend le projet amusant. »

Vous sentez-vous responsable de l’impact de Barbie ?

Barbie Instagram @Barbiestyle, Paris, 2015
© Mattel

« Les personnes qui travaillent chez Mattel sont toujours surprises du pouvoir de cette petite poupée. Barbie est un symbole très fort et c’est la raison pour laquelle je ne prends pas cette responsabilité à la légère. À mes yeux, elle fait partie des rares icônes très américaines : à l’image d’une marque mythique comme Coca-Cola, elle est immédiatement reconnaissable, presque légendaire. Sa seule évocation ravive immédiatement un souvenir ou une émotion. D’un bout à l’autre de la planète, les gens ont des histoires à partager sur Barbie, généralement positives. C’est pourquoi nous avons une responsabilité si importante : les enfants gardent ce souvenir de Barbie toute leur vie. Même s’il ne s’agit que de leur apporter un peu de joie sur une courte période de temps, je suis fier de pouvoir le leur offrir. »

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