L’accessoire de mode qu’est l’éventail est depuis fort longtemps (et surtout au XVIIe-XVIIIe siècle), le support privilégié de thèmes iconographiques représentant entre autres des scènes de la vie quotidienne, mais également le témoignage d’évènements contemporains à leur fabrication. La Révolution française fut l’un d’eux et suscita une riche production. Les éventails révolutionnaires présentent souvent une feuille gravée, le plus souvent traitée dans un style populaire et naïf. Au cours des années 1789 à 1793, les matières des montures sont l’os et le bois aux essences variées. Les villes productrices d’après les archives sont Andeville et Méru, villages de l’Oise qui traditionnellement s’adonnaient à cette activité.
Les éventails sont alors le reflet des opinions du temps et peuvent présenter des idées sur le ton humoristique comme le montre l’éventail « L’émigrette et Coblence », daté vers 1790-1793. Il s’agit ici d’une critique envers les aristocrates ayant fui la France pour se réfugier à Coblence. Lors de l’été 1791, marqué par l’arrivée des princes de sang (le comte de Provence et le comte d’Artois, tous deux protégés par leur oncle l’électeur Klemens Wenzeslaus de Trêve), la ville de Coblence devient le symbole de la résistance contre-révolutionnaire avec l’appui des autres monarchies européennes. Sa situation géographique, au bord du Rhin et donc proche de la France, en fait une réelle menace pour le nouveau gouvernement français. Coblence attire donc de nombreux émigrés français pro-monarchistes formant une importante colonie. La ville rebaptisée Coblentz devient une véritable notion politique à l’aide de laquelle on stigmatise verbalement tous les adversaires de la Révolution. On retrouve donc sur l’éventail, la ville symbolisée par un fort situé au-delà du Rhin, gardé par des troupes militaires. Au centre, le roi de Prusse et l’empereur autrichien s’entretiennent avec un émigré jouant au yo-yo. Apparu en 1791, ce jouet avait pour nom « l’émigrette », car il était fort populaire dans les couches aisées de la société française et notamment chez les émigrés aristocrates qui le découvrirent en Angleterre, où on le nommait « bandalore ». Appréciés par les émigrés, les émigrettes étaient courantes à Coblence si bien qu’elles furent parfois appelées « jouet de Coblentz ». Elle se diffuse ensuite très rapidement en France en conservant ce nom « d’émigrette ».
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L’autre éventail reprend quant à lui, les paroles de la célèbre chanson révolutionnaire La Carmagnole composée en 1792 au moment de la chute de la monarchie. On sait combien à la fin du XVIIIe siècle, les chansons et autres textes populaires ont joué un rôle important dans la diffusion des idées révolutionnaires. Selon Henry d’Allemagne (Les accessoires du costume et du mobilier, 1928, t.1, p.88) : « C’est l’Italie qui vit naître, à la fin du XVIIIe siècle la mode d’inscrire des mélodies sur les éventails : lorsqu’un morceau d’opéra ou une « canzonetta » obtenait la faveur du public, les éventaillistes italiens s’empressaient d’en consacrer la vogue en les notant sur les éventails de spectacle. En France, la Révolution s’empara de cette idée et, en 1789, les éventails reproduisirent, en même temps que les principaux événements politiques, les chansons composées en leur honneur ». Il faut rappeler cependant avec le « Supplément » au Dictionnaire de l’Académie que le nom de carmagnole fut « donné d’abord à une espèce d’air et de danse, ensuite à une forme particulière de vêtement, puis aux soldats nationaux qui le portaient, ou qui chantaient des carmagnoles ; enfin à certains rapports faits au sein de la Convention nationale, et que l’auteur nommait ainsi ». (1798, t.1, p.767)
Ces deux éventails, par les thèmes iconographiques de ces années 1790, viennent enrichir de manière significative les collections révolutionnaires du département mode et textile.