Penser l’habitation
En France, depuis la fin de la Seconde
Guerre mondiale, les pouvoirs publics
s’interrogent sur l’adéquation entre
les politiques d’urbanisme et le vécu
des habitants. De nouveaux projets
sont lancés par l’État, les municipalités
ou encore les partis politiques, qui
nourrissent un débat sur la ville,
le quartier et l’habitat. Le monde
de la culture s’empare également
de la question, dès la fin des années
1940 avec plusieurs grandes expositions
qui introduisent le sujet à l’instar de
l’Exposition internationale de l’habitation
et de l’urbanisme. Le sujet devient même
muséal en 1972, lorsque le musée des Arts
décoratifs organise l’exposition « Paysages
urbains ». Le projet « socio-photographie »
engagé en 1983 par la société Maisons
Phenix et Marc Netter s’inscrit pleinement
dans ces perspectives de réflexion.
Une enquête socio photographique
dans les années 1980
En avril 1983, Marc Netter, commissaire
d’exposition et fondateur d’une
agence de communication, invite six
photographes à porter leurs regards
sur la ville nouvelle de Carros. Sabine
Weiss, Jean Dieuzaide, Bernard Gille,
Guy le Querrec, Emil Schulthess
et Jacques Winderberger dressent,
au-delà d’une représentation de la ville
et de son architecture, une typologie des
grands moments de l’existence humaine :
de l’enfance à la vieillesse, de la rue
à l’intimité de la maison, du contexte
politique aux relations familiales. Chacun
d’entre eux s’intéresse à la fonction
sociale de la photographie en suivant
le quotidien des habitants. Infrastructures
urbaines et architecturales sont la toile
de fond de ce photoreportage qui parvient
à capter le contexte social de l’époque,
où affiches et tags transcrivent les
inquiétudes nationales et internationales
comme l’avancée du nucléaire ou les
questions de laïcité. Au cœur de ces
moments de vie, la Maison pour
tous, association similaire aux maisons
des jeunes et de la culture, est le lieu des
échanges et de dialogue sur la collectivité
dans la ville.
Les habitants dans l’œil des photographes
La journaliste Colette Etcheverry se rend
sur place pour écouter et documenter
le quotidien, les rêves, les espoirs, mais
aussi les craintes et les désillusions des
Carossois. Aucun des photographes
présents à Carros n’étant sociologue, il est
intéressant d’observer ce qui focalise leur
attention et la manière dont ils choisissent
leurs compositions, établissent des
séries photographiques, construisent
une narration, sélectionnent les
moments et les sujets. Les photographes
appliquent leur vision personnelle
de la photographie ; Jean Dieuzaide
se passionne pour l’architecture et Sabine
Weiss tend à capter la vie quotidienne
des foyers.
Une ambition pour la photographie
Le photoreportage fait, la même
année, l’objet d’un colloque lors
des Rencontres d’Arles regroupant
photographes, sociologues,
philosophes, architectes et personnalités
politiques. Ils s’interrogent sur la nature
même de la photographie et le rôle
du photographe comme pourvoyeur
d’images. La notion de photographie
documentaire est alors au centre des
débats, posant alors l’interrogation
suivante : la photographie peut-elle
servir d’instrument pour la sociologie,
la société, le citoyen ? L’exposition
replace cette enquête visuelle dans
l’histoire de la photographie, donnant
une importance nouvelle à ces images.