La quête de modèles
Dès sa fondation, l’Union centrale des
beaux-arts appliqués à l’industrie envisage
la photographie comme un « art appliqué à
l’enseignement et à la vulgarisation », une
ressource pour inspirer les ouvriers et les
artisans. Comme dans les institutions
similaires qui émergent au même moment
dans toute l’Europe, les photographies
sont acquises afin d’améliorer
la production nationale et régénérer les
arts décoratifs. La technique alors récente
doit en effet renouveler les ressources
offertes par le dessin et la gravure. Ces
nouveaux modèles, que l’Union centrale
reçoit en don, achète ou produit grâce
à son laboratoire photographique, sont
alors accessibles à la bibliothèque,
située sur la place Royale, actuelle
place des Vosges, au cœur du quartier
manufacturier. Elle accueille dessinateurs,
peintres, décorateurs, sculpteurs,
architectes, couturier, bijoutiers ou encore
ébénistes. Elle s’enrichit progressivement
d’albums iconographiques, commencés
vers 1887 par le bibliothécaire Alfred
de Champeaux et par le collectionneur
Jules Maciet. Les pratiques liées à ces
albums sont uniques dans le champ
des bibliothèques d’art puisqu’il est
possible d’y calquer des motifs librement
pour les reprendre ou les réinterpréter
ensuite, ce qui est interdit dans les autres
bibliothèques.
L’autre et l’ailleurs
L’industrialisation et le développement des
échanges et des mouvements à l’échelle
internationale modifient la perception
du temps et de l’espace au XIXe siècle.
Les photographies accompagnent
ce phénomène : elles documentent
les voyages, les découvertes et les
explorations scientifiques, et se font
souvenirs, œuvres d’art ou documents
ethnographiques. Elles sont aussi
les témoins de l’impérialisme et du
colonialisme européen en Afrique
comme en Asie. Avec les objets et les
textiles rapportés par les Occidentaux
– marchands, photographes,
collectionneurs, scientifiques ou membres
d’institutions –, les photographies
sont une façon de découvrir le monde
et de se l’approprier.
La circulation des images profite aux
artistes et aux décorateurs qui y trouvent
d’autres modèles, à la fois exotiques
et universels. C’est la raison pour laquelle
bibliothèques et musées en acquièrent
en abondance. L’Union centrale, qui
accorde une place privilégiée aux arts
islamiques et asiatiques dès sa création,
compte parmi ses membres des
collectionneurs-voyageurs, qui sont
autant de photographes ou d’amateurs
de photographie. Ils lui offrent leurs
collections et les photographies qui
permettent de les contextualiser, créant
ainsi des ensembles documentaires
destinés à un usage artistique, qui relègue
souvent au second plan leurs dimensions
ethnographique, archéologique,
touristique ou politique originelles.
Ruines et fondations
Une volonté nouvelle de préserver
le patrimoine se développe en France
dans les années 1830, héritière de la
Révolution et du romantisme qui ont
engagé un nouveau rapport à l’Histoire.
Saisissant les opportunités offertes par
la photographie, la Commission des
monuments historiques, fondée en 1837,
lance la Mission héliographique en 1851
dont l’objectif est de photographier
le patrimoine en péril sur tout le territoire.
Elle entame alors un processus
d’inventaire et de classement, que
la photographie vient étayer, et marque
la naissance des relations puissantes
entre photographie et architecture.
Les architectes font appel aux
photographes pour documenter leurs
travaux : ainsi les grands chantiers
de restauration, de rénovation
et d’urbanisme sont-ils enregistrés par
l’objectif de photographes qui s’en font
une spécialité.
L’Union centrale s’enrichit de ce
phénomène car plusieurs de ses membres
sont architectes tels Gabriel Davioud,
César Daly ou Lucien Magne. Lorsque
la bibliothèque des Arts décoratifs
s’installe dans l’enceinte du palais
du Louvre en 1904, la proportion
d’architectes parmi ses usagers augmente
considérablement. [...]
Dès la Première Guerre mondiale,
l’institution organise plusieurs
manifestations sur des sujets patrimoniaux
et architecturaux, autant d’occasions
d’accueillir les premières expositions
dédiées à la photographie.
Éditer et documenter la modernité
L’Exposition internationale des arts
décoratifs et industriels modernes à
Paris en 1925 fonctionne comme un
catalyseur non seulement pour le monde
des arts décoratifs, mais aussi pour le
marché de la photographie et de l’édition.
À cette époque, de nouveaux débouchés
s’ouvrent pour les photographes, grâce
à l’essor de la presse, à de meilleures
techniques de reproduction et à une
forte demande d’images. De l’entre-deux-guerres
aux Trente Glorieuses, le métier
de photoreporter et celui de photographe
« industriel » spécialisé dans les vues
d’architecture ou de décoration
connaissent un essor sans précédent.
Ce sont des photographes qui alimentent
en images les revues spécialisées
en répondant à des commandes.
Dans le même temps, la photographie
se voit considérée comme une forme
d’expression artistique à part entière.
Le milieu du graphisme a contribué
à cette reconnaissance comme en
témoigne la publication, à partir de 1930,
par la revue Arts et métiers graphiques,
d’un numéro annuel spécial dédié aux
nouvelles tendances de l’expression
photographique. Le médium fait l’objet
d’audacieuses expérimentations :
photomontages, photogrammes,
surimpressions, solarisations.
Loin de se limiter à des expériences
d’ateliers, ces procédés nouveaux
trouvent leur application dans la publicité,
l’édition et la décoration.
Le Musée des Arts Décoratifs s’en fait
l’écho en accueillant les expositions
de l’Union des artistes modernes en 1930
et 1932, puis « La publicité de demain »
en 1946 et « L’art et la publicité dans
le monde » en 1955.
La reconnaissance de la photographie
Avant les années 1980, la photographie
est peu considérée par les institutions
en France. La Bibliothèque nationale,
sous la direction de Jean Adhémar,
et le Musée français de la photographie
de Bièvres, ouvert en 1964, font figure
d’exception. Le Musée des Arts Décoratifs
qui expose toutes les disciplines, comme
l’architecture, la bande dessinée, les arts
populaires et l’art contemporain, sous
la direction de François Mathey, est
une terre d’accueil pour ce médium,
d’autant qu’il a organisé par le passé
des manifestations importantes,
telle l’Exposition internationale
de la photographie contemporaine
en 1936. À partir de 1955, il lance une
programmation spécifique et présente
notamment Lucien Clergue, Denise
Colomb, Thérèse Le Prat, Gjon Mili ainsi
que les premières expositions en France
sur le travail d’Henri Cartier-Bresson
et de Jacques Henri Lartigue.
Cependant, le musée ne constitue qu’un
lieu éphémère pour les photographes
et peu d’acquisitions sont réalisées,
limitant les traces de ces expositions
temporaires à des tirages collés dans
les albums Maciet, des archives et des
affiches.
Avant les années 1980, la photographie
est peu considérée par les institutions
en France. La Bibliothèque nationale,
sous la direction de Jean Adhémar,
et le Musée français de la photographie
de Bièvres, ouvert en 1964, font figure
d’exception. Le Musée des Arts Décoratifs
qui expose toutes les disciplines, comme
l’architecture, la bande dessinée, les arts
populaires et l’art contemporain, sous
la direction de François Mathey, est
une terre d’accueil pour ce médium,
d’autant qu’il a organisé par le passé
des manifestations importantes,
telle l’Exposition internationale
de la photographie contemporaine
en 1936. À partir de 1955, il lance une
programmation spécifique et présente
notamment Lucien Clergue, Denise
Colomb, Thérèse Le Prat, Gjon Mili ainsi
que les premières expositions en France
sur le travail d’Henri Cartier-Bresson
et de Jacques Henri Lartigue.
Cependant, le musée ne constitue qu’un
lieu éphémère pour les photographes
et peu d’acquisitions sont réalisées,
limitant les traces de ces expositions
temporaires à des tirages collés dans
les albums Maciet, des archives et des
affiches.
Photographier la mode
La photographie de mode semble
souvent incarner à elle seule l’histoire
de la photographie. D’abord rejetée parce
que considérée comme uniquement
commerciale, elle a peiné à trouver
un autre statut que celui de l’illustration
de revues. Pourtant, ses usages sont
pluriels et mouvants au cours du temps :
documentaires, juridiques, publicitaires,
artistiques.
Après la Seconde Guerre mondiale,
la haute couture connaît un nouvel âge
d’or mais ne dispose pas d’institution
faisant oeuvre de conservatoire.
Les professionnels soutiennent alors
la fondation de l’Union française des arts
du costume (Ufac) par François Boucher
en 1948, qui a pour but d’encourager les
études spécialisées et de créer un musée.
Un premier centre de documentation est
ouvert en 1962, comptant des milliers
de photographies – à la fois « témoignage
de l’art photographique et documents »
selon Boucher – en plus des gravures,
dessins, ouvrages et costumes.
Dans les années 1980, la considération
portée à la photographie de mode change
car les galeries et les musées anglo-saxons
commencent à l’exposer. Au même
moment, l’Ufac met à disposition ses
collections pour ouvrir le musée des Arts
de la mode (devenu le département Mode
et Textiles du Musée des Arts Décoratifs).
Signe d’une évolution notable, pour son
inauguration en 1986, des photographies
sont commandées à David Seidner.
Là encore, le phénomène de l’exposition
semble s’accompagner d’un processus
de légitimation parce qu’il confère
à la photographie une visibilité nouvelle.