Introduction
Dans la seconde moitié du XIXe siècle, les musées d’arts décoratifs sont les premiers à constituer des fonds importants d’objets d’art extra-européens, avant même que les musées d’arts orientaux ou extrême-orientaux ne voient le jour. En France, le musée Guimet ouvre ses portes à Paris en 1888 grâce aux collections données à l’État par Émile Guimet (1836-1918). La demeure d’Henri Cernuschi (1821-1896) est transformée en musée accessible au public en 1898, deux ans après la mort de son inventeur. Chacun de ces hommes a voyagé en Asie. La composition de leurs collections poursuit alors d’autres objectifs, ceux de comprendre les civilisations, les religions et la culture des pays d’où ces collections sont issues et d’offrir un panorama de leur évolution depuis leur origine jusqu’aux périodes récentes. Les collections chinoises de l’Union Centrale des Arts Décoratifs participent quant à elles à sa devise, « développer en France la culture des arts qui poursuivent la réalisation du beau dans l’utile ». Elles reflètent avant tout l’engouement et la passion des collectionneurs grâce auxquels elles se sont constituées.
Textiles et costumes
L’intérêt pour les textiles et les costumes chinois précède la création du Musée des Arts Décoratifs en 1882, puisque les premières entrées sont faites par l’Union centrale des beaux-arts appliqués à l’industrie. La collection est constituée, pour plus de la moitié, grâce à l’achat de deux lots : l’un fait à Viault, en décembre 1890, d’une dizaine de pièces de textile, l’autre fait à Vapereau, en février 1891, d’une quarantaine de vêtements et de textiles. De 1891 à 1917, les collections textiles s’enrichissent de manière importante et quasi annuelle, grâce à des achats, des dons et des legs. Pendant la période de l’entre-deux-guerres, ce fonds s’accroît à un rythme plus lent. Hugues Krafft donne des vêtements de grand intérêt : une armure princière et un casque impérial en 1924, puis, en 1933, six vêtements dont une robe de cour (chaopao) princière et une partie de robe impériale non montée, en tapisserie de soie kesi. Après la Seconde Guerre mondiale, le fonds textile s’étoffe encore grâce à des dons, notamment celui de Laura Dreyfus-Barney .
Les textiles sont de formes très hétérogènes : morceaux coupés ou lés de diverses dimensions, peintures de soie peinte, brodée ou tissée (kesi), parties de vêtements brodées et non coupées (bas de robe, bords de manches), paquets d’échantillons, textiles d’ameublement (tentures, éventails de table, portière). Parmi ces pièces, les peintures en tapisserie de soie (kesi) et le carré de soie tissée à motif de rinceaux de lotus – qui formait à l’origine la reliure d’un rouleau impérial– sont remarquables.
Quant à la collection de vêtements, elle est également très riche. Constituée exclusivement de pièces de la dynastie Qing, elle offre un panorama assez complet des divers types de vêtements de cette période.
Céramiques
Avec plus de huit cents pièces, l’ensemble des céramiques est le fonds le plus important, en nombre, des collections chinoises du Musée des Arts Décoratifs. Deux grands groupes se distinguent : la porcelaine dite d’exportation et les céramiques produites pour le goût et le marché chinois. (…)
Le fonds de céramiques d’exportation conservées au Musée des Arts Décoratifs offre un panorama assez complet des réalisations du XVIIIe siècle et peut être comparé à celui conservé dans le Pavillon chinois à Bruxelles. Il est composé principalement des plus de deux cent cinquante pièces provenant du legs de Louise Alexandrine Grandjean (1918) et de la centaine d’objets issus du don de Paul Pannier (1921). Ni l’un ni l’autre n’ont cherché à reconstituer un service complet, mais plutôt à réunir un exemple de chaque décor ou modèle et, en cela, les deux collections sont très complémentaires. (…) La collection de céramiques chinoises du Musée des Arts Décoratifs reflète bien l’évolution du goût, elle-même liée à l’évolution de la connaissance de ce domaine en France. À l’engouement des décors peints d’émaux polychromes délicats et raffinés a succédé celui pour des céramiques soit plus proches du goût lettré hérité des Song (960-1279), soit au contraire du goût pour la production impériale de très grande qualité.
émaux cloisonnés et peints
Au cours des siècles, la technique des émaux cloisonnés a atteint un tel degré de perfection en Chine qu’on a peine à croire qu’elle n’est pas d’origine chinoise. Cette technique voit le jour dans le bassin Méditerranéen mais c’est à Byzance qu’elle se développe à partir du VIIe siècle et qu’elle atteint un premier apogée au XIIe. Elle se serait diffusée de Byzance au sud de la Chine par l’intermédiaire d’artistes byzantins installés au Moyen-Orient au cours de la première moitié du XIIe siècle. En l’absence de textes, telle est l’hypothèse que les objets qui nous sont parvenus nous permettent de bâtir. (…)
La collection du Musée des Arts Décoratifs regroupe près de deux cents objets qui proviennent aux trois quarts de la donation que David David-Weill fit en 1923. À elle seule, la collection David-Weill offre un panorama très complet de l’évolution des émaux chinois de leur apparition à la fin de la dynastie des Qing et l’un des ensembles les plus remarquables de pièces des Yuan ou du début des Ming. Suite à cette très importante donation, le musée du Louvre déposa, quelques mois plus tard, les émaux cloisonnés légués en 1922 par la baronne Salomon de Rothschild, Adèle-Hannah. Composé d’une vingtaine d’objets, cet ensemble, datable de la dynastie Qing uniquement, complète parfaitement celui de David-Weill, notamment les pièces de plus grand format et les pièces de forme rituelles. (…)
La collection de cloisonnés du Musée des Arts Décoratifs est l’une des plus exceptionnelles au monde par la variété des formes et des décors, le nombre de pièces de référence, marquées ou pas, et par le nombre représentatif d’objets de chaque époque en fonction de l’évolution générale de cette production, qui a augmenté sans cesse des Yuan à la fin des Ming.
Bronzes
Les bronzes chinois font partie des objets que l’Union centrale des arts décoratifs achète ou reçoit en don avant même la création du musée en 1882. Le premier est donné par Jules Maciet en 1881, et les deux tiers de la collection conservée aujourd’hui entrent avant 1900. Cet engouement pourrait bien être une conséquence de l’exposition des bronzes japonais et chinois d’Henri Cernuschi, organisée au palais de l’Industrie en 1874. Les mille cinq cents bronzes alors présentés furent rapportés de son voyage autour du monde effectué de 1871 à 1873 avec Théodore Duret. Il s’agissait surtout de bronzes « récents », c’est-à-dire des dynasties Song (960-1279) aux Qing (1644-1912), en comparaison avec les bronzes archaïques des dynasties royales des Shang (vers 1500-1050 avant notre ère), puis des Zhou (1050-221 avant notre ère). Les articles d’Albert Jacquemart dans la Gazette des beaux-arts comparent certains de ces bronzes à ceux de la Renaissance, référence absolue dans le domaine du métal par la maîtrise tant des formes, des drapés, des techniques de fonte que des patines.
Pierres dures
Le fonds de pierres dures s’est constitué principalement grâce à deux donations. En novembre 1933, Jean Knight donna un ensemble d’une trentaine d’objets en agate : près de dix coupes datant pour la plupart du XVIIe siècle et plus de vingt flacons à tabac. En juin 1937, Mme Eugénie Anne-Marie Delicourt donna, en souvenir de son frère Edmond Auguste Thierry, la collection de près de quarante objets en cristal de roche, en jade et lapis-lazuli. La majorité des jades et cristaux de roche de très belle qualité aujourd’hui au Musée des Arts Décoratifs proviennent de ce fonds.
Si les collectionneurs chinois affectionnent tout particulièrement le jade, les collectionneurs européens du XIXe siècle et du premier tiers du XXe ont tout autant apprécié les objets, même tardifs, en cristal de roche, en sardoine, en cornaline, en agate, en améthyste ou en quartz de couleur. La collection du musée n’échappe pas à cette règle. Ces compositions, qui, par le choix du décor, exploitent la polychromie de certaines pierres, ou celles, en cristal de roche, qui associent aux vases un enchevêtrement de lingzhi, étaient particulièrement recherchées. Ces objets étaient toujours présentés sur des socles en bois ou plus exceptionnellement en ivoire sculpté, dont le décor rappelle celui de l’objet. Sans doute parce qu’ils s’accordent avec le goût que les Européens ont toujours eu pour le travail des pierres dures dès la plus haute Antiquité, ces objets chinois font partie des pièces les plus recherchées par les collectionneurs occidentaux, avec les bronzes, les textiles et certaines productions céramiques.
Laques
La collection des laques d’Extrême-Orient du Musée des Arts Décoratifs est sans doute celle qui reflète le mieux la mode dont ces pièces ont fait l’objet dans les deux dernières décennies du XIXe siècle, au moment où se forment les collections du musée. Les laques japonais connaissent alors une très grande faveur des collectionneurs, aussi fervents de ces objets noirs aux décors raffinés, faits de poudres d’or et parfois de nacre incrustée, que d’estampes, de tsuba (gardes de sabre) et de certains types de céramique japonaise que l’on trouve alors chez les marchands Bing et Hayashi. L’exceptionnelle collection de laques japonais du musée illustre bien cette mode indissociable du japonisme.
Verres
Le Musée oriental de l’exposition organisée, en 1869, par l’Union centrale des beaux-arts appliqués à l’industrie, est une des premières occasions en France de rassembler quelques verres chinois d’époque Qing (1644-1912) appartenant à des amateurs, parmi lesquels sont mentionnés le baron Alphonse de Rothschild, le duc de Martina, M. de Vassoigne, M. Riocreux et M. Gasnault. Cette curiosité naissante du milieu des amateurs pour les verres chinois est relayée par les chapitres, même brefs et pleins d’interrogations, que les ouvrages généralistes sur le verre consacrent au sujet, comme ceux d’Édouard Garnier (1886) et d’Édouard Gerspach (1885). Ces auteurs sont également des spécialistes de la céramique, comme le duo fondateur des études sur les arts du feu en France, Alexandre Brongniart et Désiré Riocreux, qui mentionnent des échantillons de verre chinois dans leur ouvrage de 1845. Le premier sinologue français abordant le sujet est par ailleurs Maurice Paléologue dans L’Art chinois paru en 1887.
Livres, gravures, photographies
Dès l’ouverture de la Bibliothèque du MAD en 1864, la Chine est constitutive de ses collections : les livres les plus anciens traitent de récits de voyages, de chinoiseries ou de techniques artistiques, les motifs chinois figurent dans les instruments du renouveau des arts européens que furent les grammaires de l’ornement. Après la redécouverte de l’art chinois lors des Expositions universelles, des ouvrages de référence, historiques ou scientifiques, des catalogues de collections sont acquis grâce à des membres de l’Union Centrale des Arts Décoratifs (UCAD), collectionneurs ou amateurs, ou auprès d’éditeurs et de libraires spécialisés.
Affiches
La révolution de 1949 et l’avènement de la République populaire de Chine firent de l’affiche un outil de propagande dominant du régime et un moyen d’éducation des masses. Tirées en grand nombre, parfois à plus d’un million d’exemplaires, vendues aux particuliers et aux communes, elles étaient placardées jusque dans les contrées les plus reculées, punaisées aux murs des écoles, des foyers, des unités de travail. Les plus petites se collectionnaient. Contrôlées et produites par des organismes d’État, elles répondaient à l’esthétique « acceptable » du réalisme socialiste, définie et imposée dès juillet 1949, à Pékin, lors du Congrès national des artistes et écrivains. Cette esthétique était fondée sur la représentation de modèles politiques et sociaux idéalisés, et l’artiste, soumis aux objectifs du parti communiste, devait mettre son œuvre à la portée du prolétariat. En 1942, dans son discours « Causeries sur la littérature et l’art de Yan’an », Mao Zedong assurait : « L’art pour l’art n’existe pas. L’art au-dessus des classes, un art qui se développerait en dehors de la politique ou indépendamment d’elle, cela n’existe pas. La littérature et l’art prolétarien font partie de la cause de la révolution prolétarienne. Ils sont, comme disait Lénine, « une petite roue et une petite vis » du mécanisme général de la révolution. »
Jouets
En Chine, le jouet a longtemps été fabriqué à la main et est fortement lié à la culture folklorique transmise par les opéras, la littérature et les légendes. Les jouets en argile et brodés représentent personnages et animaux. Les jeux de fléchettes, le jeu du volant, le jeu du cerceau mais aussi la toupie, la crécelle ou encore les jouets en fer-blanc font partie de l’enfance chinoise. Cerf-volant, casse-tête, mah-jong, jeu de go, coffret d’ombres chinoises ont largement traversé les frontières.
Un jouet exceptionnel entré dans les collections en 1937 représente un mariage impérial chinois en miniature : cinquante figurines, parmi lesquelles musiciens, porteurs de lanterne, de palme, de bannière, de palanquin et de cadeaux divers, constituent un cortège féerique.