Contrairement aux décors de chinoiserie en faveur à la Manufacture de Sèvres depuis sa création, cette statuette n’est pas une figure de fantaisie mais un véritable portrait, celui de l’empereur de Chine Qianlong (1736-1795). Il s’inspire d’une aquarelle du père Panzi, jésuite attaché à la cour de Pékin, prêtée à la manufacture par le secrétaire d’État Henri Bertin. Cet important client n’hésitait pas à influer sur les choix artistiques de l’entreprise, suggérant des décors et apportant des modèles. Érudit passionné par la Chine, il fit publier en 1776 les Mémoires concernant l’histoire, les sciences, les arts […] des Chinois dont le frontispice reprenait la transcription en gravure du portrait de Qianlong. Ce portrait aquarellé servit également de modèle pour des tableaux sur porcelaine ; en 1776, l’année même de la sortie du biscuit, une première plaque, peinte par le peintre Charles-Éloi Asselin, était vendue à Louis XVI au prix considérable de 480 livres, suivie de deux autres. Vraisemblablement élaborée au cours de l’année 1775, la figure de L’Empereur de la Chine a été attribuée au sculpteur Josse-François-Joseph Le Riche, modeleur à Sèvres de 1757 à 1801, sans qu’aucun document d’archive ne vienne confirmer cette hypothèse. Le premier exemplaire en biscuit fut vendu en août l’année suivante à la duchesse de Mazarin. L’œuvre était proposée au prix de 72 livres, somme relativement modeste mais qui s’explique par la simplicité de la figure qui requérait sept moules pour sa fabrication, alors que les groupes les plus ambitieux en nécessitaient jusqu’à cent. La production de petite sculpture en biscuit, c’est-à-dire sans couverte, avait assuré à la manufacture le prestige d’un nouveau matériau céramique, à la surface blanche finement polie évoquant le marbre. Son développement à partir du milieu du siècle fut tel qu’en 1757 la Manufacture de Sèvres nomma un directeur de la sculpture, poste tenu jusqu’en 1766 par Étienne-Maurice Falconet (1716-1791), alors remplacé par le peintre Jean-Jacques Bachelier (1724-1806) jusqu’en 1773, puis par le sculpteur Louis-Simon Boizot (1743-1809) qui l’occupa jusqu’à sa mort. Au sein de cette production exportée puis imitée dans toute l’Europe, L’Empereur de la Chine, malgré le prestige de ses principaux acheteurs – la reine Marie-Antoinette, Madame Adélaïde, tante de Louis XVI, la duchesse de Durfort ou l’ambassadeur de Sardaigne… –, connut un succès limité puisque seuls treize exemplaires en furent vendus. L’austérité de ce portrait d’un souverain étranger, empreint d’une ironique sagesse, avait sans doute dérouté les clients, habitués à des créations plus aimables. Mais elle n’avait pas détourné la manufacture de la création de ces effigies de princes de royaumes lointains, puisque en 1787 Boizot modelait la statuette d’une figure en pied d’un jeune Prince de Cochinchine « afin de piquer la curiosité par du nouveau ». Le premier exemplaire fut vendu au roi à la fin de l’année, au même prix que la figure de Qianlong.
B.R.
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Tamara Préaud, « Sèvres, la Chine et les “chinoiseries” au XVIIIe siècle », The Journal of the Walters Art Gallery, n°47, 1989, p. 39-52.
Louis-Simon Boizot (1743-1809) : sculpteur du roi et directeur de l’atelier de sculpture à la Manufacture de Sèvres, catalogue d’exposition, Versailles, musée Lambinet, 2001, Paris, Somogy, 2001.