Japon Japonismes. Objets inspirés, 1867-2018

du 15 novembre 2018 au 3 mars 2019

Dans le cadre de la saison « Japonismes 2018 : les âmes en résonance », le Musée des Arts Décoratifs rend hommage au Japon et à son art et révèle à cette occasion toute la richesse de ses collections qui illustrent depuis la fin du XIXe siècle les relations artistiques entre ces deux grandes nations.

« Japon Japonismes. Objets inspirés, 1867-2018 » met en lumière ce fonds exceptionnel d’art japonais ancien, l’un des plus importants en France, mis en regard avec les créations occidentales japonistes. L’exposition, enrichie de prêts d’institutions, de créateurs et de collections particulières venues tout spécialement du Japon, dit combien cette fascination réciproque a eu d’expressions pendant plus d’un siècle et demi, et qui donne, encore aujourd’hui, toute sa vigueur à l’imagination des artistes.

Hashtag : #Japonismes_MAD

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Commissaire général
• Olivier GABET, directeur du Musée des Arts Décoratifs

Commissaire
• Béatrice QUETTE, conservatrice des collections asiatiques

Commissaires invités
• Noriko KAWAKAMI, journaliste et directrice associée du 21_21 DESIGN SIGHT
• Masanori MOROYAMA, historien spécialisé dans l’artisanat d’art, ancien conservateur en chef honoraire au Musée national d’art moderne de Tokyo

Conseillère
• Junko KOSHINO, créatrice de mode

Scénographie
• Sou FUJIMOTO

Graphisme / signalétique
• Bernard LAGACÉ

Graphisme / communication
• BETC

L’exposition est co-organisée par le Musée des Arts Décoratifs et la Fondation du Japon





Avec la coopération exceptionnelle du Musée national d’art moderne de Tokyo

Présentation

Cet événement permet d’admirer près de 1 400 œuvres d’art couvrant une grande variété de médiums artistiques parmi lesquels : objets d’art et de design, créations de mode, arts graphiques, photographies. Il fait également découvrir l’éclectisme des styles, des goûts et des créations qui ont donné tout leur éclat contemporain à ce patrimoine. Dans une scénographie confiée à Sou Fujimoto, de la nouvelle génération d’architectes minimalistes japonais, ce projet, déployé sur 2 200 m2 sur trois niveaux de l’aile de Rohan, s’articule autour de cinq thématiques : les acteurs de la découverte, la nature, le temps, le mouvement et l’innovation.

Hiroshige Utagawa, estampe « Le temple de Kinryuzan à Asakusa », Série des « Cent vues célèbres d'Edo », Japon, 1856
Hiroshige Utagawa, estampe «  Le temple de Kinryuzan à Asakusa  », Série des «  Cent vues célèbres d’Edo  », Japon, 1856
Musée des Arts Décoratifs
© MAD Paris / photo Jean Tholance

Depuis sa fondation, en 1864, le Musée des Arts Décoratifs a été pionnier dans l’initiative de conserver et présenter l’art japonais en France. Il organise, en 1869, la première grande exposition d’art oriental et notamment japonais. Les missions du musée ont été, dès lors, d’acquérir, préserver et exposer les exemplaires les plus remarquables des arts décoratifs d’Orient et d’Occident, en vue d’inspirer les créateurs contemporains. Cet attrait de l’Occident pour la composition des estampes, la préciosité des porcelaines, l’usage des techniques du grès et du métal et la délicatesse des laques, a permis de renouveler la production artistique en Europe dont l’art qui résulte de cette influence est connu sous le nom de Japonisme. Inversement, lorsque le Japon s’ouvre à l’Occident au début de l’ère Meiji, en 1868, il subit son influence : c’est sur cette période charnière que le visiteur débute son parcours.

L’exposition s’ouvre sur « les acteurs de la découverte » de l’art japonais et le rôle des Expositions universelles dans la transmission de cette culture à partir de 1867, date à laquelle le Japon y participe pour une première fois. Les récits et les collections rapportées par des voyageurs et marchands, à l’instar d’Henri Cernuschi, Émile Guimet, Hugues Krafft, Siegfried Bing, Florine Langweil ou Hayashi Tadamasa, ont également participé à la diffusion d’une grande variété d’objets à travers toute l’Europe : laques, céramiques, estampes, bronzes, paniers, peignes, textiles, papiers peints mais aussi katagami, kimono et tsuba.

François-Eugène Rousseau, vase « Mont Fuji », Paris, vers 1884
François-Eugène Rousseau, vase «  Mont Fuji  », Paris, vers 1884
Musée des Arts Décoratifs
© MAD Paris / photo Jean Tholance

La « nature », source d’inspiration chère aux artistes japonais et occidentaux, plonge le visiteur dans l’univers végétal, floral et animal, dont les motifs inspirés par la faune et la flore ont ouvert tout un champ lexical ornemental et symbolique qui a participé au fondement du Japonisme.

Le « temps » et les liens que les japonais entretiennent avec leur propre histoire est illustré à travers le rythme des saisons et la vie traditionnelle à l’époque d’Edō (1603-1868). Les sujets relatifs au quotidien et aux usages, tels que les cérémonies du thé, de l’encens et de la calligraphie ou liés à la spiritualité, convient le visiteur à un moment de contemplation.

En abordant le thème du « mouvement », l’exposition met en exergue la capacité de l’art japonais à saisir l’instant présent et dont les artistes européens se sont emparés. Représenté dans les spectacles de théâtre et de sumo, à travers les costumes, les masques et les estampes, le mouvement s’exprime également par les lignes de certains objets anciens et contemporains. Il se manifeste aussi à travers les échanges commerciaux et artistiques entre la France et le Japon du XVIIe siècle à nos jours. Les productions du mouvement Mingei, à l’exemple du tabouret Butterfly de Yanagi Sori et de la chaise longue en bambou de Charlotte Perriand, en offrent une parfaite illustration.

Charlotte Perriand, chaise longue basculante, Japon, 1940
Charlotte Perriand, chaise longue basculante, Japon, 1940
Musée des Arts Décoratifs
© MAD Paris / Jean Tholance Adagp, Paris, 2018

Enfin, le parcours s’achève avec « les innovations » qui s’illustrent depuis la fin du XIXe siècle avec les procédés techniques japonais traditionnels comme le grès, les laques et le métal et couvrent les domaines du graphisme, des objets et de la mode évoquant ainsi les influences artistiques qui se mêlent aux procédés les plus novateurs. Cette dernière partie convoque les grands noms de la mode des XXe et XXIe siècles ; de Issey Miyake à Junya Watanabe en passant par Paul Poiret, Junko Koshino, Rei Kawakubo (Comme des garçons) et John Galliano.

Vêtement d'armure (jinbaori), Japon
Vêtement d’armure (jinbaori), Japon
Musée des Arts Décoratifs
© MAD, Paris / Jean Tholance

L’exposition fait voyager le visiteur d’Est en Ouest sur 150 ans d’échanges à travers une présentation inédite de par la grande variété des objets qu’elle rassemble et les œuvres d’artistes majeurs japonais et français qu’elle réunit : Hokusaï, Émile Gallé, René Lalique, Shiro Kuramata, Charlotte Perriand, Ikkō Tanaka.

Elle offre également l’opportunité de pouvoir découvrir les œuvres de sept artisans d’art français qui ont participé à l’exposition « WONDER LAB », présentée par HEART & crafts au Musée National de Tokyo en 2017 : Jean Girel, Michel Heurtault, Sylvain Le Guen, Laurent Nogues, François-Xavier Richard, Pietro Seminelli et Nelly Saunier.

Le Musée des Arts Décoratifs, en retraçant les moments forts de cette histoire d’échanges, au cœur de ses collections d’une diversité et d’une qualité remarquable, rappelle l’évidence des regards croisés entre les manifestations esthétiques entre la France et le Japon par-delà les siècles.

Le Japon au Musée des Arts Décoratifs : histoire incessante, passion particulière
Par Olivier Gabet
Jean Carriès, vase, vers 1892
Jean Carriès, vase, vers 1892
Gres émaillé et flammé applications d’or. Musée des Arts Décoratifs
© MAD, Paris / Jean Tholance

Chaque histoire de musée est singulière. En liant, dès sa fondation en 1864, l’enjeu brûlant de la création contemporaine au fleuve plus tranquille du patrimoine, le Musée des Arts Décoratifs ne déroge pas à cette vérité. En plus d’un siècle et demi, certains traits sont plus marquants que d’autres, qui permettraient presque de récrire sous leur prisme unique toute une histoire du musée : la passion du Japon en est un, fort et indiscutable. Depuis 1869, le Musée des Arts Décoratifs a tissé des liens intimes avec la civilisation japonaise, avec tout ce qui fait le Japon, en procède, s’en écarte aussi quelquefois, la tradition et la rupture. Cette année-la, une estampe d’Hiroshige était offerte au musée naissant par Émile Reiber, collectionneur et promoteur de l’art japonais, créateur de modèles pour Théodore Deck et la maison Christofle. Cette acquisition illustre parfaitement la place originale du Japon dans notre institution, alliant l’art japonais et le japonisme, leur influence sur la création occidentale.

Des milliers d’autres œuvres japonaises et japonisantes devaient suivre, aux provenances révélant les affinités de personnalités entre collectionnisme et création, Bing, Hayashi, Burty, Vever et tant d’autres. Plus proche de nous dans le temps, la chaise longue en bambou conçue en 1940 par Charlotte Perriand durant son séjour au Japon nous fut donnée par le Nihon Mingei-Kan en 1985, à l’occasion de la première grande rétrospective consacrée à Charlotte Perriand, voulue par François Mathey et Yvonne Brunhammer. Dans ses Mémoires, Une vie de création, Perriand rappelle que cette icône du design, trait d’union entre la France et le Japon, avait été sauvée des ravages de la Seconde Guerre mondiale par son ami Yanagi Sōri et offerte à son instigation. Comme une boucle bouclée.

Palanquin (Norimono) de la famille des Shoguns Tokugawa, Japon, époque d'Edo, XIXe siecle
Palanquin (Norimono) de la famille des Shoguns Tokugawa, Japon, époque d’Edo, XIXe siecle
Bois laqué noir et or, métal ciselé intérieur tapissé de papier peint. Musée des Arts décoratifs en dépôt au musée de la Voiture et du Tourisme à Compiègne
© RMN-Grand Palais (domaine de Compiègne) / Stéphane Maréchalle

Au-delà des collections, le Japon a également nourri la politique d’expositions sur un rythme soutenu jusqu’en 1914, plus calme ensuite, avant de connaître une reverdie à partir des années 1970. (...) En 1869, c’est le projet monumental du « Musée oriental » : le Japon devient le foyer d’un renouvellement profond de l’esthétique occidentale, mais aussi le puissant vecteur d’un militantisme certain dans le domaine des arts décoratifs. Dans une civilisation où la hiérarchie des arts bien française n’a aucun sens, la noblesse de l’artisanat donne un nouvel élan aux pratiques et aux techniques, bouleversant les préséances, redonnant toute sa place à l’objet d’art.

Dans les années 1900-1910, les expositions d’art japonais se succèdent rapidement dans les nouveaux espaces du musée inaugurés en 1905 dans l’aile Rohan et le pavillon de Marsan. Si peu à peu l’engagement du musée dans l’Art déco puis dans l’aventure moderne de l’UAM se fait plus important entre 1920 et 1950, le tropisme japonais connaît un retour en force à partir des années 1970 avec l’exposition « Ma Espace-Temps du Japon » en 1978 et celles consacrées à la splendeur créative de Issey Miyake en 1988 ou à la poésie de Kuramata Shiro en 1999.

Le Musée des Arts Décoratifs a mis en lumière ses collections chinoises en 2014, puis a rendu un vibrant hommage à la Corée contemporaine en 2015.

Eugène Ogé, affiche « Thé Lombart » Importation Directe, Paris, 1901
Eugène Ogé, affiche «  Thé Lombart  » Importation Directe, Paris, 1901
Musée des Arts Décoratifs
© MAD, Paris / Jean Tholance

Au vu de sa longue relation avec le Japon, le musée a très tôt réfléchi à sa manière de célébrer la date hautement symbolique de 2018, marquant le 150e anniversaire de la naissance de l’ère Meiji, et de montrer au public français un pan entier de ses collections méconnu, voire inconnu. De l’Exposition universelle de Paris de 1867 à l’automne 2018, ce sont tous les domaines d’excellence que porte le musée qui permettent d’approcher au plus juste les deux faces d’un même dialogue, le Japon et les japonismes, avec un « s » légitime tant les expressions en sont variées, du design à la mode, du graphisme aux métiers d’art. Avec jubilation, tous les départements du musée ont travaillé ensemble : il y a peu de sujets aussi fédérateurs que le Japon qui permettent à autant de spécialistes différents de s’exprimer, du jouet à l’affiche, du design le plus pointu à la mode la plus radicale. (…)

L’influence du Japon sur notre propre histoire artistique est un ferment indissociable de la modernité. Quelle culture, quel art ont pu ainsi inspirer des personnalités aussi essentielles et différentes qu’Edmond de Goncourt et Charlotte Perriand, Christopher Dresser et Paul Poiret, Frank Lloyd Wright et John Galliano ? L’amour que notre musée a porté et porte à l’art japonais, son rôle enthousiaste dans sa connaissance, appelait cette mise en lumière méritée.

L’art japonais au Musée des Arts Décoratifs : la politique d’expositions et d’acquisitions de 1865 à 2018
Par Béatrice Quette

Fondé pour être un lieu d’inspiration destiné aux ouvriers, aux créateurs, aux industriels et aux artistes, le Musée des Arts Décoratifs, associé à la bibliothèque, entretient depuis sa création un rapport particulier avec l’art japonais. Pendant les cinquante premières années de son existence, l’importance du Japon est manifeste à la fois par les choix effectués dans sa politique d’expositions et par ses acquisitions. L’institution fait partie des premières, en Europe, à s’intéresser à l’art japonais. Pendant l’entre-deux-guerres, les collections s’enrichissent de plusieurs dons importants. L’institution reconstruit des liens privilégiés avec ce pays au début des années 1970. La création contemporaine japonaise y trouve un lieu d’expression à travers des expositions dont plusieurs font date tandis que la politique d’acquisitions dans les domaines du design, du graphisme et de la mode ne s’est jamais démentie. (...)

Émile Gallé, vase « La Carpe », Nancy, 1878
Émile Gallé, vase «  La Carpe  », Nancy, 1878
Verre bleuté, dit «  clair de lune  » soufflé-moulé et émaillé. Musée des Arts Décoratifs
© MAD, Paris / Jean Tholance

Du « Musée oriental » à l’exposition des « Arts de la femme », 1869-1892

L’année 1869 est décisive dans les liens que l’Union centrale entretient désormais avec l’art du Japon. (...) L’Union centrale organise sa cinquième grande exposition dont la partie rétrospective, le « Musée oriental », présente 6 000 œuvres environ. (…) L’Exposition universelle de Paris en 1878 est importante pour la découverte, par le public occidental, des grès utilisés pour la cérémonie du thé (...)

De 1878 à l’ouverture du musée en 1905, les achats d’objets japonais sont nombreux et fréquents. Ces derniers sont souvent intégrés aux expositions thématiques organisées par l’institution, de celle consacrée au métal en 1880 à celle consacrée aux Arts de la femme en 1892 où la salle XIXe est dédiée « aux arts de la femme en Chine et au Japon ». (…) En 1883 et 1884, l’Ucad accueille généreusement le Salon des artistes japonais pour des expositions de peintures qui doivent montrer les traditions de l’art national. (...)

Par ses choix, l’Ucad vise à constituer une grammaire ornementale, mais aussi à enrichir la collection d’exemples de techniques dont les artistes et industriels peuvent s’inspirer. Elle est l’une des pionnières dans l’intérêt qu’elle porte à l’art japonais. Sa collection devient ainsi une référence en France, en Europe mais également outre-Atlantique. (...)

L’art japonais dans l’aile Marsan : présentation permanente et expositions 1906-1914

Garde de sabre (Tsuba), Japon, XVIIIe - XIXe siècles
Garde de sabre (Tsuba), Japon, XVIIIe - XIXe siècles
Émaux cloisonnés, alliage cuivreux. Musée des Arts Décoratifs
© MAD, Paris / Jean Tholance

En 1905, le Musée des Arts Décoratifs ouvre dans un nouvel espace situé dans l’aile Marsan du palais du Louvre. L’une des grandes salles du premier étage est réservée à l’art japonais. Les objets exposés révèlent le goût et les sujets de prédilection de l’époque : panneaux brodés et étoffes, estampes, porcelaines, grès, bronzes, laques, peignes et tsuba (gardes de sabre). (...) Dès 1906 et jusqu’en 1914, l’art du Japon fait l’objet d’une programmation exceptionnelle d’expositions dont la première a lieu dans la grande nef du musée sur le thème des tissus japonais anciens (1906).

De 1918 à 1970

Au lendemain de la Première Guerre mondiale, les choix des thèmes des expositions s’orientent vers la création française ancienne ou contemporaine, en alternance avec des expositions dédiées à l’art d’autres pays européens essentiellement. En plus de cinquante ans, seules deux expositions, en 1919 et en 1934, sont consacrées au Japon. Les expositions d’arts asiatiques à Paris sont désormais l’affaire du musée Guimet et du musée Cernuschi, qui ont respectivement ouvert en 1889 et 1898. Après le temps du japonisme et des « japoneries » vient celui de l’étude de l’art japonais et des collections qui en montrent l’histoire ou celle de ses religions. Toutefois, l’enrichissement des collections asiatiques et plus particulièrement japonaises du Musée des Arts Décoratifs se poursuit. (...)

De 1971 à nos jours

Kuramata Shiro, tabouret « Acrylic stool with feathers » Japon, 1990
Kuramata Shiro, tabouret «  Acrylic stool with feathers  » Japon, 1990
Acrylique, aluminium, plumes. Musée des Arts Décoratifs
© MAD, Paris / Jean Tholance

Après le traumatisme de la Seconde Guerre mondiale et le temps nécessaire de la reconstruction, la création japonaise fait à nouveau parler d’elle dans les années 1960. L’Exposition universelle d’Osaka, en 1970, marque le retour du Japon sur la scène internationale. Quelques créatrices et créateurs de mode japonais s’installent à Paris. L’arrivée de François Mathey au musée met la création contemporaine à l’honneur. Il programme en alternance des expositions monographiques de peintres, de graphistes, d’autres dédiées à la mode, à la photographie, au design, et des rétrospectives. Il ouvre le sujet des arts décoratifs à toutes les disciplines. Son intérêt marqué pour l’art asiatique, dont l’art japonais, explique sans doute le retour du Japon dans la programmation des expositions à travers plusieurs de ses expressions. (...)

Aujourd’hui, le fonds d’objets japonais anciens témoigne du goût de collectionneurs et de marchands pour un pays dont on ne connaissait que partiellement l’art et l’histoire, mais qui a fasciné par les réponses qu’il donnait aux préoccupations esthétiques en Europe pendant la seconde moitié du xixe siècle et jusqu’aux premières décennies du XXe siècle. (…)

Le Musée des Arts Décoratifs, par les collections qu’il a constituées et continue d’enrichir régulièrement, illustre les liens qu’une institution a su entretenir avec l’art d’un pays étranger. Toutefois, il n’est pas question ici de proposer une conclusion à ce mouvement pendulaire d’influences, mais bien de le faire perdurer. Au Musée des Arts Décoratifs de continuer aussi à en être l’acteur et à ses collections d’en être le témoin.

Les arts appliqués japonais : l’artisanat d’art à l’âge de la modernisation
Par Moroyama Masanori

Modernisation de l’artisanat d’art au XXe siècle, de la seconde moitié de l’ère Meiji à l’ère Taishō

(...) Vers le milieu de l’ère Meiji, les tendances nationalistes s’étendent rapidement à l’ensemble de la culture et un fort mouvement invite à mettre sur le même plan les arts appliqués et les beaux-arts. (...) Cependant, lors de l’Exposition universelle de 1900, symbolisant l’avènement de l’Art nouveau, les arts appliqués connaissent un vif revers. Devenu trop stéréotypé dans l’intention de répondre aux goûts des Occidentaux, il perd de son originalité et ne suscite plus le même intérêt. (…) Au début de l’ère Taishō, lassés des conventions immuables de l’art du thé, les artistes s’inspirent des nouvelles tendances venues d’Occident mais aussi de l’essor de la recherche scientifique et du climat propice aux nouvelles idées. (...)

Le renouveau du monde des arts industriels au début de l’ère Shōwa

(...) Les jeunes artistes Takamura, Yamazaki, Matsuda, Kitahara, Hirokawa, et Kusube Yaichi revendiquent l’abolition du conservatisme traditionnel routinier et prônent une modernisation de l’artisanat (...).

Toujours au début de l’ère Shōwa, au même moment que ces grandes réformes autour de l’artisanat, Yanagi, Kawai Kanjirō et Hamada Shōji créent le néologisme « Mingei », né de l’abréviation de Minshū no tsukau kōgeihin (objets d’art utilisés par le peuple) ou de Minshūteki kōgei. (...) Ils le définissent comme « un art vivant, simple et sain, né de la nature ». (...)

Yamazaki Kakutaro, paravent à deux feuilles « Singes (Saru) », Japon, 1939
Yamazaki Kakutaro, paravent à deux feuilles «  Singes (Saru)  », Japon, 1939
Laque polychrome et maki-e
© Tokyo University of the Arts Courtesy of Tokyo University of the Arts

Les arts industriels au crépuscule de l’ère shōwa

(…) À l’issue de la Seconde Guerre mondiale (fin de l’ere Shōwa), et après la confusion économique et morale des années 1950 jusqu’au début des années 1970, le Japon se dote d’un nouveau système politique et social. L’économie connaît alors une croissance exceptionnelle et les consciences évoluent. Les jeunes artistes et leurs aînés, imprégnés du libéralisme économique, de la démocratie et des tendances contemporaines venues d’Occident en matière culturelle et artistique, proposent un nouveau point de vue sur la vie quotidienne et sur la société. (…)

Les arts appliqués contemporains

Aujourd’hui, les arts appliqués japonais atteignent des sommets grâce aux techniques traditionnelles. (...) Ses créateurs ne se cantonnent pas à l’héritage de techniques d’excellence, ils sont en quête de la forme et du design correspondant à leur époque. Tout en conservant la tradition, ils revendiquent une création originale aux formes renouvelées, et se font les pionniers de l’artisanat d’art moderne. (...) Tant les artistes s’inspirant de la tradition que les artistes modernes prennent aujourd’hui une dimension internationale. Ils portent la culture traditionnelle, essence de l’artisanat d’art japonais, tout en incarnant son renouveau.

Renouveau de l’artisanat et du design dans le Japon d’aujourd’hui, entre tradition et modernité
Par Kawakami Noriko

L’histoire japonaise témoigne de la recherche d’une esthétique et de l’expression d’une sagesse, mais également d’un large éventail de possibilités à travers le travail sur les matériaux et les techniques revisité dans la tradition japonaise du monozukuri (fabrication des choses). La nouvelle génération de créateurs rend aujourd’hui hommage aux expérimentations de ses prédécesseurs dont les enseignements donnent un nouveau souffle à son travail. Intéressons-nous d’abord à l’œuvre d’une personnalité célèbre pour son originalité et pour son influence, le styliste Issey Miyake.

Issey Miyake, « Nihon buyo », Série n°1, Printemps / Été 2016
Issey Miyake, «  Nihon buyo  », Série n°1, Printemps / Été 2016
© Issey Miyake INC. / photo Francis Giacobetti

C’est dans les années 1970 que Miyake développe son activité. Partisan de créer des vêtements à partir de matériaux propres au Japon, il y intègre des fibres synthétiques améliorées par ses soins, ce qui est à l’époque très novateur. Il établit en même temps un lien étroit avec les tisserands et autres fabricants spécialisés de tout le pays. Miyake insuffle un nouvel élan aux techniques traditionnelles de teinture et de tissage alors en voie de disparition, et perfectionne l’art vestimentaire. (...)

L’industrialisation de l’artisanat, un environnement fécond

Il importe toutefois de préciser que ce rapprochement entre savoir-faire traditionnels et technologies modernes ne s’est pas fait en un jour. (...) Charlotte Perriand se rend au Japon en 1940 et parcourt la région du Tōhoku en compagnie de Yanagi Sōri, designer industriel et fils de Yanagi Sōetsu, l’un des fondateurs du mouvement Mingei. Ils se rendent dans la préfecture de Yamagata en novembre 1940 et visitent des villes et villages des zones enneigées. (...) Perriand y découvre la confection d’objets et de vêtements de pluie tressés en paille de riz. Inspirée par les techniques de pliage des couchettes en bois et les coussins tressés, elle crée une nouvelle version de sa chaise longue transformable en fauteuil avec coussin en trois parties. L’enseignement de Perriand, qui s’attache à bâtir un pont entre l’artisanat de ces régions enneigées et le design moderne tout en prenant en compte le climat local, nourrit un terreau propice à penser le XXIe siècle et un avenir lié à l’histoire de l’artisanat. (...)

Thématiques de l’exposition

Les acteurs de la découverte

Attribué à Ogata Kensan, assiette (mukozuke) miniature Japon, époque d'Edo, XVIIIe siecle
Attribué à Ogata Kensan, assiette (mukozuke) miniature Japon, époque d’Edo, XVIIIe siecle
Grès, décor en relief, restauration à la laque d’or (kintsugi). Musée des Arts Décoratifs
© MAD, Paris / Jean Tholance

En acceptant l’ouverture aux principales puissances occidentales entre 1854 et 1858, le Japon met fin à plus de deux siècles d’isolationnisme. Ses échanges avec l’Occident se multiplient et s’accélèrent avec l’avènement de l’ère Meiji (1868-1912). Vitrines des pays industrialisés, les Expositions universelles lui offrent, dès 1867 à Paris, des occasions inégalées de présenter ses savoir-faire aux visiteurs qui s’y rendent par millions. De leur côté, institutions, collectionneurs et marchands organisent des expositions où l’art japonais devient incontournable. Les récits de voyageurs, les critiques et les premiers ouvrages dédiés à l’art japonais participent à sa diffusion et à sa connaissance. En 1865, l’Union centrale des beaux-arts appliqués à l’industrie, ancêtre du MAD, est l’une des premières institutions à exposer l’art japonais. Depuis 150 ans, le Musée des Arts Décoratifs n’a cessé de porter un intérêt majeur au Japon par une politique d’enrichissement de ses collections et d’expositions. Il a été et reste encore aujourd’hui un acteur important de cette découverte.

La nature

L’influence de l’art japonais sur les artistes, les artisans et les industriels français se manifeste dès les années 1860. La nature et sa représentation sont au cœur du japonisme : iris, chrysanthème, bambou, ombelle, nénuphar, papillon, hirondelle, paon, langouste, thèmes chers au Japon, sont alors d’inépuisables sources d’inspiration pour la création d’objets, de textiles, d’affiches, etc.

Peigne (kushi) « Iris », Japon, fin XIXe siècle
Peigne (kushi) «  Iris  », Japon, fin XIXe siècle
Ivoire, nacre et écaille. Musée des Arts Décoratifs
© MAD, Paris / Jean Tholance

Cette section met en regard des objets japonais et français, anciens et contemporains. À la fin du XIXe siècle, les artistes occidentaux adoptent, notamment pour les représentations de paysages, les principes japonais de composition sans perspective et s’inspirent de certains types de format ou de cadrage. Le japonisme évolue de l’Art nouveau à l’Art déco par une plus grande géométrisation des formes et des décors. Il se manifeste également dans la mode, tant par les motifs que par l’adoption de la coupe à plat des kimonos. Aujourd’hui encore, la nature demeure une source d’inspiration importante au Japon.

Le temps

Machi Shunso, « Les blanches nuées voguent sans fin » (vers chinois), paravent à deux feuilles Japon, 1981
Machi Shunso, «  Les blanches nuées voguent sans fin  » (vers chinois), paravent à deux feuilles Japon, 1981
Musée des Arts Décoratifs
© MAD, Paris / Jean Tholance

Au Japon, le temps pourrait se transcrire en une ligne ininterrompue et immuable, telle la transmission des savoir-faire génération après génération. Le temps s’y décline en quatre saisons dont les célébrations rythment la vie quotidienne comme les fêtes liées à la religion Shinto ou au bouddhisme. Le temps joue un rôle essentiel dans les rituels, notamment ceux des cérémonies du thé. Les œuvres littéraires classiques de l’époque de Heian (794-1185), premier âge d’or de l’art japonais, demeurent des sources d’inspiration majeures à l’époque d’Edō et le sont aujourd’hui encore. De leur côté, les Occidentaux admirent la perfection des objets japonais, la patience et le temps nécessaire à leur fabrication et leur beauté intemporelle. Ces objets souvent appelés « bibelots » connaissent un fort engouement, sans pour autant que leurs usages et leurs décors soient compris. Après le temps du japonisme, cette section est dédiée à la compréhension des fonds japonais acquis par le musée et les replace dans le contexte de leur création.

Le mouvement

Netsuke représentant un sage appuyé sur son tigre, Japon, début / milieu du XVIIIe siècle
Netsuke représentant un sage appuyé sur son tigre, Japon, début / milieu du XVIIIe siècle
Ivoire. Musée des Arts Décoratifs
© MAD, Paris / Jean Tholance

Le mouvement est d’abord abordé dans un sens littéral, celui des déplacements, par exemple en palanquin, et ceux, plus codifiés, des spectacles (cirque, sumo, théâtre, danse rituelle) où masques et costumes permettent d’interpréter les évolutions scéniques. Puis sont présentés des motifs figurant le mouvement, ceux des décors de l’école Rinpa, les grues en vol, les vagues, l’écume d’où jaillissent avec force de grosses carpes, celui implicite des éventails et enfin celui que traduit la calligraphie. À l’heure de l’invention et du développement des techniques photographiques, les Occidentaux sont fascinés et saisis devant l’aptitude des artistes japonais à transcrire les gestes pris sur le vif, l’instant capté, et dont le maître incontesté est Hokusai Katsushika (1760-1849) et son œuvre, la Manga.

La thématique du mouvement est aussi représentée à travers des exemples de mobilier ou d’objets d’art. Il est évoqué par les échanges commerciaux et artistiques entre la France et le Japon depuis le XVIIe siècle. (...) Cette thématique aborde également l’exemple du mouvement Mingei, créé en 1925 pour revaloriser les productions artisanales japonaises, et les échanges nombreux qui se sont instaurés entre les créateurs de ce mouvement et le céramiste anglais Bernard Leach, puis entre Charlotte Perriand et la seconde génération du mouvement Mingei.

Yohji Yamamoto, pantalon large, ensemble 2 pièces, collection printemps-été 2008
Yohji Yamamoto, pantalon large, ensemble 2 pièces, collection printemps-été 2008
Gabardine de coton noir. Musée des Arts Décoratifs
© MAD, Paris / Jean Tholance

L’innovation

En plus d’apporter aux artistes de nouvelles manières de composer, de mettre en page le décor, l’art japonais entraîne les créateurs occidentaux à utiliser certains matériaux à des fins artistiques, comme le grès, jusque-là réservé à la vaisselle populaire. Il leur permet aussi de découvrir de nouvelles techniques dans les domaines de la céramique, de la laque, ainsi que des alliages et patines métalliques. Depuis les années 1970, les innovations dans les champs de la mode, de l’objet et du graphisme sont de nature technologique, économique et commerciale.

Les influences mutuelles entre la France et le Japon et les échanges entre ces deux pays prennent des formes multiples qui se renouvellent sans cesse. Aujourd’hui, dans un monde globalisé, l’innovation réside dans les façons dont artisans, artistes, designers et industriels, japonais ou français, pensent et conçoivent leur métier et leur collaborations.

Le catalogue
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