Apprentissage et débuts
En 1885, Jules Chéret écrit à Henri Béraldi, dans le cadre de la préparation des Graveurs du XIXe siècle : « Je suis né à Paris en 1836 et ne suis pas parent du décorateur. J’ai été mis en apprentissage comme écrivain lithographe à 13 ans et demi mais ayant un certain don pour le dessin et un vif désir de sortir d’un métier qui ne me convenait pas et dans lequel je perdis quatre belles années, j’étudiai, observai, appris par moi-même à dessiner. »
Pour reconstituer les débuts de Chéret, on doit s’appuyer sur les écrits de ses contemporains qui l’ont fréquenté et ont recueilli ses souvenirs. Selon Camille Mauclair, après son apprentissage, Chéret entre chez Bouasse-Lebel, qui est une grande maison d’imprimerie et d’édition lithographiques, spécialisée dans l’imagerie religieuse, de l’image pieuse au canon d’autel. Ce n’est plus le « maussade travail » d’écrire des lettres à l’envers sur la pierre lithographique, mais ce n’est pas encore satisfaisant pour Chéret rêvant d’y reporter ses propres compositions. Vers 1855-1857, il travaille à l’imprimerie Simon Jeune où il dessine ses premières affiches, c’est-à-dire quelques affiches de librairie. Mais Ernest Maindron ajoute que Chéret lui-même ne s’en souvient plus avec précision. En 1855, Chéret signe ses premières illustrations dans un autre genre, tout aussi répandu à l’époque, les couvertures de partitions musicales : pour La Dryade, il s’agit d’une scène pastorale et pour Elmina, d’un encadrement décoratif, dans le goût romantique, tiré en brun sur fond teinté. Ces deux pièces présentent une qualité qui fait oublier que leur auteur est un jeune dessinateur en grande partie autodidacte ; elles montrent également très tôt deux directions que l’on retrouve au fil du temps dans le travail de Chéret, la représentation de scènes et l’ornementation.
Chéret, Rimmel, les fleurs
Il n’y a malheureusement pas de travaux commerciaux pour Rimmel dans le dépôt légal de l’imprimerie J. Chéret avant 1869, date à laquelle est enregistré un modèle d’éventail Rimmel’s programme fan destiné au Gaitey Theatre de Londres. Rimmel fait ainsi sa publicité tout en finançant l’édition de programmes de théâtre en Angleterre. Il s’agit ici d’un encadrement ornemental, autour d’un espace laissé vierge pour « repiquer » les textes des différentes prestations, comportant les deux figures allégoriques du Théâtre et de la Danse, auxquelles s’ajoutent lyre et trophée avec masques. C’est un bel exemple de composition décorative dont on trouve maintes variations dans l’œuvre de Chéret.
Pour Rimmel encore, Chéret imprime la couverture du volume Souvenirs de l’Exposition déjà cité, et apporte une contribution dans Le Livre des parfums (1870), éditions française et belge du Book of perfumes, sous la forme d’une illustration en noir dans le corps du texte8, du frontispice et de cinq planches chromolithographiques. Intitulées respectivement L’Odorat, Fleurs européennes et Fleurs exotiques, trois d’entre elles représentent des fleurs, en guirlandes ou en bouquets.
L’affiche
Mais la grande spécialité de Chéret sera l’affiche. Elle est largement majoritaire dans l’ensemble de son dépôt légal. Chéret a-t-il eu très tôt l’idée de se spécialiser dans l’affiche illustrée ? C’est ce qu’il affirme rétrospectivement et notamment à Béraldi : « [À Londres] l’idée me vint d’exploiter à Paris cette spécialité en profitant des machines nouvellement inventées tirant à bon marché de grands formats. Je m’appliquai à créer un(e) mode artistique produisant en peu de couleurs le plus grand effet décoratif possible ». Et lorsque Béraldi lui soumet avant publication, le texte du catalogue, Chéret acquiesce mais propose d’ajouter (en parlant de lui à la troisième personne) : « M. C. a résolu le problème de produire avec le moins de frais possible un maximum d’effet décoratif. Ses affiches sont en un sens un véritable enseignement ; c’est ainsi qu’il a su faire chanter et harmoniser la note brutale du rouge (qui est la couleur la plus voyante et tire-l’œil) par des combinaisons que nous avons observées chez les Japonais, ces maîtres décorateurs. Ses affiches sont produites généralement par trois impressions superposées : une en noir, établissant le dessin bien accusé plein de brio et habilement composé pour recevoir en certaines places l’enluminage [sic] de la tache rouge qui vient fondre et harmoniser un fond gradué les tons froids (bleus et verts) en haut et chauds dans le bas. »