Architectures de papier. Dessins de Piranèse à Mallet-Stevens

du 26 mars au 21 juin 2015

À l’occasion du Salon du dessin qui consacre son thème à l’architecture, le cabinet des arts graphiques du Musée des Arts Décoratifs présente pour la première fois dans les murs du Musée Nissim de Camondo une sélection de ses plus belles feuilles. Le visiteur pourra admirer la richesse et la diversité du dessin d’architecture, qu’il témoigne d’un moment clef du processus de création ou du produit fini destiné à convaincre le client, qu’il se présente comme un tableau d’architecture destiné au Salon ou comme une fantaisie tirée d’un carnet personnel ou même qu’il constitue la bibliothèque visuelle de l’étudiant d’architecture. Le dessin d’architecture reflète également la diversité de ses objets : résolution de problème de structure, réinterprétation de décor archéologique, description de processus industriel ou travail de paysagiste. Toutes ces feuilles, acquises, données ou léguées au Musée des Arts Décoratifs au fil des siècles, permettent de nous plonger au cœur d’un monde étrange et fascinant, bien plus varié qu’on ne pourrait l’imaginer.

Robert Mallet-Stevens (1886-1945) : Projet de maison de campagne pour Jacques Doucet, vers 1924

Robert Mallet-Stevens, (1886-1945), « Projet de maison de campagne pour Jacques Doucet », vers 1924
Robert Mallet-Stevens, (1886-1945), «  Projet de maison de campagne pour Jacques Doucet  », vers 1924
Encres sur papier bristol, 56,7 x 46,7 cm, inv. 38603 A13
© ADAGP, Paris / Photo MAD, Paris

En 1924, le couturier et collectionneur Jacques Doucet commande à Robert Mallet-Stevens un projet de maison à Marly. Dessin destiné à être exposé et publié, véritable carte de visite pour l’architecte, développant une identité graphique originale, cette feuille doit permettre à l’architecte de se faire reconnaître et apprécier de ses futurs clients dans la lignée du recueil qu’il publia en 1922 sous le titre Une Cité Moderne. La blancheur du papier sert à souligner la nudité caractéristique des murs du mouvement moderne. En même temps, Mallet-Stevens se place en héritier des Viennois de la Sécession : juxtaposition des volumes, fenêtres verticales, richesse décorative, goût pour le vitrail, ferronneries d’art et statuaire antique que l’on retrouve dans le palais Stoclet que Josef Hoffmann réalisa pour un oncle de notre architecte. À cela se mêle la découverte du mouvement hollandais De Stijl qui le poussa vers plus d’asymétrie dans la disposition de ses volumes. La vue en perspective, le trait d’encre tracé à main levée dont l’épaisseur ne varie pas, l’absence de texture des murs, la blancheur des baies, qui normalement apparaissent comme des noirs béants, le caractère abstrait de la végétation, seule touche de couleur du dessin, mettent en valeur la valeur cubiste de cette architecture de volumes qui ne fut jamais réalisée.

Filippo Juvarra (1678-1736) : Premier projet pour la chapelle Saint Hubert à la Venaria Reale, Turin, vers 1716

Filippo Juvarra (1678-1736), « Premier projet pour la chapelle Saint Hubert à la Venaria Reale, Turin », vers 1716
Filippo Juvarra (1678-1736), «  Premier projet pour la chapelle Saint Hubert à la Venaria Reale, Turin  », vers 1716
Plume et encre brune, 15,9 x 31,3 cm, inv. CD 73
© MAD, Paris

Voulue par Victor Amédée II de Savoie, la chapelle Saint-Hubert du palais de la Venaria Reale près de Turin fut construite par Filippo Juvarra de 1716 à 1729. Ce dessin constitue un exemple parfait d’esquisse architecturale par laquelle l’architecte couche sur le papier ses idées pour en tester la validité. Ici, il s’agit de juger de l’effet de la silhouette de la chapelle palatiale dans son environnement immédiat : une grande avant-cour au premier plan, sur la droite l’extrémité de l’aile du palais, et derrière un vaste parc et les montagnes du Piémont. Après avoir songé à une façade à ordre colossal, sans dôme et encadrée de deux tours, Juvarra développe une élévation à la romaine à deux niveaux surmontés d’un haut tambour et d’un dôme élancé, jamais réalisé, dont le lanternon aurait dépassé la hauteur du palais. Deux exèdres permettent de relier les portiques avec le corps de la chapelle de plan centré et donnent une profondeur dynamique à la composition. La plume dépose l’encre brune avec précision, les nuages sont indiqués, les figures peuplent le dessin et les ombres sont suggérées par de subtiles hachures. Juvarra, formé comme graveur à Messine en Sicile, possède le sens du détail et de la lisibilité. Tout est réalisé rapidement, à main levée : ce qui compte c’est l’insertion, les effets de masse, les distances et les rapports des parties les unes avec les autres. Cette esquisse témoigne parfaitement d’une étape essentielle dans la création architecturale.

Gilles-Marie Oppenord (1672-1742) : Projet pour la maison de Pierre-Nicolas Gaudion, vers 1732

Gilles-Marie Oppenord (1672-1742), « Projet pour la maison de Pierre-Nicolas Gaudion », vers 1732
Gilles-Marie Oppenord (1672-1742), «  Projet pour la maison de Pierre-Nicolas Gaudion  », vers 1732
Encre noire, encre métallo-gallique, lavis d’encre sur papier chiffon, 131 x 152 cm, inv. 19128
© MAD, Paris

Fils d’un ébéniste du roi, Oppenord se forma en Italie avant de revenir à Paris où il conduisit un certain nombre de travaux pour l’Église tout en menant une fructueuse carrière d’illustrateur. À partir de 1713, il travaillait pour le duc d’Orléans au Palais Royal, au château de Saint-Cloud et à l’église Saint-Sulpice. Anobli en 1722, il perdit cependant son illustre protecteur l’année suivante et se tourna alors vers le mécénat de financiers parisiens. C’est à ce milieu qu’appartenait Pierre-Nicolas Gaudion, trésorier de la Marine, pour lequel Oppenord édifia un hôtel dans le Marais en 1732 pour la construction duquel le Musée des Arts Décoratifs acheta en 1913 auprès de Paul Blondel un certain nombre de dessins de travail. Dans cette coupe de l’escalier et de la salle à manger, l’encre de Chine détache les ferronneries sombres des rampes d’escalier, les ombres faites de hachures révèlent le graveur, le décor au graphite est pensé en même temps que l’architecture et l’artiste ménage des transparences en intégrant la vue du jardin dans le dessin. Entre dessin de présentation destiné au maître d’ouvrage, dessin de travail sans cesse remanié et dessin d’exécution pour les ouvriers, cette extraordinaire feuille témoigne avant tout de la maîtrise par Oppenord des outils graphiques dans un trait à la fois précis et libre.

Louis-Pierre Baltard (1764-1846) : Vue intérieure de l’église Saint-Sauveur, vers 1783

Louis-Pierre Baltard (1764-1846), « Vue intérieure de l'église Saint-Sauveur », vers 1783
Louis-Pierre Baltard (1764-1846), «  Vue intérieure de l’église Saint-Sauveur  », vers 1783
Plume et encre de Chine, lavis, aquarelle et rehauts de gouache, 43 x 36,5 cm, inv. PE 372
© MAD, Paris

L’église Saint-Sauveur, une église du XIIIe siècle reconstruite à la Renaissance, située dans le quartier des financiers parisiens, menaçait ruine à la fin du siècle des Lumières. Bernard Poyet, architecte contrôleur des Bâtiments de la Ville de Paris fut choisi en 1784 pour la reconstruire entièrement. Les travaux, interrompus en 1791, ne reprirent jamais. Poyet propose une église à l’antique en prévoyant une nef séparée des bas-côtés par dix colonnes corinthiennes soutenant un entablement continu portant une voûte à berceau décorée de caissons imités de ceux du Panthéon de Rome. Le chœur se présente comme une large abside semi-circulaire contenant en son centre un autel éclairé par un oculus dont la vue était dissimulée des fidèles. Louis-Pierre Baltard, futur architecte du palais de justice de Lyon, est alors élève de l’Académie d’architecture et se distingue par ses qualités de dessinateur. Poyet lui a sans doute commandé ce tableau d’architecture afin de célébrer son projet. Exagérant les effets de contraste de lumière, accélérant la perspective, enveloppant l’église dans des effets de fumée, Baltard s’inscrit dans l’esthétique du sublime pratiquée par les suiveurs de Piranèse comme Desprez, De Wailly ou Boullée et s’accorde avec une architecture religieuse qui tend de plus en plus vers le primitivisme.

Alfred-Nicolas Normand (1822-1909) : Sol de l’atrium, maison pompéienne, 1861

Alfred-Nicolas Normand, « Sol de l'atrium, maison pompéienne », 1861
Alfred-Nicolas Normand, «  Sol de l’atrium, maison pompéienne  », 1861
Graphite, plume, encre noire, aquarelle, gouache, 56 x 48,5 cm, inv. CD 2808.14
© MAD, Paris

La maison édifiée en 1860 avenue Montaigne pour le prince Napoléon, fils cadet du roi Jérôme, comme lieu de fêtes, de réception et de retraite, dédié au théâtre, à la musique, aux arts et à la littérature, représente l’apothéose de la mode pompéienne en France. Avec la tragédienne Rachel comme maîtresse des lieux, Gautier, Gérôme ou Ingres comme protégés, le prince Napoléon commanda à l’architecte Alfred-Nicolas Normand, auteur d’une étude remarquée sur la maison du Faune de Pompéi, la construction de sa demeure dont la quasi-totalité des dessins de conception et d’exécution ont été donnés au Musée des Arts Décoratifs par Paul Normand, le fils de l’architecte. Pour la génération de ceux que l’on qualifia bien vite de « néo-Grecs », suivant Labrouste et Hittorff, la maison pompéienne devait démontrer la modernité d’une architecture archéologique revivifiée par l’emploi de la couleur, comme le prouve ce dessin du sol de l’atrium, la cour intérieure qui constitue le cœur de la maison antique. L’extraordinaire beauté des dessins de présentation fait fonction de manifeste pour cette nouvelle architecture, qui ne dura pas le temps d’une génération, l’édifice étant détruit en 1891.

Achille Duchêne (1866-1947) et Brabant : Jardin de rêve : Intérieur de cratère en Islande, théâtre de verdure, après 1935

Achille Duchêne (1866-1947) et Brabant, « Jardin de rêve : Intérieur de cratère en Islande, théâtre de verdure », après 1935
Achille Duchêne (1866-1947) et Brabant, «  Jardin de rêve : Intérieur de cratère en Islande, théâtre de verdure  », après 1935
Pierre noire, rehauts de blanc, 41,9 x 59,5 cm, inv. CD 3027.84
© MAD, Paris

Fils du jardinier Henri Duchêne, celui que l’on surnomma « le prince des jardins » fut le plus grand paysagiste français de la Belle Époque. Admirateur de Le Nôtre, il remodela les jardins classiques de Vaux-le-Vicomte, de Courances ou de Bleinheim, mais réalisa également des jardins urbains pour la haute société européenne et anglo-saxonne. Sa veuve fit don au Musée des Arts Décoratifs d’un très important fonds de ses dessins de présentation, dessiné par son collaborateur, Brabant, qui employait le plus souvent la pierre noire rehaussée de blanc afin d’accentuer les effets de contraste et de perspective. Dans les années 1930, devant la raréfaction des commandes, Duchêne se tourna vers l’édition, publiant en 1935 un recueil, Les jardins de l’avenir. Ce dessin, qui devait paraître dans la suite intitulée Jardins de rêve, témoigne de l’imagination fertile et du goût pour le merveilleux de Duchêne, loin de la sévérité trop souvent associée au jardin à la française.

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