François Décorchemont exposa ses premières pâtes de verre au Salon des Artistes français de 1903. Ses formes comme ses décors furent d’abord marqués par le naturalisme de l’Art nouveau puis, dès l’immédiat après-guerre, par la stylisation et la géométrisation progressive des feuilles, fleurs et fruits qui composaient son répertoire. Au cours de l’année 1920, les motifs en haut relief qui jusqu’alors structuraient les formes se réfugièrent dans les anses, tandis que le corps de ses pièces se libéra pour laisser libre cours au développement des motifs. Bien que non présenté lors de l’Exposition internationale des arts décoratifs et industriels modernes de 1925, ce Grand Vase deux anses feuilles peut être considéré comme l’un des exemples les plus accomplis et les plus significatifs des exigences de sobriété, d’élégance et de rigueur décoratives, auxquelles la notion de modernité est désormais associée. Deux crosses de fougère entièrement stylisées et géométrisées déterminent l’équilibre des volumes. De longues feuilles animent verticalement la surface en un rythme continu et répétitif, restituant avec vigueur l’empreinte du modèle en plâtre taillé et incisé qui donne forme à la cire puis au verre. Dans cette recherche de simplification formelle, la matière devient à elle seule un décor, animé de nuées et de coulées, rappelant les effets naturels des pierres semi-précieuses minérales et des matières organiques (telles l’ambre ou l’écaille). L’ornement vit en transparence et par les seuls jeux de lumière selon un principe décoratif confrontant effets de surface et de profondeur. Ce modèle fut exécuté en huit exemplaires entre 1925 et 1927. L’exemplaire « blanc vert brun » conservé au Musée des Arts Décoratifs, le premier de la série, fut réalisé en novembre 1925 et acheté par Louis Barthou, homme politique français, collectionneur et bibliophile. Sept pièces de François Décorchemont et un exceptionnel ensemble de verres de Maurice Marinot (voir p. 158) furent légués par Louis Barthou au Musée des Arts Décoratifs en 1934. Membre du Salon des Artistes décorateurs, Décorchemont exposait au sein du groupe des Artisans français contemporains, créé par la galerie Rouard, son principal diffuseur à Paris, autour des plus grands céramistes (René Burthaud, Auguste Delaherche, Émile Decœur, Émile Lenoble, Jean Mayodon, Georges Serré, Henri Simmen), verriers (René Lalique, Henri Navarre) et tabletiers (Georges Bastard, Eugénie O’Kin) de l’époque. Ses recherches bénéficièrent de ces réseaux d’échanges, se renouvelant à leur contact, s’enrichissant du rapprochement des domaines et des matériaux, et contribuant au développement du style moderne de ces années.
V. A.
Véronique Ayroles, « Un artiste-décorateur et sa galerie au XXe siècle : François Décorchemont et la maison Rouard », Revue de l’art, n° 118, 1997-4, p. 56-68
Véronique Ayroles, François Décorchemont, un maître de la pâte de verre 1880-1971, Paris, Éditions Norma, 2006.