Sur une idée de Marie-Noël de Gary, François Mathey, alors conservateur en chef, crée le cabinet des dessins en 1974. La collection elle-même se constitue dès les années 1880, peu après la fondation de l’institution. Des donations légendaires d’éminents amateurs d’art sont à sa source telles celles de Jules Maciet, auteur du projet utopique d’encyclopédie par l’image, ou encore Philippe de Chennevières, l’un des plus célèbres collectionneurs. Des achats judicieux en vente publique (1885, 1891, 1896) complètent ces générosités comme ceux des dessins de meubles d’André Charles Boulle, d’une grande rareté, en raison de l’incendie qui détruit son atelier en 1720.
Les artistes et leurs descendants ont également largement contribué à enrichir le Cabinet par des dons majeurs, comme Auguste Rodin qui donne huit de ses dessins en 1908, ou bien Jean Dubuffet, Jean Royère et Emilio Terry qui offrent au musée des ensembles complets issus de leurs fonds d’atelier, apportant un éclairage capital sur les étapes du processus de création et révélant l’intimité des artistes. En plus d’un siècle et demi s’est ainsi constituée une collection d’exception dans laquelle brillent les noms des plus grands maîtres et créateurs. Ces pièces uniques voisinent avec des séries, qui sont l’une des signatures du musée : projets de papiers peints Art nouveau, katagami (pochoirs japonais), bijoux Art déco. 4. 3.
Déployée au niveau 3, l’exposition propose un dispositif original en reprenant la formule d’un abécédaire servie par une scénographie évoquant l’univers des réserves, et avec elle, le versant mystérieux des musées : les œuvres sont ainsi présentées avec fantaisie dans leurs caisses de transport. Le parcours se prolonge dans les galeries permanentes en se terminant par la Bibliothèque pour une déambulation au plus près de la création.
L’architecture (A) inaugure ce parcours avec un recueil de relevés de Jacques Androuet Du Cerceau, précieux témoignage de la Renaissance sur l’architecture antique, et pour le XXe siècle, l’iconique pavillon du Tourisme de Robert Mallet-Stevens pour l’exposition de 1925, que complètent les compositions oniriques d’Emilio Terry. Si les dessins d’architecture tiennent une place considérable, c’est également le cas de leur corollaire évident : les décorations intérieures. Ainsi, le décor (D) est évoqué par les études de plafonds de Charles Le Brun et Charles de La Fosse, récemment attribuées donc inédites, ainsi que de Claude III Audran. Le Cabinet des Dessins conserve également le Recueil des décorations intérieures de Percier et Fontaine mais aussi les projets conçus par de grands ensembliers (E) à l’instar de Francis Jourdain, Robert Mallet-Stevens et Pierre Chareau dont le bureau-bibliothèque de l’ambassade française à l’exposition de 1925 trouve sa réalisation grandeur nature dans le musée.
La passion immodérée pour le XVIIIe siècle, typique du Goût Goncourt (G), s’exprime avec les œuvres de Carle Van Loo, François Boucher sans oublier Jean Honoré Fragonard. Le fonds de dessins de mobilier (M) se distingue par des études d’armoires d’André Charles Boulle jusqu’au Tube Chair de Joe Colombo en passant par les œuvres de Jacques-Émile Ruhlmann et de Jean Royère.
La joaillerie et la mode trouvent leur plus charmante expression dans la section séduire (S), qui rassemble des précieux ensembles de bijoux par René Lalique et Alphons Mucha, et des projets de robes de Victor Lhuer pour Paul Poiret, récemment identifiés, mis en regard de la robe Mosaïque (vers 1910) réalisée par le couturier. Pour la première fois sont montrés les dessins du fonds de Marguerite Porracchia, dont le crayon a secondé les pensées de Jeanne Lanvin. Enfin, c’est aussi l’opportunité de célébrer la splendeur de la capitale (V comme Vie parisienne) qu’illustrent avec virtuosité les dessins de Jules Chéret pour Les Coulisses de l’Opéra au musée Grévin ou le Décor pour le ballet de Cléopâtre par Léon Bakst.
L’exposition affirme une vision transversale et résolument pluridisciplinaire ; on y rencontre les projets de grands et petits maîtres pour les jardins, la sculpture, la peinture, les objets, l’orfèvrerie et les papiers peints. Elle est aussi l’occasion de dévoiler les récentes découvertes, touchantes pour certaines, spectaculaires pour d’autres. Parmi celles-ci figurent des maquettes inédites pour les décors du pavillon Une ambassade française à l’exposition internationale des arts décoratifs et industriels modernes de 1925. Les plus spectaculaires sont, sans aucun doute, le pastel à taille réelle Étude pour un cheval d’Albert Besnard (1883) et le modèle redécouvert de Jean Souverbie pour le grand escalier monumental du théâtre national de Chaillot (1937), tous deux restaurés à cette occasion.
140 ans après la première grande exposition consacrée aux dessins de décoration et d’ornement des maîtres anciens présentée par le Musée des Arts Décoratifs au palais de l’Industrie en 1880, « Le dessin sans réserve » invite à découvrir l’incroyable diversité d’une collection unique qui ne cesse de s’enrichir. Elle propose d’en préciser l’histoire et les contours et d’envisager l’avenir d’un fonds né pour fournir des modèles aux artistes, et qui illustre à lui seul la création de ces six derniers siècles.