Pierre-Paul Prud’hon (1758-1823), encore appelé le « Corrège français », suscite l’émoi le plus vif, lorsqu’au tournant du siècle - l’imaginaire peuplé de références italiennes où scintillent, Raphaël et Vinci, le cœur nourri de l’affection et du talent de Canova – il propose des œuvres graphiques érotiques et sombres, poétiques et sensuelles. À la manière de fragments, dans une alliance équilibrée entre pierre blanche, fusain, papier bleu/gris, elles rendent compte d’un talent singulier. Les marqueurs du travail créateur de Prud’hon y figurent et témoignent d’une signature esthétique aisément reconnaissable : noblesse d’attitude des modèles aux profils antiques abandonnés, à la physionomie accentuée et ardente (le soin apporté aux lignes des épaules est remarquable) ; ton des chairs, vues comme au travers d’une gaze, couleur « clair de lune » où l’épiderme se fait presque cotonneux ; musculatures contractées, mobiles, frémissantes, mais, dans le même instant, demeurées silencieuses. Et partout, recouvrante, la lumière, s’imposant au profit du balancement des lignes et des chromes. Jamais, cependant, la fermeté du contour des formes n’est contrariée. C’est tout l’inverse qui s’opère quand la volupté et la grâce des corps semblent soudain surgir d’un nuage, comme le rappelle l’historien Charles Blanc.
En 1832, le voyage initiatique d’Eugène Delacroix (1798-1863) au Maroc crée la césure quand le peintre accompagne la mission diplomatique française auprès du sultan Abd Al-Rahman. Et là, au fil du périple, l’artiste devenu dessinateur et ethnographe, consigne ses impressions au format de notes, croquis ou aquarelles, constituant, de cette manière, un répertoire iconique inépuisable de formes et de couleurs témoignant de sa passion pour un Orient aussi réel qu’il est fantasmé. Comme Charles Cournault (1818-1904), l’un de ses élèves et ami, et d’autres peintres à son époque, Delacroix est séduit par l’artisanat de l’Afrique du Nord. Lors de ses pérégrinations, mais aussi dans le cadre d’échanges parisiens, il fait l’acquisition d’objets orientaux, qui, conservés dans son atelier, fonctionnent à la manière d’un réservoir d’idées. Fragments de cuir, séries de textiles, faïences, armes ou bijoux, ils fabriquent du souvenir et nourrissent son inspiration. Les études conservées au Département des Arts graphiques évoquent ce goût en faveur de l’objet, de la science équestre et de l’esthétique des tissus. Selles, sacoches, lanières pour harnachements, étriers et mors sont étudiés de près. L’œil du maître, passionné de couleurs, rehausse le trait graphite de touches légères au lavis d’aquarelle. À la façon d’un cahier d’observations, des traits font saillie, désignant les motifs décoratifs premiers. Associés à des légendes à la graphie rapide : « laque rouge », « émeraude », « gland bleu et or », ils précisent, autant qu’ils renforcent, l’attrait de croquis, composés selon une mise en page harmonieuse.
Jean-Baptiste Carpeaux (1827-1875) convoque immédiatement dans les imaginaires des silhouettes sculptées de jeunes femmes au sourire enchanteur, mutines et espiègles lorsqu’elles dansent et bondissent, soudain devenues des créatures chorégraphiques. Au prologue, Carpeaux dessine. Les feuilles retenues pour l’accrochage rendent compte d’esquisses que l’artiste produit pour le Pavillon de Flore du Louvre. Là, sous les contours d’un aigle en gestation, se dévoile le trait singulier et « inquiet » d’un sculpteur, un instant dessinateur animalier. Chez Carpeaux, les règles s’imposent pour être déconstruites et les obsessions deviennent caractéristiques : procédés protéiformes – force, forme et figure du crayon -, jeux de lumière autorisés par les réhauts de blanc, captation des souplesses et torsions à la façon d’instantanés, élégance du tracé, effets expressifs d’un réalisme maintenu cependant à distance, estompe pour caractériser le voluptueux du marbre, pleins, déliés et hachures maîtrisés à l’envie pour procéder au mouvement presque photographique.