Le mécénat passionné de l’industriel et amateur d’art Maurice Fenaille
Fenaille, collectionneur des œuvres de François Boucher et des maîtres du XVIIIe siècle, ne pouvait qu’être séduit par l’art de Chéret, son univers de fête, léger, pétillant, la grâce et le charme de ses personnages, sa palette claire, l’apparente facilité de conception et d’exécution qui ne demandait qu’à sortir et s’ébattre hors du cadre étroit de l’affiche. Très vite, comme le baron Vitta, « il est allé de son propre mouvement vers celui que l’on se contentait de saluer comme l’inventeur de l’affiche du XIXe siècle, mais en lequel on ne devinait pas un rénovateur possible de l’art décoratif perdu de pastiches et de redites ».
En 1895-1896, il demande à Chéret un décor pour la salle à manger de la villa qu’il a confiée à l’architecte Émile Bastien-Lepage 19, rue de la Ferme à Neuilly. Chéret choisit d’illustrer « Les plaisirs de la vie » par des allégories féminines du café, des liqueurs, du jeu et du tabac encadrant trois arcades. De part et d’autres des fenêtres, c’est une sarabande de clowns musiciens, une farandole effrénée de ballerines dévalant des nuages. Les personnages et le traitement restent très proches de son travail d’affichiste. Comme toujours, Chéret ne change rien. Il adapte juste ce qu’il aime : « […] ces images de gaîté, de grâce féminine où je me suis spécialisé ».
Chéret à la manufacture des Gobelins
À soixante-douze ans, Chéret aborde cette commande en artiste d’expérience et choisit de faire ce qu’il aime. Il s’inspire du thème des saisons, déjà traité sur les portes de la salle de billard de La Sapinière. Mais ici ce sont des femmes de leur temps qui, bien qu’allégorisées, sont les cousines des chérettes des affiches. Il revient à ses fondamentaux : les femmes, les enfants, les fleurs, le spectacle et, pour le style, les Japonais et la peinture italienne. En 1890, Jean Lorrain soulignait cette double influence qui reste une constante : « Ses affiches, à la japonaise, procèdent par taches, ont aussi ce caractère de traits zigzaguant dans l’espace, ont bien cette élégance et cette hauteur d’allures […] En art, il aime procéder de Watteau, Tiepolo et Paul Véronèse, dont la reproduction de L’Embarquement pour Cythère, et des plafonds et fresques des deux autres ornent les murs de son atelier. »