Tenue correcte exigée, quand le vêtement fait scandale

du 1er décembre 2016 au 23 avril 2017

À chaque saison de la mode, comme dans l’actualité sociale et politique, difficile d’échapper à la question du code vestimentaire. « Tenue correcte exigée, quand le vêtement fait scandale » invite à revisiter les scandales qui ont présidé les grands tournants de l’histoire de la mode du XIVe siècle à nos jours.

Cette exposition originale et inattendue propose d’explorer près de 300 vêtements et accessoires, portraits, caricatures et petits objets, les prises de libertés et les infractions faites à la norme vestimentaire, aux codes et aux valeurs morales. Robe volante, pantalon féminin, jupe pour homme, smoking pour femme, mini-jupe, baggy, ou blue jeans, devenus emblématiques, ont tous marqué une rupture, provoquant à leur apparition de virulentes critiques, voire des interdictions. Parce qu’ils étaient trop courts ou trop longs, trop ajustés ou trop amples, trop impudiques ou trop couvrants, trop féminins pour l’homme ou trop masculins pour la femme, ces vêtements ont transgressé l’ordre établi. Ce projet, conçu par Denis Bruna, conservateur, dans une scénographie confiée à Constance Guisset, s’articule autour de trois thématiques fortes : le vêtement et la règle, est-ce une fille ou un garçon ? et la provocation des excès.

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Commissariat
• Denis BRUNA, conservateur, collections Mode et Textiles antérieures au XIXe siècle

Scénographie
• Constance GUISSET

Présentation

LETEMENT ET LAGLE

De la Bible et ses premiers interdits vestimentaires dans la culture occidentale aux blogs internet conseillant telle ou telle tenue, en passant par les lois somptuaires, les ordonnances royales, les traités de civilité et de savoir-vivre ou encore les émissions télévisées de relooking, tous illustrent la permanence des règles vestimentaires au fil des siècles.

Dans la culture judéo-chrétienne, le vêtement est intimement lié au péché originel. Au Paradis terrestre, Adam et Ève vivaient nus, menant une vie faite de délices, et reçurent au moment de leur expulsion un vêtement pour cacher leur nudité. Du Moyen Âge jusqu’au XVIIIe siècle, les lettrés n’ont eu de cesse de répéter que le vêtement rappelle à tout jamais la faute. Pour cette raison l’habit se devait d’être le plus sobre et le plus discret possible. Les règles en vigueur depuis sont multiples. Notons tout d’abord celles de circonstances imposées à tout individu à l’occasion de célébrations ou d’événements précis tels le baptême, la communion, le mariage et le deuil ou lors d’une soirée. Il existe aussi des règles vestimentaires qui s’appliquent aux personnes de pouvoir. Le portrait de Marie-Antoinette vêtue d’une robe chemise peint par Élisabeth Vigée-Lebrun a fait scandale, et dut être remplacé par un autre la représentant dans une robe plus conventionnelle. La politique contemporaine n’est pas en reste : les cas de critiques vestimentaires sont fréquents. On se souvient du costume signé Thierry Mugler avec son col Mao, porté par Jack Lang en 1985 à l’Assemblée nationale ou, plus récemment, la robe à fleurs de Cécile Duflot qui lui a valu d’être sifflée par des députés.

EST-CE UNE FILLE OU UN GARÇON ?

Les échanges entre les vestiaires masculins et féminins ont parfois suscité des réactions virulentes. Depuis « le travestissement » de Jeanne d’Arc jusqu’à l’apparition de la mode unisexe des années 1960, les femmes se sont appropriées des pièces de la garde-robe masculine : chapeau, veste, pantalon. Les femmes précurseurs de cette « androgynie » sont apparues dès le XVIIe siècle avec les aristocrates anglaises qui aiment se vêtir d’habits masculins. Les « garçonnes », et autres figures des années 1920 et 1930 dont Marlene Dietrich avec le smoking qu’elle porte dans Cœurs brûlés en 1930, tout comme Gabrielle Chanel, dans les années 1920, avec ses tailleurs dépouillés de tout artifice, toutes ont contribué à masculiniser la silhouette. Elsa Schiaparelli est, quant à elle, devenue célèbre en empruntant aux hommes les combinaisons pantalons. Enfin, le smoking pour femme créé par Yves Saint Laurent en 1966, valide définitivement l’entrée du pantalon dans le vestiaire féminin. Toutefois, il fallut attendre le décret de 2013, abrogeant la loi de 1800, autorisant officiellement les femmes à le porter en toute circonstance ! De leur côté, les hommes ont également tenté d’adopter des attitudes et des tenues considérées comme féminines dont certaines ne sont toujours pas entrées dans les mœurs. Pourquoi l’homme maquillé dérange-t-il encore ? La jupe pour homme remise au goût du jour par Jacques Esterel, dans les années 1960, puis médiatisée par Jean Paul Gaultier, et aujourd’hui, par certains jeunes créateurs n’est toujours pas entrée dans le vestiaire masculin courant ou quotidien. La crainte de l’efféminement qui renvoie au pluriséculaire statut inférieur de la femme a restreint les exemples de transfert du vestiaire féminin vers le masculin.

La provocation des excès

Les excès relevés à leurs époques respectives sont multiples et variés et sont évoqués par une suite de « trop ». Le « trop haut », s’agissant des talons et des coiffures au XVIIIe siècle ; le « trop court » pour les mini-jupes de Mary Quant, André Courrèges, Rudi Gernreich, Pierre Cardin ou Paco Rabanne ; le « trop large » pour l’évolution des culottes masculines de 1600 aux baggys des années 1990 ; le « trop transparent » pour les vêtements laissant voir les corps et décolletés plongeants du XVIIIe siècle à nos jours tout comme la robe portée par Lady Diana en 1981 lors de sa première apparition ; le « trop moulant » des chausses du Moyen Âge à la mode du Slim, le « trop de couleurs » ou le « trop sombre ». Le « manque de tenue » est aussi à souligner avec les vêtements froissés, négligés et déchirés. Le thème de la fourrure, mais aussi des plumes, a fait l’objet de divers scandales dès le XVIIIe siècle, époque où l’on prend conscience de la présence de l’animal dans la parure.

L’exposition s’achève avec les « défilés chocs », ceux qui, de 1980 à 2015, ont défrayé la chronique. Citons, entre autres, les créations de Yohji Yamamoto et de Rei Kawakubo qui ont véritablement bousculé, au début des années 1980, les codes de la couture française avec l’esthétique japonaise du « non fini ». La collection Highlang Rape (automne/hiver 1995-1996) d’Alexander McQueen, qui a réveillé les traumatismes de l’histoire écossaise, la collection (printemps/été 2000) de John Galliano pour Dior qui s’est inspirée des sans-abris, ou encore, plus récemment la collection Sphinx de Rick Owens (printemps/été 2015) dévoilant l’anatomie masculine.

« Comment doit-on s’habiller ? », telle est la question à laquelle l’exposition tente de répondre en apportant un éclairage nouveau quant aux enjeux soulevés par les choix vestimentaires et ce qu’ils révèlent de ses valeurs et de ses tabous. Enfin, entre passé et présent, elle démontre que les fragments peu connus de l’histoire de la mode prouvent à nouveau leur actualité sous l’impulsion de personnalités et de créateurs de mode d’aujourd’hui.

« Introduction », par Denis Bruna

« Tenue correcte exigée ! » L’expression, connue de tous, figure çà et là sur des cartons d’invitation à une soirée mondaine, sur les portes de clubs privés, de restaurants chics, de bars à la mode ou à l’entrée des lieux de culte quels qu’ils soient. Que signifie-t-elle ? La définir est sans doute si mal aisé qu’elle est souvent accompagnée de pictogrammes pour en préciser le sens.

(…) En 2010, à l’entrée du palais royal de Bangkok, des logos étonnants signalaient d’autres tenues interdisant l’accès au site : outre les jupes, shorts et autres vêtements dévoilant le corps, les vêtements déchirés, moulants ou transparents étaient aussi bannis dans le complexe qui abrite la résidence royale (…). L’expression est difficilement définissable car elle est ô combien subjective. En effet, ce qui est correct pour l’un ne l’est pas pour l’autre ; ce qui choque les uns ne choque pas les autres. Dans une vie en société, le goût et le dégoût se construisent avec le regard d’autrui.

« Tenue correcte exigée » est également le titre d’un article paru dans Le Monde du 3 septembre 2016, faisant écho aux polémiques de l’été 2016 au sujet du « burkini » sur les plages françaises. Ces débats ont confirmé que le vêtement est un enjeu qui dépasse le simple fait de se couvrir pour des questions de pudeur ou de climat et qu’il est porteur d’une dimension politique, culturelle, sociale, religieuse. Certes, on s’habille pour soi, mais aussi pour les autres. Nous avons pris le parti de ne pas aborder le vêtement religieux ou celui que l’on porte pour répondre à des convictions religieuses – nous ne parlerons pas non plus du vêtement militaire, ni du costume de scène. Toutefois, le « burkini » révèle bien des problématiques qui sont étudiées ici : celle du corps dévoilé ou couvert, des infractions faites à la norme vestimentaire, aux codes et aux valeurs morales, de la liberté ou non laissée aux femmes de s’habiller comme elles le souhaitent. Il témoigne d’un renversement des codes vestimentaires puisque aujourd’hui des autorités municipales demandent aux femmes de porter une tenue de bain, tel le bikini, que des décrets interdisaient soixante-dix ans plus tôt sur ces mêmes plages. (…) La transgression vestimentaire offusque depuis des siècles les moralistes quels qu’ils soient puisqu’elle est vue comme le fruit de l’inconstance des modes, de ses caprices consuméristes et de son éternel renouvellement. En effet, si une mode nouvelle a ses imitateurs, ses adeptes et ses défenseurs, elle a aussi ses détracteurs qui condamnent la singularité vestimentaire avant que celle-ci s’intègre le plus souvent dans les usages, jusqu’à oublier qu’elle a pu, à son apparition, faire scandale. Quoi qu’il en soit, ce qui bouleverse les habitudes nous interroge et nous perturbe car être singulier est immoral. Ce point est essentiel puisqu’il rappelle que le vêtement est, dans notre culture judéo-chrétienne, la conséquence du péché originel, si bien que des siècles de pensée occidentale ont prôné le vêtement discret, sobre, passant inaperçu, tel un remède expiatoire à l’habit donné par Dieu à Adam et Ève avant leur exclusion du Jardin des délices. Cette pensée a façonné les normes vestimentaires et de l’apparence de notre culture occidentale. Aujourd’hui encore, alors que les scandales sont moins grands que par le passé, il y a toujours des vêtements qui dérangent, des tenues qui contrarient.

« Le christianisme face au vêtement », par Michel Pastoureau

Pour le christianisme, le vêtement est toujours signe de péché. Il rappelle la faute originelle commise par Adam et Ève et leur expulsion du Paradis terrestre. Au jardin d’Éden, ils vivaient nus, entourés de merveilles, menant une vie faite de délices. La seule interdiction que Dieu leur avait imposée était de ne pas cueillir le fruit défendu, celui de l’arbre de la connaissance du bien et du mal. Sous l’influence du démon, ils ont désobéi, cueilli puis mangé ce fruit. Chassés du Paradis, condamnés à une vie de labeur, ils ont reçu au moment de leur expulsion un vêtement pour cacher leur nudité. Ce vêtement rappelle à tout jamais leur faute : il est le symbole même de la Chute de l’humanité.

Pour la théologie et la morale chrétiennes, tout vêtement est plus ou moins l’héritier de ce vêtement primitif. Il est imprégné de la faute de nos ancêtres et, pour cette raison, se doit d’être le plus sobre et le plus discret possible. (…)

Un idéal de simplicité

(…) À l’origine du monachisme occidental domine en effet un souci de simplicité et de modestie : les moines adoptent le même costume que les paysans et ne teignent ni n’apprêtent la laine. C’est du reste ce que recommande la règle de saint Benoît. Mais progressivement, le vêtement acquiert pour le moine de plus en plus d’importance : il est à la fois le symbole de son état et l’emblème de la communauté à laquelle il appartient.

Plus tard, au XIIIe siècle, parmi les ordres mendiants, ce sont les Franciscains qui rappellent avec force combien tout vêtement est signe de péché. Ils fuient toute forme non seulement d’apparat mais même d’apparence ordi-naire. Leur robe de laine vile, non teinte, souvent sale et rapiécée, s’inscrit dans une gamme incertaine de gris et de bruns. Plusieurs d’entre eux – les Fratricelles – affichent volontairement une telle indigence vestimentaire que plusieurs papes la jugent excessive et les rappellent à l’ordre car ils sont à la limite de l’hérésie.

Le noir de la Réforme

Toutes les morales protestantes ont l’aversion la plus profonde pour le luxe vestimentaire, pour les fards et les parures, pour les déguisements, les modes changeantes ou excentriques. Pour Zwingli et pour Calvin, se parer est une impureté, se farder une obscénité, se déguiser une abomination.

(…) Pour tous, la magnificence du corps est une corruption ; le seul ornement qu’il faille rechercher est celui de l’âme. L’être doit prendre le pas sur le paraître.

D’où, dans certaines sectes protestantes (anabaptistes de Münster, Quakers), la tentation d’un vêtement unique, le même pour tous : l’uniforme noir. (…) L’historien est en droit de s’interroger sur les conséquences à long terme de ce rejet des couleurs franches, ou du moins de certaines d’entre elles, par la Réforme et par les systèmes de valeurs qu’elle a contribué à mettre en place. Il est indéniable qu’une telle attitude a favorisé une séparation entre l’univers du noir-gris-blanc et celui des couleurs proprement dites. D’autant qu’à partir du XIXe siècle, les valeurs protestantes ont rejoint les morales catholiques, puis sont devenues celles du capitalisme naissant et de la société industrielle – les capitaux, tant en Europe qu’en Amérique, étant souvent détenus par des protestants puritains –, et enfin de ce que l’on nomme dans la culture occidentale les « valeurs bourgeoises ».

Ces valeurs, que nous le voulions ou non, conditionnent encore une bonne part de nos pratiques vestimentaires. Il est fort probable que nos costumes sombres, nos chemises blanches, nos blazers bleu marine, nos petites robes noires et nos tenues de soirée soient les héritiers plus ou moins directs de l’éthique de la Réforme.

« Le pantalon féminin : un repris de justice dans nos placards », par Bastien Salva

Entre les exigences de la vertu et les audaces du pratique

Ce n’est qu’au XIVe siècle que le vestiaire masculin s’est distingué de la garde-robe féminine en s’enrichissant d’un vêtement court – le pourpoint – et de hauts-de-chausses, prototypes modernes du vêtement bifurqué. Ceux-ci n’ont cessé d’évoluer et l’homme enfila coquettement canons, rhingraves, culottes et pantalons, tandis que la jupe féminine restait invariablement longue. La Révolution, en abolissant les privilèges, s’attaqua directement au système vestimentaire d’Ancien Régime. Si le décret du 8 brumaire an II (29 octobre 1793) déclarait que « nulle personne de l’un et de l’autre sexe ne pourra contraindre aucun citoyen, ni citoyenne, à se vêtir d’une manière particulière », il était aussi stipulé que « chacun [était désormais] libre de porter tel vêtement et ajustement de son sexe ». Sept ans plus tard, « informé que beaucoup de femmes se [travestissaient], et persuadé qu’aucune d’elles ne [quittait] les habits de son sexe que pour cause de santé […] », le préfet de police de Paris ordonna le 16 brumaire an IX (7 novembre 1800) que « toute femme, désirant s’habiller en homme, [devrait] se présenter à la Préfecture de police pour en obtenir l’autorisation ; [laquelle] ne [serait] donnée que sur le certificat d’un officier de santé […] ».

Pourtant, en réalité, la plupart des travesties souffraient seulement d’un ardent désir de liberté, à une époque où le « sexe paré » étouffait sous des contraintes sociales et vestimentaires que le pantalon permettait d’évincer, comme s’en souvint George Sand en rédigeant ses mémoires : « [habillée en homme] je courais par tous les temps, je revenais à toutes les heures, j’allais au parterre de tous les théâtres ». C’est aussi l’envie de retrouver le plein usage de ses jambes qui poussa l’Américaine Amelia Bloomer, fondatrice du journal féministe The Lily, à adopter en 1851 des pantalons bouffants complétés par une tunique serrée à la taille. Même si la plupart de ses émules voyaient dans ce vêtement un moyen pratique de vivre une vie active plus qu’un symbole de la hiérarchie des sexes à s’approprier absolument, les caricaturistes leur reprochèrent de délaisser leurs devoirs de mère et d’épouse. On les taxa d’indécence, comme les autres femmes en pantalon de leur époque. (…)

Prétextes sportifs

Le sport fut responsable de l’adoption des pantalons comme dessous au début du XIXe siècle ; c’est aussi lui qui les fit accepter plus tard comme vêtement de dessus. Gymnastique, natation, alpinisme et bicyclette attiraient autant les hommes que le « sexe faible » ; mais pour nager à Deauville ou pédaler dans le bois de Boulogne, la jupe était des plus encombrantes. Ces activités habillèrent donc les femmes de tenues libérant leurs jambes. Le maillot de bain fut plutôt bien accepté dès le Second Empire, mais rappelons qu’il n’était vu que sur les plages et que les femmes se changeaient souvent dans des roulottes amenées directement dans l’eau. (…)

Le paravent oriental

Les années 1910 furent un tournant majeur dans l’histoire du pantalon féminin et ce fut Paul Poiret qui lui fit prendre ce virage d’une main de maître. Fasciné par l’Orient, il habilla ses modèles en 1911 de pantalons de harem et de jupes dites « sultane », associant ces derniers à une tunique. Poiret eut le génie d’emprunter le vêtement bifurqué non pas à l’homme moderne mais à l’odalisque orientale : le fantasme associé à ce nouveau vêtement fut donc celui de la belle esclave et non celui de la femme émancipée. Taillé dans des soies colorées, brillantes et fluides, ce pantalon n’avait rien de masculin et nombreux furent les couturiers qui se laissèrent séduire, à l’instar de Jacques Doucet ou de Redfern, bien que certains, tel Jean-Philippe Worth, trouvèrent cette originalité bifide « vulgaire, horrible ». (…)

Générations culottées

En effet, les couturiers des années 1960 ne s’adressaient plus aux dames comme-il-faut mais à la génération baby-boom que les audaces bifides n’effrayaient plus. Dès sa première collection en 1962, André Courrèges présenta des pantalons pouvant être portés à la ville et en plein jour. Peu à peu, il s’imposa comme le chantre de l’unisexe, habillant hommes et femmes des mêmes vêtements. Toutefois, c’est au nom d’Yves Saint Laurent que le pantalon féminin est le plus associé aujourd’hui. Il affirmait qu’« en portant le pantalon, une femme peut développer son maximum de féminité » et réinventa pour elle le smoking au féminin, en 1966, dans un contexte d’émancipation féminine. Adulé ou sifflé, porté ou envié, le pantalon n’en restait pas moins officiellement interdit à la gent féminine par l’ordonnance de 1800, sur laquelle le préfet de police refusa ouvertement de revenir en 1969.

« La capuche, six siècles de préjugés », par Denis Bruna

En 1713, un chroniqueur anonyme écrit un texte critiquant les manteaux aux amples capuches que portent couramment les femmes à cette époque. Sous les larges plis de ces manteaux, les femmes malhonnêtes et de petite vertu cachent des objets dérobés ou leur grossesse, et, sous la passe tombante de la capuche, leur visage. Capuches, calèches, capotes et autres couvre-chefs à passe longue soulèvent souvent la suspicion car ils masquent l’identité de celles et ceux qui les portent. Mystérieux, douteux même, ils peuvent être aussi un atout de coquetterie. En 1769, la fille de Denis Diderot, expliquant à son père les mérites de la calèche, précise : « Le haut du visage est dans l’ombre ; le bas en paraît plus blanc ; et puis, l’ampleur de cette machine rend le visage mignon. » Quelques années plus tard, le Mercure de France publie un poème adressé à « Mesdames les Capotes », en fait trois femmes que l’auteur du texte ne reconnut au bal tant les élégantes « aux charmes enveloppés » étaient couvertes par lesdites capotes. Dans les premières décennies du XIXe siècle, ce type de chapeau à la passe encore plus démesurée est toujours en vogue. Les femmes qui le portent sont parfois affublées du nom évocateur d’« Invisibles ».

Au XIVe siècle, la capuche, jugée subversive, est interdite. Une ordonnance de Charles VI, datée de 1399, proscrit à Paris le port de « faux visages », ces chaperons au capuchon si enveloppant qu’ils dissimulent presque entièrement le visage de malfaiteurs. Le texte décrit des hommes aux « visaiges embrunchez [couverts] de leurs chapperons tellement que l’en ne les peut cognoistre ne veoir leurs visaiges a descouvert, exceptez les yeulx seulement ». Interdire une capuche sous prétexte qu’elle est trop couvrante et cache le visage, et par conséquent l’identité de son porteur, serait-il le fait unique d’un autre âge ? Il n’en est rien : le hoodie – ou sweat-shirt à capuche –, fièrement arboré dans un premier temps par les skateurs et les tagueurs, mais également les adeptes de hip-hop, de breakdance ou de rap, est çà et là bientôt condamné tant il est associé aux gangs et aux délinquants. En 2005, à Londres, le hoodie est interdit dans le centre commercial du quartier d’Elephant and Castle. En 2011 et 2015, des lois proscrivent son port en public dans l’État d’Oklahoma. Le sénateur républicain Don Barrington précise que l’objectif « est de rendre les commerces et les lieux publics plus sûrs en s’assurant que les gens ne puissent pas dissimuler leur identité dans le but de commettre un crime ». Enfin, il est difficile de ne pas évoquer le drame de Sanford (Floride), survenu en février 2012, lorsque Trayvon Martin, jeune Américain, noir, âgé de dix-sept ans, est abattu par George Zimmerman, un agent de sécurité. Ce dernier déclara avoir vu un homme noir, la tête couverte d’un hoodie à capuche et semblant suspect. Geraldo Rivera, présentateur sur Fox News, expliqua quelques jours après le drame que « le hoodie est aussi responsable de la mort de Trayvon Martin que George Zimmerman ». Des faux-visages de Charles VI au hoodie du jeune Trayvon, la capuche, pièce de vêtement apparemment banale, traîne avec elle plus de six siècles de soupçons et de préjugés.

« Le vêtement trop ample : dissimulation et entrave », par Denis Bruna

Dans Les Règles de la bien-séance et de la civilité chrétienne, publiées en 1702 par Jean-Baptiste de La Salle, il est dit que « rien n’est plus malséant qu’un vêtement qui ne convient pas à la taille de la personne qui le porte ; cela défigure tout un homme, particulièrement lorsqu’il est trop ample […]. Il vaut mieux ordinairement qu’un habit soit plus court et plus étroit qu’il ne doit être, que d’être ou trop large ou trop long ». La déclaration de l’ecclésiastique est pour le moins étonnante : un vêtement « étroit » qui, par définition, dévoilerait les courbes indiscrètes du corps, serait moins subversif qu’un habit « trop large » qui en couvrirait les formes jusqu’à les faire disparaître. Ce malaise que suscite dans les mentalités occidentales le vêtement trop ample, jugé suspect car il dissimule et entrave, peut être perçu à travers quelques exemples qui jalonnent notre histoire. (…)

Nuisible à l’honneur

Dans le dernier tiers du XVe siècle, les dames de l’aristocratie espagnole portent un verdugos : une jupe longue, montée sur une armature rigide permettant une ampleur nouvelle et, selon un chroniqueur du temps, donnant l’aspect à celles qui le revêtent d’une « cloche », d’un « tonneau » ou d’une « barrique ». Le vêtement fait scandale : à Valladolid, il est interdit et les élégantes qui osent le porter – ou les tailleurs qui s’aventurent à en réaliser – encourent l’excommunication. En 1477, dans un Traité sur les manières de se vêtir et de se chausser, le frère Hernando de Talavera précise dans un chapitre les douze raisons pour lesquelles « ce vêtement de hanches est très mauvais et, par conséquent, dûment réprouvé et interdit ». La troisième raison dit que le verdugos est « nuisible à l’honneur et à la réputation parce qu’on croit qu’il fut inventé et qu’il est utilisé pour dissimuler les fornications et les grossesses adultérines, de telle manière que toutes celles qui le portent, bonnes ou mauvaises, sont considérées comme suspectes et infâmes ». (…)

Quoi qu’il en soit, dans les mentalités au XVe comme au XVIIIe siècle – et les exemples pourraient être multipliés à d’autres époques –, le vêtement ample suscite la suspicion parce qu’il couvre ce que l’on aimerait voir. (…)

Les jambes esclaves

Quelques pièces de la garde-robe masculine se sont également trouvées au cœur de polémiques pluriséculaires. De 1560 au début des années 2000, le cas des hauts-de-chausses, des culottes à la rhingrave et autres pantalons amples est révélateur des mentalités à l’égard d’autres vêtements trop larges. En Angleterre, entre 1560 et 1620, les hommes de l’aristocratie aiment porter des hauts-de-chausses, ces culottes bouffantes recouvrant le corps de la ceinture aux genoux. Ces habits sont si volumineux au niveau des cuisses qu’un courtisan de Jacques Ier d’Angleterre n’hésite pas à dire que le roi, pourtant de stature moyenne, « était plus corpulent par ses vêtements que par son corps […] ; ses hauts-de-chausses étaient bien fourrés ». Une telle mode ne pouvait que heurter les moralistes et autres lettrés à la plume aiguisée chantres du vêtement sobre et discret. Trouvant dans les Écritures et autres textes chrétiens une justification de leur colère, ils défendent l’idée que le vêtement, en tant qu’enveloppe visible, est le reflet spirituel de son porteur. Ils rêvent d’un âge idéal, celui des temps primitifs, où femmes et hommes se couvraient, selon eux, de vêtements simples, « taillés en accord avec la forme et les proportions naturelles du corps, comme nous pouvons imaginer que les vêtements de peau étaient, ce avec quoi Seigneur Dieu, qui connaissait le mieux la forme du corps, habilla la nudité de nos premiers parents », précise en 1653 le philosophe John Bulwer. Or, en ce XVIIe siècle, il n’en est rien. (…)

Largeur au cœur du scandale

Dans les années 1920, en Angleterre, des étudiants d’Oxford se plaisent à porter pour se singulariser des pantalons dont le bas des jambes est très large, pouvant atteindre jusqu’à 60 cm de circonférence. Ces Oxford Bags – tel est le nom de cet habit – semblent faire, en 1927, une incursion en France au point d’inquiéter un rédacteur de l’élégante revue L’Art et la Mode : « Une nouvelle offensive des Oxford Bags. L’an dernier les modes masculines firent effort pour imposer aux messieurs des pantalons extraordinairement larges. (…)

N’est-il pas surprenant de constater que les Oxford Bags essuient les mêmes reproches que les larges culottes du XVIIe siècle ? En effet, on reproche à leur largeur d’engendrer une féminisation de la silhouette – le pantalon est comparé à une jupe – et de gêner l’homme dans ses mouvements naturels. Dans la France des années 1940, les zazous, qui tirent leurs origines des Zoots américains aux costumes démesurés, se démarquent par le port de vestons longs, tombant parfois jusqu’aux genoux et dotés de grandes poches à rabats, mais également de pantalons excessivement bouffants, vus comme une provocation à une époque où les tissus étaient rationnés. En mai 1942, le gouvernement de Vichy – et plus particulièrement le « comité d’organisation du vêtement » – avait défini la taille et la forme du « costume national » qui, pour être strict et proche du corps, bannissait de son répertoire vestons longs et pantalons amples. Les économies de tissu invoquées sont un prétexte : on vise notamment les zazous qui perturbent l’ordre public par leur attitude et leur tenue décalée, dont l’ampleur provocatrice est perçue comme une transgression de l’ordre établi.

Au cours des années 1990, la question de l’ampleur vestimentaire est soulevée par l’apparition du baggy, un pantalon très large et tombant, originaire des États-Unis. Cette mode est essentiellement adoptée par des adolescents et de jeunes adultes voulant rendre hommage aux détenus qui portent, en prison, des pantalons de taille unique et sans ceinture. Ces baggys sont brocardés, voire interdits dans plusieurs villes des États-Unis parce qu’ils laissent voir le boxer ou le caleçon du jeune homme qui le porte – ce dernier peut même encourir une amende de plusieurs centaines de dollars. En France, la mode des baggys est largement suivie par les jeunes gens qui voient leur pantalon emblématique proscrit dans leur établissement scolaire. Certes, çà et là, la première critique invoquée est l’impudeur de ces tenues.

En ce sens, le pantalon baggy rejoint les amples culottes que Molière comparait à des « entraves », à l’intérieur desquelles « les jambes étaient esclaves ». Ces deux vêtements, que plus de trois siècles séparent, ne sont pas seulement des obstacles à la marche : ils perturbent l’ordre établi car ils ne laissent rien deviner de la séparation des jambes. Le vêtement qui « défigure » l’anatomie – comme le regrettait Jean-Baptiste de La Salle en 1702 –, perçu comme une extension ou une démesure du corps, trouble encore les sensibilités du début du XXIe siècle.

Découvrez le documentaire « Toute L’Histoire » consacré à l’exposition
Tenue correcte exigée ! Quand le vêtement fait scandale - Toute L’Histoire - YouTube
Scénographie de l’exposition
Le catalogue
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