Le Second Empire :
une modernité spectaculaire
Dès les années 1850, les grands magasins jettent les bases
du commerce moderne et de la société
de consommation dans un contexte
d’essor économique. Leur naissance
est directement liée aux réformes
structurelles et à la politique économique
volontariste mises en place par Napoléon
III afin de moderniser la France.
Les transformations urbaines du Paris
d’Haussmann sont immortalisées dans
les photographies de Charles Marville,
le développement des chemins
de fer par de nombreuses affiches
touristiques vantant les nouvelles
destinations de villégiatures. Les grands
magasins profitent de l’ascension
de la bourgeoisie qui est leur première
clientèle. Dans une société où se mettent
en place les prémices d’une culture
de masse et la naissance progressive
d’une certaine modernité des loisirs,
« Faire les magasins » devient, à l’instar
du théâtre, du bal, du café, ou du concert,
une nouvelle distraction bourgeoise.
Ces grands magasins sont désormais
le « royaume de la femme » décrit par
Émile Zola dans ses carnets préparatoires
à l’écriture d’Au Bonheur des Dames.
Le grand magasin :
une révolution commerciale
Zola s’inspire directement d’Aristide
Boucicaut, fondateur du premier grand
magasin parisien, le Bon Marché, qu’il
inaugure en 1852. Portraituré en 1875 par
William Bouguereau, représentant majeur
de la peinture académique, Aristide
Boucicaut est le modèle de l’entrepreneur
du Second Empire. Il jette les bases
du commerce moderne avec des
innovations commerciales majeures
comme la démocratisation de la mode,
l’invention des soldes et des expositions
de saisons, ou encore l’enfant comme
nouvelle cible commerciale et la vente
par correspondance.
La démocratisation de la mode :
la figure de la Parisienne
Le XIXe, siècle du flâneur baudelairien,
est aussi celui de la Parisienne, figure
mythifiée et protéiforme, dont l’ombre
marque les murs des grands magasins
de la capitale. Ces temples séduisent
la Parisienne, elle peut toucher, regarder
et essayer. Une affiche d’Henri Thiriet
destinée à promouvoir une exposition
de « blanc » à la Place Clichy montre
le rapport tactile à la marchandise
exposée. Le modèle économique sur
lequel reposent les établissements –
notamment la réduction des coûts
de revient – rend possible la mise
en place de prix défiants toute
concurrence. Une grande partie
de la population, française et étrangère,
accède alors à des biens jusqu’alors
réservés aux élites. L’habillement,
dont la production se mécanise
et se rationalise progressivement,
n’échappe pas à ce processus de
démocratisation. Les Grands Magasins
du Louvre se flattent notamment d’exercer
une influence sur la mode, arguant
ne pas la copier mais de la créer. Certains
grands magasins reprennent toutefois
des modèles de couturiers et de haute
couture telle une robe des Trois Quartiers
datée de 1910 qui n’est pas sans évoquer
les créations de Paul Poiret.
L’enfant comme nouvelle cible
L’apparition de rayons destinés aux enfants
fait écho à la place grandissante qu’ils
prennent dans la famille au XIXe siècle.
Cette évolution socio-psychologique se lit
dans la culture matérielle de l’époque :
leurs vêtements se différencient
progressivement de ceux des adultes
et les jouets, comme l’illustre un habit
de marin de 1910 de la Belle Jardinière
ou celui dit de Highlander (1907) des Trois
Quartiers. L’enfant devient rapidement une
nouvelle cible, on lui propose des jeux
d’optique, de construction et d’imitation
mimant les métiers ou les activités
de la vie quotidienne à l’image d’une
machine à coudre miniature Singer.
La vente par correspondance
Au Bon Marché, Aristide Boucicaut met
en place la vente par correspondance
afin d’écouler une marchandise
dont la production ne cesse de
croître. Les catalogues de vente,
richement illustrés, concourent aussi
à élargir la clientèle sur le territoire
et à l’étranger. Une affiche de Ferdinand
Lunel rend compte de la façon dont
étaient acheminées les commandes
de la Place Clichy à la banlieue
parisienne. Un uniforme des Trois
Quartiers illustre l’univers des livreurs.
D’abord annuels, ces catalogues tirés
en très grand nombre, deviennent
rapidement saisonniers, se multipliant
avec le développement des rayons –
arts ménagers, orfèvrerie, porcelaine,
éclairage, tapisserie et décoration, articles
de voyages. Ils permettent de suivre
l’évolution des modes de vie et des goûts
de la bourgeoisie en termes de mode,
de décoration, d’art ménager, mais
aussi de loisirs.
Les ateliers d’art
La création des ateliers d’art dans les
grands magasins est un phénomène qui
émerge dans l’entre-deux-guerres, avec
l’apparition d’une nouvelle génération
de créateurs soucieux de se regrouper
et de renouveler la place des arts
décoratifs. Le Printemps fait figure
de pionnier en inaugurant, en 1912, l’atelier
de création Primavera. Spécialisé dans
la production de meubles et d’objets d’art
en série, cet atelier propose des objets
de décoration et du mobilier moderne à des
prix abordables. Il recrute de jeunes artistes
issus des écoles d’arts appliqués sensibles
aux nouvelles tendances esthétiques.
En 1921, les Galeries Lafayette confient
la direction de leur atelier, La Maîtrise,
à Maurice Dufrêne (1876-1955). Le Bon
Marché initie quant à lui l’atelier Pomone,
d’abord dirigé par Paul Follot (1877-1941).
Enfin, Les Grands Magasins du Louvre
créent le Studium‑Louvre en 1923.
Étienne Kohlmann (1903-1988) prend
la direction artistique du Studium en 1927
mais produit desœuvres pour cet atelier
avant cette date. Un buffet d’exception
présenté dans l’exposition, créé vers 1924,
témoigne de cette implication.
L’Exposition internationale
des Arts décoratifs et industriels
modernes de 1925
L’événement symbolisant l’apogée de ces
ateliers d’art est l’Exposition internationale
des Arts décoratifs et industriels
modernes de 1925. Chaque grand magasin
dispose alors d’un pavillon monumental
lui permettant de promouvoir ses plus
belles créations en matière de mobilier,
céramique, textile, verre et autres objets
décoratifs. Des photographies d’Albin
Salaün et de François-Antoine Vizzavona
rendent compte de la beauté de ces
bâtiments, tant à l’extérieur qu’à l’intérieur.
Pièces de mode, objets de mobilier,
jouets et autres affiches publicitaires
réunis au musée des Arts décoratifs
racontent l’histoire d’une naissance,
celle des grands magasins, mais aussi
de toute une époque. Ce nouveau
panorama commercial moderne dans
le Paris d’Haussmann donne une
nouvelle place à la femme en lui offrant
des espaces réservés. Dans ces lieux
d’un nouveau genre émerge la figure
de la Parisienne, mythe de beauté
et d’élégance encore très vivace
aujourd’hui. Véritable bouillonnement
d’inventions et de créativité, l’exposition
met en lumière la place fondamentale des
grands magasins dans le paysage parisien,
de la Belle Époque aux Années folles.